Bien qu’elle demeure grandiose, la rentrée étrangère est en baisse de 5% par rapport à l’an dernier en ce qui concerne le nombre de parutions. Selon les données d’Electre, ce sont 466 romans qui paraîtront cet automne, dont 16% sont signés par des primo-romanciers. Mais, trêve de chiffres et place aux lettres : c’est sous le signe de l’inventivité que se positionne cette rentrée!

À surveiller

La cité de la victoire
Salman Rushdie (trad. Gérard Meudal) (Actes Sud)
Ici, une jeune femme donne vie, grâce à son souffle narratif et à une poignée de graines plantées en terre dont surgiront non pas des fleurs mais des humains, à un réel empire qui connaîtra la gloire, puis sombrera. Entre mythe et roman d’aventures — pour cet aspect, The Washington Post l’a comparé à une version indienne de Game of Thrones —, ce roman incarne les grandes aspirations humaines, ces domaines empreints d’espoir pour un monde meilleur. Avec ce roman, Rushdie revient à son écriture sur les mythes, y saupoudre son merveilleux et sa magie, pour mieux y décrire l’importance de la résilience des femmes et de l’égalité nécessaire.

 

Éden
Audur Ava Ólafsdóttir (trad. Éric Boury) (Zulma)
L’autrice de Rosa Candida nous offre cette fois une ode au retour à la terre. Elle met en scène une linguiste qui choisit de quitter les cercles littéraires, de tout abandonner, pour mettre ses efforts sur la création d’un potager sur ce terrain de sable noir et de lave qu’elle a acheté, au fond de l’Islande désertique. En prime, une petite maison délabrée y est aussi installée. Éden, c’est également une déclaration d’amour à la langue islandaise par une autrice qui sait la maîtriser comme personne. En librairie le 18 octobre

 

L’enragé
Sorj Chalandon (Grasset)
Le journaliste et auteur Sorj Chalandon raconte ici l’histoire « d’un enfant battu qui [lui] ressemble. La métamorphose d’un fauve né sans amour, d’un enragé, obligé de desserrer les poings pour saisir les mains tendues ». Il plonge dans la peau d’un jeune de 13 ans qui a réellement existé et qui, en 1934 et avec cinquante-cinq autres enfants, s’est enfui de la colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer, derrière les barreaux de laquelle il était. Un lieu où les enfants sont loués pour des corvées, où leurs nuits ne sont pas tranquilles, où ils ont faim et sont sales. Une histoire terrible de non-amour, dont Chalandon trouve à la perfection comment sonder l’âme des personnages qu’il restitue.

 

Sarah, Susanne et l’écrivain
Éric Reinhardt (Gallimard)
On lui connaît de grandes fresques, des histoires dont l’ample déploiement montre l’ambition des grandes émotions. Avec ce roman nouveau, Reinhardt explore les liens qui peuvent parfois se créer entre un lecteur et un écrivain et les turbulences liées à la recherche de la juste place qui nous revient dans la vie. Dans ce roman, un écrivain raconte à Sarah, une de ses lectrices, l’histoire qu’il est en train d’écrire, mettant en scène une certaine Susanne. Pour le lecteur de Reinhardt, Susanne et Sarah ne formeront bientôt qu’une seule et même figure féminine à la recherche de ce qui lui revient, peu importe le prix.

L’étoile du matin
Karl Ove Knausgaard (trad. Loup-Maëlle Besançon) (Denoël)
C’est le retour de Karl Ove Knausgaard à la fiction, après un énorme et fascinant cycle autobiographique (Mon combat), une série portant le nom des saisons et son essai sur Edvard Munch. Son roman nous transporte ainsi dans une station balnéaire norvégienne, lors d’un été étonnamment chaud, où une immense étoile apparaît dans le ciel et, dans son sillage, d’étranges événements qui s’ensuivent. Neuf personnages composent ce récit choral qui flirte avec l’apocalypse, des personnages qui ont — malgré leur âge et leur parcours pourtant ô combien différents — tous un petit quelque chose à voir avec l’auteur lui-même. Un livre qui transgresse la réalité et nous rappelle la beauté de la plume de Knausgaard.

 

La contrée obscure
David Vann (trad. Laura Derajinski) (Gallmeister)
Plutôt que de sonder cette fois la complexité des liens familiaux (on pense à Komodo, à Goat Mountain, à Sukkwan Island, etc.), Vann plonge dans la vie de ses ancêtres cherokees. Une double trame narrative permet d’apprécier ce roman : d’une part, un récit plus prosaïque relatant l’avancée en terres marécageuses, et hostiles, d’un conquistador espagnol avide de pouvoir et sans respect des vies humaines des Autochtones qu’il croise sur sa route; d’autre part, une cosmogonie liée aux peuples premiers et embrassant le mythe de l’enfant sauvage assoiffé de sang et semeur de chaos. Faut-il réellement détruire pour mieux construire?

