Poète à la langue brute et journaliste décomplexé, puis politicien à l’écoute de son peuple sans égard aux origines et amoureux de sa « renarde », Gérald Godin est une figure d’exception dans le paysage politique québécois. En consacrant une biographie d’envergure à ce « provincial monté en ville », comme le disait Godin lui-même, Jonathan Livernois met en lumière l’étonnante homogénéité des différentes facettes qui composaient cet homme épatant, qui vécut dans l’ébullition culturelle, qui défendit le nationalisme québécois moderne et qui œuvra longuement pour la souveraineté. La biographie Godin nous rappelle ainsi que la force des mots n’est jamais à négliger.

Dans votre biographie, vous revenez sur une entrevue qui a eu lieu à la Bibliothèque nationale en 1988. Vous écrivez : « Il [Godin] s’interroge aussi sur la question de l’authenticité, toujours équivoque chez les personnalités publiques: est-il un vrai politicien? Un vrai poète? Un vrai amoureux? À force de tenir ces rôles, confie-t-il, à force de faire semblant, il est devenu politicien et poète. Il cite de mémoire le fameux faussaire Elmyr de Hory pour appuyer cette idée : “Un faux Modigliani dans un musée après vingt-cinq ans devient un vrai Modigliani.” ». On vous retourne la question : après avoir passé tant de temps à fouiller tout ce qui concerne cet homme aux diverses facettes, quelle est votre opinion? Était-il un vrai politicien, un vrai poète et un vrai amoureux?
Quand Gérald Godin se pose ces questions, il ne fait pas semblant. L’interrogation est sincère. Il constate notamment que la réception de sa poésie a changé depuis qu’on le sait atteint d’un cancer. L’a-t-on vraiment lu? À moins que les mots n’importent plus comme avant. Il devine, peut-être, qu’il est en train de devenir une sorte de personnage de l’histoire québécoise. Il forme un couple emblématique, légendaire, avec Pauline Julien. Ils incarnent la marche du Québec vers… quoi, au juste? Les défaites sont encore amères, en 1988.

En ce qui me concerne, c’est cette incertitude définitionnelle (est-il un vrai poète? Un vrai amoureux? Un vrai homme politique?) qui rend Gérald Godin si singulier dans l’histoire politique et littéraire québécoise. Ami de poètes « patentés » comme Roland Giguère et Paul-Marie Lapointe, il se situe dans une voie plus populaire, parfois moins sérieuse, moins aboutie, même, à mi-chemin entre Jean Narrache et Jacques Prévert. En politique et en amour, il joue parfois les poètes égarés. Et pourtant, il sait très bien ce qu’il fait. Si l’incertitude définitionnelle est réelle, Gérald Godin sait y trouver son parti. Il joue. Comme le disait Réjean Ducharme, dans la merveilleuse préface à la rétrospective poétique de Godin:

Ainsi Gérald, qui n’a jamais eu de voix pour cinq cents (0,05$), s’est pris,/entre autres personnages, pour un poète./Et (ça parle au diable, on ne voit pas/la différence) il chante! En tout cas,/il nous fait entendre des voix. Si justes/par-dessus le marché que, même si on n’a/pas d’oreille, comme moi, on est forcés de les/reconnaître.

Au fil de vos recherches, de vos rencontres et de l’écriture de cet ouvrage, est-ce qu’un élément de la vie de Godin vous a pris par surprise, vous a fait entrevoir cet homme autrement?
Ce qui m’a surpris, c’est la quasi-unanimité autour de sa personnalité. Toutes les personnes que j’ai interviewées (ou à peu près) le considéraient et le considèrent encore comme un homme extrêmement attachant, séducteur, foncièrement intelligent. Pour le biographe, l’unanimité complique les choses! Mais, à tout prendre, elle veut aussi dire quelque chose: la popularité de cet homme repose sur des bases réelles, sincères, authentiques. Ça change du cynisme ambiant…

« Moi, je veux d’abord qu’un député soit une paire d’oreilles. Qu’on soit comme Dumbo, le fameux éléphant de Walt Disney et qu’on écoute ce que le monde a à dire. » Voilà une citation de Godin, de 1976, que vous avez retenue (dans sa version plus longue) dans votre ouvrage. Vous dépeignez ainsi Godin comme un homme à l’écoute du peuple, intéressé par les solutions artisanales (« c’est-à-dire celles qui viennent de la tête du monde, qui sont simples »). Selon vous, les politiciens d’aujourd’hui auraient-ils certaines leçons à tirer de leur prédécesseur qui a fait l’objet de vos recherches? Votre biographie, en ce sens, pourrait-elle participer à élargir le champ des possibles actuels?
Une personnalité comme celle de Gérald Godin serait-elle, aujourd’hui, élue et réélue? Pourquoi pas? Évidemment, les solutions artisanales dont il parle sont peut-être moins à propos à une époque où les milieux de l’éducation et de la santé sont des machines complexes, dont même les artisans peinent à avoir une vue d’ensemble. Mais rappeler que des solutions se trouvent parfois à hauteur d’homme (et de femme) n’est pas une mauvaise chose. La biographie de Gérald Godin peut en témoigner, me semble-t-il.

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Photo : © Justine Latour

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