« Curieusement, on pourrait dire de l’essai que s’y exprime un sujet libre, un “je” où l’énonciateur assume sa subjectivité, la confrontant avec la réalité, son propre contexte, ses références, et avec les autres par lesquels se forme et se transforme son identité. L’essai ne tente pas de produire une forme de totalisation du monde. Au contraire, il crée des brèches, ouvre des pistes de réflexion, s’interroge à voix haute. »
– Jean-François Chassay, Anthologie de l’essai au Québec depuis la Révolution tranquille (Boréal)

 

Serait-on actuellement dans l’âge d’or de l’essai québécois, dans une période faste pour le genre, où les gens tendent l’oreille à ce qui s’y fait, tendent la main vers des auteurs qui ont pris soin de déposer sur papier le labeur de leurs profondes pensées?

Si c’est au cours de la Révolution tranquille que le genre qu’on dit enfanté par Montaigne a pris son envol au Québec — notamment par ses réflexions sur l’identité —, c’est aujourd’hui qu’on réalise que notre époque actuelle fait foi en la matière d’une vitalité sans pareille. En offrant une production essayistique foisonnante et diversifiée, une production qui éclate les balises formelles pour mieux rappeler « qu’un essayiste est un artiste de la narrativité des idées », comme l’écrivait l’illustre André Belleau, les éditeurs et penseurs de la province participent à nourrir les idées, les débats et notre futur.

Entre les pages du présent dossier, vous êtes conviés à un survol des nouveautés qui figureront cette saison au panthéon des ouvrages d’idées, d’histoire, de réflexions. Et, puisque les frontières sont poreuses entre les disciplines — pour mieux laisser les idées circuler —, il est agréable de voir le social influencer le politique, la nature toucher la culture et l’histoire éclairer l’urbanisme. C’est dans cet esprit que nous avons divisé les nouveautés présentées selon cinq grands axes, comme autant de guides pour organiser votre lecture, tout en devenant prétextes pour élargir vos horizons. Car ce genre qu’est l’essai, qu’il s’habille de notes de bas de page ou de mille paillettes, mérite qu’on pose notre regard sur cet éclairant soleil levant.

Dans ce dossier

Défaire les nœuds de la pensée

Faire circuler librement nos réflexions sans que celles-ci ne s’enlisent dans les détours, ne prennent un virage trop serré ou ne s’égarent en route n’est pas une mince affaire. S’il est parfois bon de faire sauter les balises et de plonger tête baissée dans une direction vierge de tout biais cognitif, il est également important de prendre le temps de se pencher sur un nœud, de s’octroyer l’aide d’essayistes dont la force est d’accompagner le lecteur pour décortiquer tous les fils entremêlés, et de reprendre tranquillement celui d’une pensée qui nous entraînera, une fois bien lissée, encore plus loin sur le chemin de la réflexion. Et qui sait sur quoi nous tomberons en route; une illumination ou un pan de l’existence qui, jusqu’alors, n’avaient pas défriché son entrée jusqu’à nous.

Rober Racine : La passion selon Claude

Claude Vivier fut un compositeur accompli. Il passa sa vie à insuffler à sa musique une véritable fête des sens, divine bacchanale d’une pure virtuosité. Il mourut assassiné. Dans son essai Au square Gardette, son ami Rober Racine veut comprendre les intentions derrière le geste du meurtrier, en se permettant d’amples digressions sur des sujets aussi vastes que la vie, la mort, la création et l’amour. Des questions qu’il se pose émane une quête transcendante portant étrangement, sous l’abomination, les fruits d’une ineffable beauté.

Le monde d’hier à aujourd’hui

Parfois les histoires se ressemblent, se répètent. La similitude entre différents événements est frappante. Savoir lire l’histoire, c’est savoir mieux regarder notre avenir, éviter les écueils du passé, chercher à construire le futur. Après avoir regardé dans le rétroviseur, c’est également l’occasion de faire ses angles morts, de s’attarder à des pans de l’histoire qui sont plus près de nous que ce qui aurait pourtant pu nous sembler. C’est aller à la rencontre des peuples premiers, c’est regarder la Russie sous un angle tombé dans l’oubli, c’est tenter de comprendre la prochaine puissance mondiale, c’est définir les territoires et les préoccupations d’un peuple. Les essais que nous vous présentons ici ont tous en commun de lire le passé pour mieux nous aider à nous positionner dans l’époque contemporaine.

Jonathan Livernois : Gérald Godin en kaléidoscope

Poète à la langue brute et journaliste décomplexé, puis politicien à l’écoute de son peuple sans égard aux origines et amoureux de sa « renarde », Gérald Godin est une figure d’exception dans le paysage politique québécois. En consacrant une biographie d’envergure à ce « provincial monté en ville », comme le disait Godin lui-même, Jonathan Livernois met en lumière l’étonnante homogénéité des différentes facettes qui composaient cet homme épatant, qui vécut dans l’ébullition culturelle, qui défendit le nationalisme québécois moderne et qui œuvra longuement pour la souveraineté. La biographie Godin nous rappelle ainsi que la force des mots n’est jamais à négliger.

Remettre en question notre mode de vie

Et si on remettait en question la façon dont on aborde ce qui semble immuable dans notre quotidien? Et si on faisait le point sur certaines zones d’ombre qui jalonnent pourtant notre mode de vie? Nos habitudes sont-elles les bonnes? Nos réflexes de pensée sont-ils bien posés? Plusieurs ouvrages récents s’interrogent sur notre rapport à l’environnement, aux médias, aux industries, à l’éducation, à la géopolitique, à nos déplacements, à nos liens sociaux. Butinons entre leurs pages pour voir si on ne pourrait pas en tirer de saines habitudes ou d’heureux apprentissages.