Véritable hommage au territoire, Douze arpents de Marie-Hélène Sarrasin invite le lecteur dans une histoire à saveur de terroir, où Marine reçoit en héritage une petite maison sise dans un village d’à peine mille habitants. Elle s’installe avec joie dans cette demeure appartenant jadis à une herboriste, réalisant ainsi son rêve de retour à la terre, et y découvre un écosystème coloré, autant sur le plan de la flore que de celui de ses habitants. Dans sa narration qui alterne entre deux époques, l’autrice dépeint des villageois aux prises avec le progrès qui tente de s’immiscer à coups de chantiers – là ferroviaires, là de lotissements – sur les terres de Saint-Didace. Avec des touches de thriller, de réalisme magique et de roman du terroir, Marie-Hélène Sarrasin offre un ouvrage sensible.

Il y a beaucoup d’intertextualité liée à des ouvrages québécois classiques, dont plusieurs issus de la littérature du terroir, dans votre livre. Votre personnage est une ancienne libraire, ce qui permet de justifier avec aisance l’apparition de ces titres glissés ici et là. Que pensez-vous de la littérature du terroir et qu’en appréciez-vous? En quoi votre roman s’inscrit-il en parallèle de cette littérature selon vous?
La littérature du terroir fait référence à plusieurs classiques québécois et elle est enseignée au cégep, mais je me demande à quel point elle est lue en dehors du contexte scolaire. Pourtant, elle parle de ce que nous sommes : sculptés par le passage des saisons, la grandeur des paysages, et imprégnés des histoires tissées à même nos collectivités.

Le roman du terroir que je préfère est Trente arpents de Ringuet et il a influencé mon écriture à plusieurs niveaux. C’est le cas pour le titre, pour le découpage du roman en saisons, mais aussi pour la thématique du progrès qui se mesure à celle de la terre et de l’enracinement.

Une petite touche de réalisme magique se glisse à certains endroits dans votre roman, notamment grâce à cette Rose qui s’enracine tranquillement dans son jardin au point de ne plus en bouger du tout; et à ces Commères qui tissent des courtepointes de mensonges ou qui recouvrent le village de leur tricot protecteur. Quand vous est venue l’idée, en cours de rédaction, d’insérer des éléments non réalistes à votre texte? Et pourquoi? [Personnellement, j’adore!]
J’aime les romans réalistes, mais j’aime aussi quand les auteurs se permettent l’imaginaire. C’est quelque chose que j’ai retrouvé chez différents auteurs qui m’ont marquée. Je pense à Eric Dupont, à Michel Tremblay, à Christian Bobin, à Catherine Leroux, à Marie Hélène Poitras et à Haruki Murakami. Le réalisme magique a été une façon de me rattacher à l’univers des contes et légendes et une manière de rendre bien vivant le territoire. C’est aussi un genre qui, pour moi, se rapproche de la poésie. Comme elle, le réalisme magique dit et montre le monde sous un autre angle que celui de l’habitude.

Votre roman traite de la question de la perte des villages au détriment du progrès, de l’accroissement, de la nature qui ne veut pas disparaître sous le béton des villes. Les deux histoires en parallèle, à deux époques distinctes, traitent du même sujet, mais de deux façons différentes. Pourquoi ce choix de parallélisme? Une époque ne naît pas d’elle-même. Les enjeux que nous vivons aujourd’hui sont enracinés dans le passé. C’est vrai pour les changements climatiques, pour notre dépendance à la technologie. C’est aussi vrai pour l’urbanisation, la foi aveugle dans le progrès. Traiter le même sujet à deux époques différentes permet de prendre un pas de recul.

Votre roman regorge de nom de plantes, d’informations à leur sujet. Quels ont été vos outils à cet effet lors de la rédaction? Vous aviez déjà beaucoup de connaissances en botanique et en jardinage ou vous avez consulté des sources externes?
Marine, la protagoniste, est née dans une serre. Ce n’est pas mon cas, mais j’ai passé une bonne partie de mon enfance dans les serres de mes parents, à Saint-Didace, et à leur boutique de fleuriste. J’ai longtemps nié cet univers en me projetant dans la ville, mais les racines ont fini par faire leur chemin. Aujourd’hui, je demeure à Saint-Gabriel-de-Brandon, sur un grand terrain où je cultive des jardins. Comme j’enseigne au collégial, mes vacances d’été me permettent de plonger dans l’écriture et la végétation.

J’ai beaucoup appris sur la botanique et le jardinage par intérêt personnel, donc. Bien sûr, l’écriture de Douze arpents a demandé que j’approfondisse certaines choses et que j’effectue des recherches en herboristerie. C’est pour cette raison que j’ai rencontré Diane Mackay, des Jardins du Grand-Portage de Saint-Didace. Pour moi, la fantaisie qu’amène le réalisme magique n’est pas une porte vers l’invraisemblance. Je voulais que ce que j’écris fonctionne aussi sur le plan technique. Dans mes descriptions, il faut que les fleurs se pointent à la bonne saison et que les effets des plantes médicinales soient justes.

Quelle a été l’implication de Roxanne Bouchard et Fanie Demeule dans votre projet d’écriture, deux autrices que vous nommez en fin de livre? La filiation littéraire de femme à femme vous semble-t-elle naturelle et essentielle?
Roxanne Bouchard est mon amie et collègue de bureau au Cégep régional de Lanaudière à Joliette. Depuis mon premier recueil de poésie en 2012, elle fait partie de mes premiers et précieux lecteurs. Je suis particulièrement reconnaissante pour son accompagnement dans le passage de la poésie au roman. Ce n’est pas si simple!

Dans notre première discussion pour le roman, Fanie Demeule m’a tout de suite parlé de combien le jardin pouvait être un monde dans lequel on oublie tout le reste. J’avais trouvé mon éditrice! J’aime aussi beaucoup l’univers de ses romans, son écriture qui fait basculer dans l’inquiétant. C’est vraiment un plaisir de travailler avec elle. D’ailleurs, il semblerait qu’on récidivera…

En quoi le territoire fait-il partie intégrante de votre démarche d’autrice? Car ce dernier est également très présent dans Géographie en courtepointe, mais aussi Maison transatlantique et Nos banlieues.
Je me rends compte que mon écriture habite le territoire et qu’elle bouge avec moi. Quand j’ai écrit mon premier recueil de poésie, j’habitais Montréal et m’apprêtais à déménager à Saint-Paul, espèce de croisement entre le village et la banlieue (de Joliette). Géographie en courtepointe s’inscrit dans les deux villes. Maison transatlantique évoque plus les lieux de passage, ceux dans lesquels on voyage. Nos banlieues revient avec l’exploration de la banlieue que j’avais aussi travaillée pour une exposition multidisciplinaire et collective sur ce thème, à la Maison des arts de Laval (Banlieue!, 2015). J’ai maintenant quitté la banlieue pour la campagne. Douze arpents se passe dans le village voisin du mien. Saint-Didace est mon lieu de naissance. Et je voulais qu’il s’inscrive dans le paysage littéraire.

Photo : © Roxanne Bouchard

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