Déjà, on sait qu’elle marquera l’Histoire. Le 5 novembre 2017, Valérie Plante devient officiellement la première femme élue à la chefferie de la Ville de Montréal. Après cinquante-quatre mandats tenus par des hommes, il n’est pas exagéré de dire qu’il était temps. En 2021, les citoyens et citoyennes lui accordent une seconde fois sa confiance avec une répartition des votes encore plus probante. Originaire de Rouyn-Noranda, elle s’installe à Montréal au début de l’âge adulte et fait un bac en anthropologie, un certificat en intervention multiethnique et une maîtrise en études muséales. Elle travaille ensuite dans des organismes communautaires, lui assurant une intelligence des véritables enjeux sur le terrain. Parce que les artistes font partie de ceux et celles qui pensent l’avant-garde, la culture et les livres figurent aussi parmi les rendez-vous de cette mairesse possédant le courage de ses convictions.

Valérie Plante œuvre chaque jour à faire de la métropole une ville inclusive, progressiste et verte. Sa feuille de route atypique la place aux premières loges pour connaître les besoins d’une population diverse. Son parcours de lectrice y est sûrement pour quelque chose également puisqu’elle y accorde une place majeure et considère la littérature comme un moyen d’être au plus près d’un monde en constant bouleversement. « La lecture me permet de m’évader, de prendre du recul par rapport au travail et à la vie en général, mais aussi de réfléchir, soutient la mairesse. C’est comme une contribution double. » Sa mère l’amenait fréquemment à la bibliothèque municipale, où la petite fille prenait un grand intérêt à lire des bandes dessinées et des revues, par exemple le magazine GEO qui l’invitait à découvrir les quatre coins de la planète.

Au début de l’âge adulte, La vie devant soi de Romain Gary la renverse, relevant sa profonde humanité. Momo, un jeune adolescent arabe, vit avec Madame Rosa, juive et ex-prostituée, qui garde sous son toit les enfants des marchandes de plaisir. À travers l’attachement qu’il éprouve pour cette femme, le garçon raconte avec son langage bien à lui sa vision des choses. « Je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur, c’est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre. » Un livre qui transcende les différences, d’âge, de religions et de classes sociales, pour mettre de l’avant la puissance des liens. Un peu plus tard, Valérie Plante ressort très ébranlée de sa lecture de La servante écarlate de Margaret Atwood. « Ça m’a terrifiée de voir que cette histoire pourrait se présenter n’importe quand, c’est une œuvre féministe extrêmement forte qui ramène la fragilité des droits des femmes, explique-t-elle. Rien n’est acquis et, en tant que féministe, je me suis dit : “OK, il ne faut jamais lâcher!” » Et pour se recentrer sur le sens et la nécessité, elle côtoie souvent Miron, qui trône toujours sur sa table de chevet. « je ne suis pas revenu pour revenir/je suis arrivé à ce qui commence » Un (r)appel à aller de l’avant, la certitude que de nouvelles façons de faire restent possibles, la foi dans les bénéfices de l’amour, de la sororité et de la fraternité. L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera demeure pareillement au centre de ses lectures déterminantes par sa manière d’interroger nos conflits intérieurs, nos échecs, nos doutes, les mensonges que l’on se raconte à soi-même et nos espoirs.

