Parfois les histoires se ressemblent, se répètent. La similitude entre différents événements est frappante. Savoir lire l’histoire, c’est savoir mieux regarder notre avenir, éviter les écueils du passé, chercher à construire le futur. Après avoir regardé dans le rétroviseur, c’est également l’occasion de faire ses angles morts, de s’attarder à des pans de l’histoire qui sont plus près de nous que ce qui aurait pourtant pu nous sembler. C’est aller à la rencontre des peuples premiers, c’est regarder la Russie sous un angle tombé dans l’oubli, c’est tenter de comprendre la prochaine puissance mondiale, c’est définir les territoires et les préoccupations d’un peuple. Les essais que nous vous présentons ici ont tous en commun de lire le passé pour mieux nous aider à nous positionner dans l’époque contemporaine.

UN CLASSIQUE

Photo : © Pedro Ruiz

Serge Bouchard : l’anthropologue conteur
Anthropologue, auteur, animateur de radio, Serge Bouchard (1947-2021) se passe de présentation. Derrière cette figure incontournable du paysage médiatique québécois se cache tout d’abord un chercheur précurseur et passionné, intéressé autant par les Innus que par les camionneurs du Nord-Ouest québécois, auxquels il a consacré respectivement sa maîtrise et son doctorat (matière qu’il a retravaillée en partie, avec Mark Fortier, juste avant sa mort pour en tirer un livre accessible sous le titre Du diesel dans les veines [Lux] et qui fut couronné d’un Prix du Gouverneur général). Conteur de grand talent, tant à l’oral qu’à l’écrit, il a su allier savoir et expérience de vie à un judicieux sens de la métaphore pour aborder avec pertinence les principaux enjeux sociaux et philosophiques de notre époque. Le moineau domestique : Histoire de vivre (Boréal), la trilogie des Remarquables oubliés (en collaboration avec Marie-Christine Lévesque, Lux), Le peuple rieur : Hommage à mes amis innus (Lux), Un café avec Marie (Boréal)… Quiconque a déjà entendu sa voix grave et chaleureuse, rassurante comme pas une, ne peut s’empêcher de l’avoir en tête en lisant les nombreux essais qu’il nous a légués. Serge Bouchard est un penseur phare dont la sagesse continuera longtemps à nous nourrir.

DES ESSAYISTES D’IMPORTANCE

Photo : © Rémy Boily

Jacques Lacoursière : le passeur d’Histoire
Vulgarisateur hors pair, Jacques Lacoursière (1932-2021) a su donner la piqûre de l’histoire du Québec à plusieurs générations. Avec les fascicules Nos racines, distribués dès 1972 dans les épiceries, puis avec son Histoire populaire du Québec en cinq volumes (Septentrion) de 1995 à 1997, il nous a légué une œuvre colossale, dont le grand mérite est de revisiter notre passé avec rigueur et un sens affûté du récit. Outre sa contribution livresque, Jacques Lacoursière a également participé à la création de la revue Boréal express (à l’origine des Éditions du Boréal) ainsi qu’au développement des éditions Septentrion, en plus d’avoir été consultant sur plusieurs documentaires et séries. Parce que c’est en comprenant d’où l’on vient que l’on peut choisir où l’on va, cet historien autodidacte nous a fait un précieux cadeau qui lui mérite une place au chaud dans notre mémoire.

Photo : © DR

Pierre Nepveu : le géographe de la littérature québécoise
Professeur, poète, romancier et essayiste émérite, Pierre Nepveu est l’auteur d’une œuvre riche et multiforme où les rapports entre territoire et écriture occupent une place cruciale. Par son analyse audacieuse de la littérature québécoise moderne comme espace éclaté et pluriel, irréductible au seul récit nationaliste, son ouvrage L’écologie du réel : Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine (Boréal) a marqué durablement plusieurs générations de chercheurs et chercheuses et d’étudiant.es. Avec ses essais Intérieurs du Nouveau Monde (Boréal), Lectures des lieux (Boréal), et plus récemment Géographies du pays proche : Poète et citoyen dans un Québec pluriel (Boréal), Nepveu a bâti une véritable approche géographique de l’écriture, qui voit en elle le moyen de tisser des liens, politiques comme intimes, avec notre environnement. De plus, avec Marie-Andrée Beaudet, il se consacre depuis près de vingt ans à l’édition de l’œuvre éparse de Gaston Miron, dont il a signé la biographie en 2011.

Photo : © Radio-Canada Québec

Catherine Ferland : celle qui nous donne rendez-vous avec l’histoire
Catherine Ferland est une historienne à qui l’on doit plusieurs contributions médiatiques (Aujourd’hui l’histoire, La voie agricole, Le Devoir, etc.) en plus de la création de l’événement des Rendez-vous d’histoire de Québec. Son expertise liée à des sujets originaux fait d’elle une docteure en histoire dont les livres trouvent facilement un large public: la consommation d’alcool en Nouvelle-France dans Bacchus en Canada (Septentrion), l’industrie de l’alimentation avec Les biscuits Leclerc : Une histoire de cœur et de pépites (Septentrion), la mort dans 27 faits curieux sur la mort d’hier à aujourd’hui (Les Heures bleues) ou encore les légendes dans La Corriveau : De l’histoire à la légende (Septentrion). Elle offre également pour un public jeunesse des ouvrages chez Auzou qui, richement illustrés, font revivre avec une plume passionnée et des exemples bien choisis des figures historiques d’importance : 15 destins incroyables de l’histoire du Québec et 15 femmes qui ont fait l’histoire du Québec.

