Francis Dupuis-Déri est-il l’exception qui confirme la règle? Une chose est sûre, en tant qu’homme féministe qui ne craint pas de le dire, il est certainement un allié à la cause comme on aimerait en voir plus souvent. Cette saison, chez Remue-ménage, il fait paraître Althusser assassin et Les hommes et le féminisme, deux ouvrages qui ne font pas de quartier aux pourfendeurs des droits des femmes et qui établissent leurs assises de manière à convaincre les plus endurcis d’entre eux.

Dans votre essai Althusser assassin, vous démontrez que lorsqu’un homme tue une femme, non seulement le discours médiatique évacue-t-il l’aspect social et politique de la violence des hommes contre les femmes, mais il a une lourde tendance à diriger les projecteurs sur le meurtrier plutôt que sur la victime. Cela a pour effet d’invisibiliser la victime tandis que le meurtrier, auquel on accole presque automatiquement la thèse du trouble psychologique, se trouve déculpabilisé. Selon vous, qu’est-ce que cette attitude permet de mettre en lumière sur notre société?
Les féministes ont montré que les hommes célèbres (mais pas seulement) tuant leur conjointe ou ex-conjointe jouissent d’une prime d’empathie. En « crise », dit-on, ils auraient « perdu le contrôle ». Or, j’ai entendu la sociologue Mélissa Blais, spécialiste de l’attentat à Polytechnique en 1989 (voir son livre « J’haïs les féministes! », Remue-ménage), rappeler qu’ils ont en réalité imposé leur contrôle de la plus violente des manières. Elle note aussi que les femmes souffrent également dans notre société, comme vous le savez bien, y compris de peines d’amour. Mais elles n’en font pas un prétexte pour assassiner leur ex-conjoint. Au Québec, les violences conjugales masculines sont bien plus répandues, violentes et meurtrières. C’est un fait social. Althusser et ses proches ont repris la thèse de la folie pour expliquer le meurtre de sa conjointe, Hélène Legotien. Or, il l’a tuée alors qu’elle voulait le quitter, comme c’est si banal pour les féminicides. L’élite culturelle parisienne a préféré le défendre en plaidant sa folie, le présenter comme une victime souffrante et même encenser son autobiographie, pourtant qu’une justification pathétique et révoltante du meurtre par la folie.

Votre livre Les hommes et le féminisme apporte des propos réflexifs sur la part d’engagement des hommes à l’égard de leurs consœurs. Que répondre à un homme qui à brûle-pourpoint affirme que l’égalité est atteinte et que le féminisme n’a plus lieu d’être?
L’inégalité s’évalue aisément en regardant au sommet de l’État et des institutions les plus influentes : grandes fortunes et entreprises, organisations religieuses, médias, universités, sports, police et bandes criminelles. On y trouve en majorité des hommes. Qui a plus d’argent? Les hommes, en général. De meilleurs salaires avec peu d’études? Les hommes dans la construction, par exemple, quittant même l’école pour ces bonnes jobs. À l’inverse, qui travaille gratuitement dans le couple et la famille? Surtout les femmes — et les mères — pour les hommes et le reste de la famille, et parfois la belle-famille. Qui exerce la violence sur qui et a peur de qui dans la rue, au travail, chez soi, et d’être blessé et tué chez soi? Je vous laisse deviner. Malgré les avancées du féminisme, le Québec n’est pas égalitaire.

En tant qu’homme féministe, quelles paroles et quelles actions espérez-vous de vos pairs?
Il faut éviter de penser que notre première idée au sujet des hommes et des femmes est géniale, et qu’aucune féministe n’y a pensé. Il faut donc apprendre des féministes, ce qui est si facile avec tous ces livres, vidéos et autres formats de partage de leurs voix. Je pense sincèrement que sans le féminisme, un homme ne se comprend qu’à moitié. On doit bien sûr être solidaire des femmes, mais aussi se désolidariser des hommes problématiques de notre entourage. Oui, cela implique un coût, pour nous.

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Photo : © Chloé Charbonnier

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