Vœu de transmission
Les livres portent en eux des milliers de vies, de pays et de personnages auxquels ils nous donnent le privilège d’accéder, pense Valérie Plante. En écrivant la bande dessinée Simone Simoneau (XYZ), illustrée par Delphie Côté-Lacroix, elle souhaite à son tour faire œuvre d’émulation. S’inspirant elle-même de plusieurs trajectoires — elle cite entre autres Janette Bertrand, Louise Harel, Michelle Obama —, elle veut insuffler à d’autres l’importance de suivre sa voie, d’amener ses idées, de marcher avec confiance. Dans le deuxième tome, qui a pour titre Comme des renardes, elle retrace les étapes qui l’ont menée à devenir cheffe de son parti en évoquant notamment le fait de se lancer dans l’arène politique tout en respectant ce en quoi l’on croit. Avec l’expérience maintenant acquise de l’intérieur, notre invitée affirme pourtant ne pas être désillusionnée. « Ça demande du travail, de l’introspection, de se mettre au défi parfois, ça demande du courage aussi parce que ce n’est pas tous les jours facile, précise la femme politique. Une ville évolue dans un contexte social, économique et culturel plus grand que seulement son territoire, mais oui, c’est possible. En fait, c’est ce qui m’a toujours motivée; la politique est pour moi un véhicule pour mettre de l’avant mes valeurs et mes idéaux. » Elle transpose ses paroles aux livres, qui sont eux aussi une manière de communiquer une position, un discours, un projet, une situation. Elle n’hésiterait d’ailleurs pas à s’en servir envers les élus de notre province en leur suggérant Le boys club de Martine Delvaux! Car ce qui importe pour mener une ville telle que Montréal selon Valérie Plante est de bien s’entourer pour entre autres faire face à ce qu’on ne contrôle pas.

Revenant à ses lectures, notre libraire d’un jour a adoré Mélasse de fantaisie de Francis Ouellette, un roman à la langue organique, illustrant bien les vicissitudes des résidents et résidentes d’un quartier montréalais. Conté par le jeune Francis, le récit décrit des héros et des héroïnes d’un quotidien souvent ardu et compliqué. « Toute seule, ma mère pouvait être mauvaise. Ti-Crisse pouvait être maline. Boostées par le gaz de leur amour, elles devenaient une bombe. C’est quand elles se sont mariées que tout a crissé le camp. » Un florilège de tout croches et de mal-aimés forment le portrait d’ensemble de ce livre aussi brutal qu’émouvant. Campé dans un univers complètement autre, Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie a aussi séduit Valérie Plante. Ifemelu part du Nigeria afin d’immigrer aux États-Unis et, par la même occasion, fera connaissance avec le racisme. Elle entreprendra la construction d’un blogue sur le sujet qui remportera beaucoup de succès. L’autrice use tout au long d’un humour corrosif : « Cher Noir non Américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. » Un livre engagé écrit par une autrice féministe qui possède les mots pour dire. Valérie Plante a pris l’habitude d’offrir à son équipe des livres en guise de cadeaux de Noël. Cette année, plusieurs exemplaires de Là où je me terre de Caroline Dawson, un autre roman d’immigration, plus près de nous celui-là, se sont retrouvés entre les mains de ses collègues. Si cela avait été possible, notre invitée aurait volontiers partagé la même table d’un bistro avec Simone de Beauvoir, une des icônes féministes les plus éminentes, et Toni Morrison, une écrivaine afro-américaine primordiale.

L’impact des mots
Valérie Plante achète des tonnes de livres et, pour ce faire, elle aime beaucoup se rendre à La Livrerie, une petite librairie sur la rue Ontario où l’on peut prendre un café, « c’est tout sympathique, c’est comme un cocon, j’invite tout le monde à y aller », dit-elle. Sinon, elle affectionne particulièrement L’Euguélionne, une librairie spécialisée dans les ouvrages féministes et queers, située dans le Village. En ce moment, au nombre de ses lectures, on retrouve La banalité d’un tir de Mali Navia, un premier roman d’une Québécoise portant l’histoire d’une jeune femme hantée par la vie de son père colombien. Il côtoie la biographie Ma vie en trois actes de Janette Bertrand, grande dame ayant démystifié bien des tabous sociaux et tracé la voie pour de nombreuses femmes. Faisant partie de cette trempe de pionnières, Valérie Plante dessine un chemin à la hauteur de ce qu’elle lit, interpellée par un désir de paroles authentiques ouvertes sur un avenir où chacun et chacune peut prendre place.

Photo : © Julie Artacho

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