Simon Harel : penser la littérature et les appartenances culturelles
Professeur en littérature comparée à l’Université de Montréal, Simon Harel a consacré sa brillante carrière intellectuelle à l’étude des récits de soi et de l’altérité, en particulier à travers la figure du migrant. Publié en 1989, son ouvrage précurseur Le voleur de parcours : Identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine (XYZ) s’intéressait au rôle de « l’étranger » dans la définition de la culture québécoise moderne. Les passages obligés de l’écriture migrante (XYZ), ou Braconnages identitaires : Un Québec palimpseste (VLB éditeur), de même que de nombreux articles et chapitres d’ouvrages collectifs, approfondissent cette réflexion en explorant les multiples facettes de notre rapport à l’identité et cherchent à dépasser les cases dans lesquelles nous circonscrivons les appartenances culturelles. Actuellement, Simon Harel poursuit ses passionnantes recherches au sein du Laboratoire sur les récits du soi mobile (LRSM), qu’il dirige.

 

EN RAYONS

L’autre Russie
Henri Dorion, MultiMondes, 160 p., 24,95$
Le lecteur déambulera dans ce livre comme dans un voyage, à la fois sur le territoire russe mais aussi à travers son histoire géopolitique et son histoire de l’art, de la littérature. Car, comme le rappelle l’auteur dont la mère et la grand-mère sont nées en Russie, « il ne faut pas confondre “armée russe” et “peuple russe” ni ignorer le fossé qui sépare les dirigeants et la population ». Il y présente ainsi des réflexions entourant une nation pétrie d’histoire et de culture, une façon de voir autrement ce pays en ces temps de guerre envers le berceau qui l’a pourtant vu naître.

Nikanik e itapian : Un avenir autochtone « décolonisé »
Sipi Flamand, Hannenorak, 74 p., 12,95$
Dans ce court ouvrage, l’essayiste atikamekw nehirowisiw propose de revitaliser les philosophies traditionnelles, notamment par le biais du concept des Sept Feux, qui prône des décisions qui considèrent les sept générations qui suivront. Ainsi, l’histoire collective autochtone peut être mise à profit pour la suite d’un monde, meilleur, qui soutient une cohabitation saine dans un esprit de cogestion, de collaboration et de partenariat. Un avenir décolonisé, donc, qui s’inspire du passé pour mieux établir un futur viable pour tous.

Le XIXe siècle américain : De la déportation des Autochtones à la guerre civile
Mylène Desautels, Septentrion, 180 p., 17,95$
Issu de la collection inspirée par l’émission radiophonique Aujourd’hui l’histoire, cet ouvrage propose des fenêtres par lesquelles plonger dans différents moments phares du XIXe siècle des États-Unis grâce à des récits qui savent captiver l’auditoire. Y sont ainsi abordés huit points d’ancrage de l’histoire qui expliquent en partie l’actuel pays, dont le président Andrew Jackson et ses paradoxes; l’effroyable « Piste des larmes », cette déportation de 80 000 membres des nations autochtones sur parfois plus de 3 500 km; ou encore la rébellion de cinquante-trois Africains enchaînés sur le bateau La Amistad qui, en 1839, « profitant d’une nuit sans lune », se révoltent.

Le duel culturel des nations
Emmanuel Lapierre, Boréal, 208 p., 27,95$
Dans cet essai qui propose un regard neuf sur le nationalisme québécois, Emmanuel Lapierre convoque autant des philosophes (Hans Kohn, Hannah Arendt et Johann Gottfried Herder) que des littéraires (Alfred Kazin, An Antane Kapesh et Jean Bouthillette) et des institutions sportives (Le Canadien de Montréal) pour expliquer comment l’émancipation d’un peuple passe par sa volonté de connaître son identité nationale. C’est à la fois frais et plein d’émotions!

 

Les angoisses de ma prof de chinois
Jean-François Lépine, Libre Expression, 336 p., 32,95$
Depuis quarante ans — soit depuis son arrivée dans le pays comme correspondant dans les années 1980, en passant par son rôle de diplomate de 2015 à 2021, jusqu’à ce jour comme expert —, Jean-François Lépine pose un regard intéressé et curieux sur la Chine. Dans cet essai passionnant où il partage avec nous son amour de la culture, de la langue et de ce peuple « industrieux, ambitieux et bon vivant », il montre l’ascension étonnante de ce pays comme nul autre pareil. Et il le fait au moment où la Chine est en voie de devenir la première puissance mondiale et que « nous nous campons dans une ignorance et une méfiance qui ne font que diminuer notre position face à elle ». Il nous offre ainsi l’occasion de la découvrir, de l’intérieur, grâce à ses expériences ainsi que de nombreux témoignages de proches chinois.

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