 

Samsara
Patrick Deville (Seuil)
Patrick Deville (Peste & Choléra) entraîne son lecteur dans une vaste fresque, qui fait cette fois la route de l’Inde coloniale à l’Inde indépendante, de 1860 à nos jours, aux côtés de deux héros, le pacifiste Gandhi et le révolutionnaire, et cosmopolite, Khankhoje. Reconstitution par des géographes, historiens, écrivains et étudiants, de gens dont les noms figurent dorénavant dans l’Histoire, ce roman retrace l’évolution d’un pays fascinant, et dont les bouleversements terribles furent nombreux. En librairie le 6 octobre

 

Trois âmes sœurs
Martina Clavadetscher (trad. Raphaëlle Lacord) (Zoé)
Dans ce roman gigogne épatant, récompensé du Prix suisse du livre 2021 pour sa version originale allemande, l’écriture est brillante et le propos est profond, remettant en question l’intelligence artificielle. Il présente trois histoires qui s’imbriquent, met en scène trois femmes aux destins liés : une dont le rôle est d’amuser la galerie et de tenir maison dans une prison dorée à New York, une ouvrière dans une usine de poupées pour adultes en Chine, et la brillante mathématicienne Ada Lovelace. Qu’ont en commun ces trois femmes? Rien de moins banal que ceci : l’invention de l’insoumission. En librairie le 10 octobre

 

Tasmania
Paolo Giordano (trad. Nathalie Bauer) (Le bruit du monde)
L’écrivain italien Paolo Giordano (La solitude des nombres premiers) propose avec Tasmania un roman tissant habilement des liens entre les changements climatiques et les soubresauts des relations amoureuses, faisant s’entrechoquer des éléments issus de l’universel à d’autres, beaucoup plus intimes. On croise dans Tasmania un physicien épris d’aventures, un climatologue spécialiste des nuages, une reporter atypique et un prêtre amoureux. Le personnage principal est journaliste — et écrivain — et doit couvrir un sommet sur le climat, en 2015.

 

À mon frère
E. L. Karhu (trad. Claire Saint-Germain) (La Peuplade)
Voilà un premier roman particulier et ô combien envoûtant, dont l’histoire déstabilisante nous plonge aux côtés d’une jeune fille solitaire à l’esprit unique, qui est en totale admiration avec son frère, dont elle partage l’appartement. Cette affection envers lui la pousse à tout faire pour que ses relations, avec ces « possibelles » qu’il rencontre les unes après les autres, ne puissent se concrétiser… Roman noir d’autodestruction, ce texte se démarque par la plume de la dramaturge qui le signe, par son don de mettre en scène une antihéroïne que le lecteur est obligé de suivre, alors que tous les contrastes — beauté/laideur, intelligence/simplicité, popularité/solitude — jouent contre elle.

 

Demain, et demain, et demain
Gabrielle Zevin (trad. Aurore Guitry) (Fleuve)
Demain, et demain, et demain a été décrit comme le livre-phénomène de 2022 aux États-Unis par les plus grands journaux. Cette histoire qui se déroule dans les années 1980 à 1990 est celle d’un feu qui a embrasé deux jeunes étudiants dans la vingtaine qui ont mis sur pied un jeu vidéo qui a fait sensation. Ils deviennent des stars, s’enrichissent, se butent au piège de l’ambition… Leur relation est profonde, mais leur besoin d’aimer aussi. En plongeant dans cet univers du rétro-gaming, mais surtout dans celui d’une relation interpersonnelle qui s’échelonne sur plusieurs années, l’autrice offre aux lecteurs un roman puissant empreint d’émotions et de remises en question.

 

La messagère
Thomas Wharton (trad. Sophie Voillot) (Alto)
L’éblouissante plume de Thomas Wharton (Un jardin de papier) est à nouveau à son sommet avec cette fable écologique aux accents fantastiques. Tout est mis en place pour en faire une bonne intrigue : une mine à ciel ouvert qui extraie du minerai fantôme capable de modifier le fil du temps, une zone interdite, une disparition, des trébuches qui ouvrent des failles temporelles… Et que viennent faire ces nuées d’oiseaux? Aideront-ils les hommes à surpasser leur bêtise?

