Et si on remettait en question la façon dont on aborde ce qui semble immuable dans notre quotidien? Et si on faisait le point sur certaines zones d’ombre qui jalonnent pourtant notre mode de vie? Nos habitudes sont-elles les bonnes? Nos réflexes de pensée sont-ils bien posés? Plusieurs ouvrages récents s’interrogent sur notre rapport à l’environnement, aux médias, aux industries, à l’éducation, à la géopolitique, à nos déplacements, à nos liens sociaux. Butinons entre leurs pages pour voir si on ne pourrait pas en tirer de saines habitudes ou d’heureux apprentissages.

UN CLASSIQUE

Photo : © Aline Dubois

Serge Mongeau : un sage à contre-courant
On dit avec raison de cet infatigable militant pacifiste qu’il est le père de la simplicité volontaire au Québec. Impliqué dans de nombreuses luttes sociales, il a également mis sur pied, en 1992 (après avoir été éditeur pour les éditions Québec Amérique et Libre Expression), les éditions Écosociété avec un groupe de militants souhaitant laisser libre cours à la circulation des idées afin de défendre une saine écologie sociale. Formé en médecine (il pratiquera deux ans avant de se détourner de ce métier qu’il juge trop peu axé sur le réel bien-être de la communauté) et en sciences politiques, Serge Mongeau a fait paraître plus de vingt-cinq ouvrages qui ont tous en commun de prendre part aux débats publics : on pense à celui sur le droit à l’avortement dès 1968, à Désobéir et grandir, cet ouvrage collectif sur la décroissance paru en 2007, et, bien entendu, à La simplicité volontaire, en 1985. « L’injustice, la cupidité, le trop grand pouvoir des uns sur les autres, la misère et tant d’autres choses me révoltent. Je suis un rebelle qui n’accepte ni les demi-mesures ni les compromissions », écrit-il dans le premier volet de son autobiographie Non, je n’accepte pas (Écosociété). Son engagement politique demeure, tout au long de sa vie et jusqu’à ce jour, manifeste, et son indépendance idéologique est sans aucun doute ce qui fomente la force de sa pensée.

DES ESSAYISTES D’IMPORTANCE 

Photo : © Sylvain Marier

Maxime Pedneaud-Jobin : le citoyen à la défense des villes
Maxime Pedneaud-Jobin a été conseiller municipal à Gatineau de 2009 à 2013, avant d’en devenir maire jusqu’en 2021. Selon lui, pour améliorer notre milieu de vie, il faut passer par les municipalités, premier palier gouvernemental. Maintes fois récompensé au cours de sa carrière, il se pose en réel défenseur du citoyen, travaillant notamment à la lutte aux changements climatiques, à l’accessibilité au logement et à l’accueil des migrants. Dans son premier essai, Passer de la ville à la cité (Éditions David), il expliquait de quelles façons la participation citoyenne dans nos institutions publiques améliore le monde. Dans Libérer les villes (XYZ), il offre une réflexion approfondie sur la politique municipale au Québec, invitant le gouvernement à une réforme majeure des cadres fiscal et légal dans lesquels les municipalités sont encarcanées, afin de redonner aux Villes le pouvoir qu’elles méritent pour améliorer le milieu de vie des citoyens. C’est également lui qui signe la préface de S’adapter. Demain : Les villes résilientes (Québec Amérique) de François William Croteau, un ouvrage qui se penche sur les mesures à prendre par nos municipalités pour faire face aux changements climatiques, notamment en matière de mobilité et d’aménagement du territoire.

Photo : © Aline Dubois

Philippe de Grosbois : le sociologue des sujets chauds
Sociologue aussi passionné que passionnant, Philippe de Grosbois décortique plusieurs enjeux qui entourent les sujets que sont les médias, le numérique, la culture et les mouvements sociaux. En signant Les batailles d’Internet : Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique (Écosociété), il partageait sa réflexion hautement documentée sur les différents enjeux qui jalonnent le numérique, autant du côté des promesses et développements que des menaces et des dérives, afin de valoriser la liberté de ce réseau de communication décentralisé qu’est Internet tout en nous éloignant de la possible domination par les géants. Il y aborde notamment la propagande à l’ère des médias sociaux ainsi que la mutation du journalisme. Ce dernier sujet, d’ailleurs, est au cœur de son second essai, La collision des récits : Le journalisme face à la désinformation (Écosociété), un ouvrage fascinant qui met en lumière la crise de confiance généralisée envers les médias, dans une ère de « post-vérité », où les structures économiques des entreprises de presse ne tiennent plus la route.

Guillaume Lavallée : le journaliste qui met en mots le clair-obscur
Guillaume Lavallée travaille à l’Agence France-Presse en tant que chef du bureau de Jérusalem responsable de la couverture d’Israël et des Territoires palestiniens. Deux fois finaliste au prestigieux prix international Albert-Londres, qui récompense un reporter de grand talent de la presse écrite, Guillaume Lavallée est un amoureux du terrain, des rencontres humaines, et sait visiblement comment raconter le monde afin de le partager avec émotions à ses lecteurs. Il faut le lire dans Drone de guerre : Visages du Pakistan dans la tourmente (Boréal) pour déconstruire les clichés et découvrir un Pakistan tumultueux, bouleversé, humain. Il faut plonger dans Dans le ventre du Soudan pour comprendre l’histoire du plus grand pays d’Afrique, les luttes pour le pouvoir qui s’y jouent, mais également celles pour l’autodétermination d’un peuple. Et, finalement, il faut mettre le nez dans Voyages en Afghani (Mémoire d’encrier), un savoureux mélange de récit de voyage, d’essai et de polar, qui nous plonge dans le monde musulman, ses idées, son histoire, ses débats, en retraçant la vie du « père de l’islamisme » Djemal ed-Din à travers son parcours au Moyen-Orient et en Inde.

