Les livres peuvent certes raconter des histoires, mais ils peuvent également prendre part au débat public, relever les incohérences sociales, pointer du doigt les injustices, scander des phrases qui bousculent l’ordre établi. Car la librairie n’est pas qu’un lieu où dénicher de l’émerveillement, elle est aussi un lieu pour apprendre à débattre; là où sur les tablettes des livres bombent le torse pour faire valoir leur point, des auteurs utilisent l’espace qu’offre l’essai, en raison de son volume, pour y exprimer leurs idées au long cours de façon étayée, soutenue et articulée. Mine d’informations pour voir l’envers de la médaille et espace pour oser esquisser des visions à contre-courant, l’essai est assurément l’un des meilleurs outils pour débattre.

UN CLASSIQUE

Louky Bersianik : passer à table avec une pionnière
Véritable pionnière en ce qui a trait à plusieurs aspects du féminisme au Québec, dont le souhait d’une féminisation de la langue française et de l’abolition du patriarcat, Louky Bersianik (1930-2011) construit l’essentiel de sa pensée à travers la fiction. Son roman L’Euguélionne (1976), que l’on retrouve aujourd’hui aux éditions Typo, se révèle être un triptyque d’une audace certaine, empruntant des formes hybrides et qui mêle à la fois les genres de la science-fiction, du poétique, de la légende et de la déclaration formelle appelant à la révolution. Il met en situation une géante venue d’une autre planète qui constate l’état d’aliénation de la partie féminine de la population. Tous les grands sujets y passent, du droit à l’avortement à la prétendue supériorité masculine qui aboutit à la propre mésestime des femmes pour elles-mêmes, et aux dogmes bibliques et psychanalytiques qui les cantonnent au rang de coupables et d’hystériques. Elles seront amenées à transcender des siècles de réclusion en se réappropriant leur généalogie et en créant de nouvelles façons de faire. Dans Le pique-nique sur l’Acropole (1979), et pour faire contrepoids au Banquet de Platon, un groupe de femmes discutent entre elles afin de réclamer une parole originale où sont pris en compte leur corps et leur plaisir, bref, leur présence au monde, principale revendication de l’écrivaine qui fait figure de proue dans l’histoire féministe d’ici. Bien connue pour les romans susmentionnés, Louky Bersianik a également signé des essais dont La main tranchante du symbole, L’écriture, c’est les cris : Entretiens avec France Théoret, et le collectif La théorie, un dimanche (avec Nicole Brossard, Louise Cotnoir, Louise Dupré, Gail Scott et France Théoret), tous chez Remue-ménage.

DES ESSAYISTES D’IMPORTANCE

Photo : © Julie Artacho

Jérémie McEwen : la quête de sens
Enseignant de philosophie, Jérémie McEwen est également chroniqueur à la radio et dans la presse écrite. Son livre Avant je criais fort (XYZ), paru en 2018, se veut un plaidoyer en faveur de la nuance et amène le lecteur à développer son esprit critique en s’appuyant sur divers penseurs et personnalités publiques. Un an plus tard, il propose Philosophie du hip-hop, un essai original qui appréhende ce genre musical à travers une conception vraisemblable du monde et par le fait même démocratise l’approche philosophique. Vient ensuite Pays barbare (Varia) dans lequel l’auteur s’engage sur le chemin du récit, évoquant le souvenir de son père, le peintre Jean McEwen, en même temps qu’il espère une nouvelle vision pour le Québec. Récemment, il s’intéresse au thème de la foi avec la publication de Je ne sais pas croire (XYZ) et réfléchit sur la quête de sens dont l’être humain est animé. Pour ce faire, il fait appel à plusieurs genres narratifs; qu’il utilise le ton plus intime de la confidence ou celui plus argumentatif de l’écriture essayistique, il parvient à susciter un écho chez le lecteur ou la lectrice.

Photo : © Julia Marois

Martine Delvaux : lumière sur la place des femmes
Référence majeure de la pensée féministe au Québec, Martine Delvaux est professeure en littérature et autrice d’essais faisant état de l’écart entre les sexes en matière de droits et libertés. En 2013, elle jette un éclairage pertinent sur Les filles en série (Remue-ménage), objets décuplés se déplaçant à travers l’étendue des fantasmes, mais également ligne de femmes redoutables parées pour la rébellion. Plus tard, en 2019, elle fait une analyse approfondie sur les groupes d’hommes en position de pouvoir dans Le Boys Club et sur les impacts néfastes de cette gouvernance en vase clos. Dans un autre registre, elle publie Le monde est à toi (Héliotrope), texte de filiation qu’elle adresse à sa fille afin de l’amener à entretenir une ouverture clairvoyante sur le monde. Dans la même foulée paraît en 2021 Pompières et pyromanes, qui poursuit l’intention d’allumer chez la jeune génération la mèche de l’action et de l’espoir. Dernièrement, Ça aurait pu être un film met en relief la trajectoire de la peintre méconnue Hollis Jeffcoat. Martine Delvaux a voulu reconstituer le parcours de l’artiste et, par ce livre, souhaite lui apporter la part de lumière qui lui revient.