 

 

Le jour et l’heure
Carole Fives (JC Lattès)
Toute une famille, dont les quatre enfants sont maintenant des adultes, embarque dans une Peugeot sept places, en route vers la Suisse. C’est que la mère de famille s’y rend pour recevoir l’aide médicale à mourir, qui y est légale. Plusieurs des enfants sont médecins, mais que connaissent-ils vraiment de la mort, eux qui sauvent des vies? Ainsi, le temps d’un dernier week-end, la famille sera soudée pour un ultime moment. Carole Fives signe ici un roman choral « tendrement piquant », comme l’a écrit Livres Hebdo, qui donne voix à ceux qui restent, à leurs expériences nuancées. En librairie le 9 octobre

 

Tainna
Norma Dunning (trad. Daniel Grenier) (Mémoire d’encrier)
Norma Dunning nous avait charmés avec Annie Muktuk et autres histoires (qui paraît d’ailleurs en poche en septembre). Elle revient cette fois avec Tainna, déjà couronné d’un Prix du Gouverneur général dans sa version originale, un nouvel opus chargé d’authenticité et d’humour, où, plutôt que de dépeindre le Nord, elle s’attarde cette fois à la vie des Autochtones en milieu urbain. Ceux à qui elle donne une voix proviennent de différents milieux — riches ou sans-abri, âgés ou jeunes —, mais qui sont tous confrontés au racisme et à la discrimination. Il y a de la colère et de la tristesse, mais aussi beaucoup d’humour, de beauté et d’espoir.

Sauvage
Julia Kerninon (Annika Parance Éditeur)
Julia Kerninon, dont la plume a quelque chose d’ensorcelant depuis la parution de Buvard en 2013 (prix Françoise-Sagan et prix René-Fallet), continue ici son exploration des tourments existentiels des femmes. Quel chemin choisir entre sa passion, sa carrière et sa famille? Briser les liens qui nous retiennent ou embrasser les tutelles et s’y développer autrement? Comment être femme et libre de sa vie? Dans ce nouveau roman, on est aux côtés de l’Italienne Ottavia, qui rêve de devenir une grande cheffe et d’avoir son propre restaurant. Le lecteur assistera aux questionnements de ce personnage, mû par une sauvagerie profonde, sur la prise de risque et le rôle du destin. En librairie à la mi-octobre

Des retours attendus
Amélie Nothomb offre en 2023 Psychopompe (Albin Michel), son « autobiographie en tant qu’oiseau », comme elle l’a elle-même qualifiée. Avec ce roman s’articulant autour du thème de la mort perçue comme une frontière poreuse, elle explique son propre passage de l’œuf à l’oisillon — un engoulevent oreillard, pour être précis sur l’espace en lequel elle se reporte — alors que la coquille a explosé lors d’une agression qu’elle a subie dans le golfe du Bengale, alors qu’elle avait à peine 12 ans. Dans ce roman autobiographique, elle y décrit sa sidération, tout comme sa découverte de l’oiseau en elle.

Avec Chaleur humaine (Albin Michel), Serge Joncour propose de revenir en plein confinement. Entre dérèglement climatique et peur du virus, ce roman ne parle pas de la COVID, mais bien de la vie qui s’étire et s’étiole, de l’harmonie avec la nature. Une famille se trouve rassemblée dans le sud de la France, alors que la pandémie sévit : les trois sœurs y rejoignent ainsi leur frère, resté dans ce lieu de leur enfance. Mais ce sont trois chiots, rapportés par un homme de ferme, qui viendront bouleverser l’équilibre plus que précaire de cette smala aux relations complexes.

Tandis que Philippe Delerm nous invite à nouveau à réfléchir aux moments qui font la poésie du quotidien — passer le doigt sur une vitre embuée, le jaillissement du paysage à la sortie d’un tunnel ferroviaire — dans Les instants suspendus (Seuil), Olivier Adam publie un premier recueil de poésie, très narrative, chez Bruno Doucey. Dans Personne n’a besoin de savoir, il offre des mots empreints d’urgence, de quotidien, de tendresse et de ces petites choses qui nous retiennent à la vie. Ocean Vuong, l’auteur d’Un bref instant de splendeur, fait aussi paraître un recueil de poésie (Le temps est une mère, Gallimard) qui explore les conséquences du deuil de sa mère et qui met en relief les paradoxes de ses origines vietnamiennes. Autre récit de deuil que celui que raconte Alexandre Jardin dans Frères (Albin Michel), l’histoire de son demi-frère, un homme sans limites comme bien des personnages de l’auteur, une histoire drôle parfois, mais tragique, grande, sacrée, triste aussi, car son frère s’est suicidé il y a trente ans.

Ceux qui avaient adoré Une soupe à la grenade seront heureux de retrouver les trois sœurs iraniennes installées en Irlande créées par Marsha Mehran, avec Eau de rose et soda bread (Éditions Philippe Picquier), la suite tout aussi chaleureuse. Cette fois, une des sœurs tombe amoureuse, une découvre la foi, et l’autre le sexe. Mais il est surtout question des séquelles que le manque de liberté et le patriarcat peuvent laisser sur des femmes et leurs corps.