Photo : © A. Dobrowolsky

Gérard Beaudet : l’urbaniste à l’écoute des villes
Il y a cinquante ans, Gérard Beaudet entamait une formation en architecture et en urbanisme à l’Université de Montréal. Depuis, ce sont plus de 200 études et expertises en urbanisme, en patrimoine et en récréotourisme qu’il a menées, plus de 200 colloques auxquels il a participé, plus de 300 entrevues qu’il a données. Véritable expert, Gérard Beaudet a également signé une douzaine d’essais, dont le plus récent, Un Québec urbain en mutation, paraît cette saison chez MultiMondes. Notre époque est celle des bouleversements des milieux de vie, attribuables entre autres aux dérèglements climatiques, et monsieur Beaudet explore dans cet ouvrage les enjeux et défis liés à ce changement de paradigme. On lui doit également deux récents essais qui s’intéressent à la banlieue, Le transport collectif à l’épreuve de la banlieue du grand Montréal (PUL) et Banlieue, dites-vous? (PUL). Curieux de retourner aux bases et de découvrir ce qu’un urbaniste, ce professionnel du milieu urbain qui tente d’infléchir le devenir des villes, fait? On vous invite à plonger dans Profession urbaniste (PUM), où monsieur Beaudet fait le tour de la question, ou encore dans Questions d’urbanisme (PUM), un collectif qui regroupe les réflexions de plusieurs urbanistes sur les enjeux de l’avenir.

EN RAYONS

Pas de lapin dans le chapeau : Coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique
Marie-Ève Martel, Somme toute, 160 p., 21,95$
Comprendre ce qui sous-tend le métier de ceux qui ont comme mandat de nous informer au quotidien n’est pas sans intérêt, bien au contraire. Discerner les fausses nouvelles et cerner en quoi le journalisme est un acteur important de la démocratie font de nous des citoyens avertis. Dans cet essai agréable de lecture, la journaliste Marie-Ève Martel parle de déontologie, mais aussi des assises conceptuelles du journalisme, des instances qui s’offrent au public pour faire valoir son mécontentement devant le travail d’un journaliste, de respect de la vie privée et de bien d’autres points centraux à la profession.

Le sang des arbres
François Landry, Boréal, 272 p., 29,95$
En nous ouvrant les pages de son journal, tenu entre la mi-janvier et la mi-décembre 2022, Landry nous invite à visiter, à ressentir, une nature sauvage, cruelle et bucolique, une nature qu’il chérit, subit et respecte. On le découvre en observateur sensible qui écoute les sizerins blanchâtres; en intellectuel qui réfléchit avec érudition et saine colère; en écrivain qui fait honneur à « cette vieille maîtresse, l’écriture » en choisissant ses mots et idées avec une maîtrise exceptionnelle de la langue. Avec lui, on assiste à la fureur d’une tornade qui détruira sa « cathédrale de verdure », vingt-deux acres dont il prend soin depuis quatorze ans. Pour éviter que l’effondrement végétal en devienne un intérieur, il se mettra au labeur. Et à l’écriture. Avec ce texte, Landry nous pousse à voir la forêt autrement.

La crise de la main-d’œuvre : Le Québec en panne de travailleurs
Éric Desrosiers, Somme toute, 160 p., 18,95$
Le sujet est de toutes les conversations et s’immisce dans notre quotidien : la pénurie de personnel au Québec est un réel problème. En se basant sur des statistiques et des études ainsi que sur quelques entrevues avec des spécialistes, Éric Desrosiers, journaliste économique au Devoir et excellent vulgarisateur, étudie les causes, mais aussi les conséquences, de ce grand débalancement qu’on a vu venir de loin, mais auquel on ne s’est pourtant intéressé qu’une fois les deux pieds dans la problématique.

 

L’université à l’épreuve du temps : Modèles du Québec et d’ailleurs
Louis Maheu, Québec Amérique, 328 p., 29,95$
Le milieu universitaire demeure, sans être le seul, l’un des importants berceaux d’idées qui animent notre époque. Depuis les cent dernières années, comment se portent nos universités devant les risques de dérapages, les attentes extérieures, les défis qui se dressent devant elles? Louis Maheu offre ici un tableau nuancé de l’évolution de ces institutions d’enseignement, notamment en déboulonnant le mythe de la marchandisation du savoir, en abordant les structures de gouvernance et de financement et le respect des libertés universitaires.

La cible : contre-enquête sur la maltraitance médiatique
Marc-François Bernier, Art Global, 300 p., 28,50$
Ce livre-choc, signé par Marc-François Bernier, journaliste mais aussi professeur et chercheur spécialisé en éthique, déontologie et sociologie du journalisme, nous invite à plonger dans les coulisses d’un reportage d’enquête, dont les répercussions furent dramatiques. Bernier s’attarde à la couverture d’un cas de figure précis : celui du Dr Alain Sirard, qui fut la cible de l’émission Enquête et dont le coroner statua que son suicide était notamment lié au battage médiatique qui eut lieu après la diffusion du reportage. En relevant les manquements journalistiques entourant cette affaire, Bernier exerce une vigilance intellectuelle sans complaisance sur « le pouvoir de nuisance des médias quand ils errent, quand ils se livrent à une forme de maltraitance ».

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