Photo : © Nans Clastrier

Dahlia Namian : celle qui pointe le déséquilibre
Dahlia Namian est titulaire d’un doctorat en sociologie et professeure à l’École de service social de l’Université d’Ottawa. Ses sujets d’étude portent sur la pauvreté, la santé mentale et l’exclusion et plusieurs articles entourant ces problématiques sont publiés dans divers livres et revues. En 2012, aux Presses de l’Université du Québec, elle fait paraître Entre itinérance et fin de vie : Sociologie de la vie moindre, qui expose les contextes réels de cette situation. Cette année est édité chez Lux La société de provocation, essai qui démontre l’indécence dont font preuve les riches de la planète en faisant délibérément étalage de leur fortune. L’autrice montre à l’aide de multiples exemples le fossé grandissant qui sépare les mieux nantis des plus défavorisés et soutient l’idée que le déséquilibre entraîné par le manque de répartition des biens doit être davantage dénoncé. Ce livre témoigne des injustices encourues par la disparité des richesses et, au-delà, il s’avère un vibrant appel à un peu plus d’humanisme.

Photo : © Simon Dumas/Productions Rhizome

Mélikah Abdelmoumen : une résistante à l’engagement fort et discret
Rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises depuis l’automne 2021, Mélikah Abdelmoumen signe Douze ans en France (VLB éditeur) où elle relate ses années sur le Vieux-Continent. Si les sources de ce livre sont issues de son expérience personnelle, elles servent surtout à relever l’état de terreur vécue par l’autrice et causée par l’ambiance d’un pays marqué par la violence et la xénophobie. Elle y raconte également son implication auprès des Roms d’un bidonville et de l’ostracisme d’un système qui les a pris pour cible. L’an dernier, elle publiait Baldwin, Styron et moi (Mémoire d’encrier), prenant l’exemple de l’amitié qui unissait les deux écrivains, l’un Noir, l’autre Blanc, pour ouvrir la conversation sur le sujet du racisme. Cette saison paraît Les engagements ordinaires (Atelier 10), par lequel l’autrice retrace les combats pour une société plus juste menés de mère en fille et à l’ombre des projecteurs. Avec cette publication, elle rappelle l’importance du militantisme « à la petite semaine » et réitère son serment de résistance contre toute forme d’oppression.

 

EN RAYONS

Porter plainte
Léa Clermont-Dion, Le Cheval d’août, 224 p., 25,95$
Léa Clermont-Dion refait le parcours de la combattante qui l’a menée à dénoncer celui qui l’a agressée sexuellement. Elle relate dans ce récit qui se révèle à la fois personnel, politique et social le déroulement de la traversée juridique et fait ainsi de ce livre un rare morceau d’anthologie. Parce qu’il témoigne de la légitimité des femmes à prendre possession de la parole, ce document pose un important jalon dans l’histoire du Québec et d’ailleurs.

 

La ruée vers la voiture électrique : Entre miracle et désastre
Laurent Castaignède, Écosociété, 184 p., 24$
L’avènement de la voiture électrique et sa popularité sont certes une bonne nouvelle à plusieurs égards, mais n’en comporte pas moins des écueils considérables que l’auteur, ayant lui-même travaillé en ingénierie automobile, s’applique à mettre en lumière. En continuant d’investir dans ce moyen de déplacement, nous perpétuons un mode de vie qui exige le déploiement de plusieurs ressources et empêche la mise en place de solutions alternatives réellement porteuses. Un ouvrage éclairant qui remet en perspective l’impact de nos choix.

Voyage au bout de la mine : Le scandale de la Fonderie Horne
Pierre Céré, Écosociété, 276 p., 25$
Depuis quelques mois, la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda est mise sur la sellette, et pour cause puisqu’elle produit des émanations toxiques affectant la santé de sa population, sans compter les ravages sur l’environnement. L’auteur dresse un rapport minutieux des faits et de la déresponsabilisation des différents acteurs de cette abjection. Refusant de reconduire le silence, Pierre Céré lève le voile sur une situation inacceptable et souhaite que justice soit rendue.

 

La part du gâteau. Agropouvoir-biotechnologie-environnement : enjeux mondiaux de l’alimentation
Sylvain Charlebois, Fides, 144 p., 26,95$
Les enjeux planétaires sont nombreux, dont celui, de haute importance, de l’alimentation. Le besoin primaire de s’alimenter est mis en face des ressources disponibles, entraînant plusieurs tractations et luttes de pouvoir où certains se trouvent entourés d’abondance alors que d’autres peinent à survivre. L’auteur brosse un portrait de la situation internationale actuelle, nous ouvrant les yeux sur un problème plus préoccupant que jamais : la faim.

 

Le douzième juré : La pire erreur judiciaire au Canada
Pierre Béland et Daniel Jolivet, Somme toute, 336 p., 34,95$
Le principe de justice dans notre société repose sur un système faillible, comme le démontre l’affaire Daniel Jolivet. Cet homme, qui purge sa peine depuis plus de trois décennies, clame pourtant depuis le début son innocence dans une affaire de quadruple meurtre. Interpellé par son histoire, Pierre Béland entre en contact avec le supposé meurtrier, condamné par un jury de onze et non douze personnes comme le veut la norme. Par la publication de ce livre, ils souhaitent faire entendre au plus grand nombre la vérité.

Publicité