À lire aussi
Le grand secours, Thomas B. Reverdy (Flammarion)
Journal d’un scénario, Fab Caro (Gallimard)
Les heures heureuses, Pascal Quignard (Albin Michel)
La bague au doigt, Eva Ionesco (Robert Laffont)
Café et cigarettes, Ferdinand Von Schirach (Gallimard)
Manhattan Project, Stefano Massini (Globe)
L’Échiquier, Jean-Philippe Toussaint (Minuit)
Le Château des Rentiers, Agnès Desarthe (L’Olivier)

 

Les forces de la nature
Dans Étraves de Sylvain Coher (Actes Sud), on plonge dans un monde où la Terre est presque entièrement recouverte d’eau et où une communauté s’est formée sur un grand bateau. La mort de la mère d’un jeune marin viendra bouleverser l’équilibre, car, pour l’enterrer dignement, il faudra s’enfuir, quitter le navire. Les amoureux du nature writing tomberont sous le charme de Clara Arnaud, autrice de Et vous passerez comme des vents fous (Actes Sud), qui nous entraîne aux côtés d’une éthologue qui tente de faire sa place dans une équipe d’hommes en pleines montagnes pyrénéennes, alors que la menace d’une ourse qui attaque avive les tensions et maintient le lecteur captif.

 

Secrets de famille
Les secrets de famille ont toujours la cote en littérature, leurs tourments et revirements venant exacerber de fortes émotions universelles. Cette saison, c’est aux côtés de Zeruya Shalev, dans Stupeur (Gallimard), que s’ouvre le bal : sur son lit de mort, un père confie un secret à sa fille, à savoir le nom de sa première épouse. Impossible, pour celle à qui vient d’être révélée l’information, de ne pas partir à la recherche de l’énigmatique amour de jadis de son père. Du côté d’Éric Fottorino, c’est un récit autobiographique qu’on lit dans Mon enfant, ma sœur (Gallimard), alors qu’il part à la recherche de sa sœur aînée, placée, bébé, dans une institution religieuse. Dans Les silences des pères (Seuil), Rachid Benzine envoie un fils sur les traces de son défunt père, lequel avait également laissé derrière lui les traces du sien. Avec ces hommes de peu de mots dans sa lignée, le fils entreprend de comprendre ces silences et suivra la route des mines de charbon, usines, camps de harkis et terres multiples qui recèlent des réponses. Et que serait la vie de famille sans aborder le mariage? La splendide Madame Nielsen explore les abîmes de cet engagement dans Lamento (Noir sur Blanc), un récit où l’artiste danoise explore la passion, l’impitoyable quotidien, les défis de l’amour.

À lire aussi
Le Portrait de mariage, Maggie O’Farrell (Belfond)

 

Des fictions qui osent
L’histoire en déconcertera probablement plus d’un et il faut voir là le potentiel de la littérature pour nous entraîner dans des fictions, bien loin du réel, mais dont les émotions qui en ressortent le sont, elles, pourtant. Dans La troisième main, d’Arthur Dreyfus (P.O.L), le narrateur propose de nous offrir un journal de son existence, en mode confessions et dans une langue toute de classique habillée. Alors qu’il n’est encore qu’un enfant, la guerre éclate. Un scientifique fou et sagace le kidnappe et lui greffe un bras, velu comme celui d’un homme, là où son nombril devrait se trouver. L’homme de science sans morale cite alors Mme de Staël : « Comme rien n’est si difficile que de créer, il faut le plus souvent greffer une institution sur une autre »… Cette main, la troisième donc, remue de façon autonome sur cet être qui devra l’apprivoiser pour en faire son gagne-pain, faisant de la magie sur les planches d’un cabaret. Cette greffe fera-t-elle de lui un homme monstrueux?

Maintenant, imaginez : vous entrez dans une salle de cinéma, au bord du burn-out. Une femme y est assise et vous n’êtes que les seuls spectateurs. Lorsque le film commence, c’est à vous qu’il s’adresse, vous posant des questions sur votre vie, votre famille, votre travail… Mais en sortant, voilà que le gérant dit qu’aucun film n’a été projeté… Le roman s’appelle L’expérience, est écrit par Maurice Barthélemy (Plon) et pique drôlement la curiosité!

Dans le Jardin des oubliés (Gaïa) de Mouloud Akkouche, un homme vit seul sur une île dont il est régisseur, depuis dix ans, sans rien savoir du monde qui l’entoure. Des corps sont parfois rapportés par les marées, ne laissant rien présager de bon notamment en raison de ce même tatouage qu’ils arborent tous. Mais un jour, une femme, bien vivante, échoue sur cette île. Mais elle a perdu la parole, comme ses souvenirs… L’histoire d’une étrange cohabitation, pleine de poésie.

On se tourne vers J’ai 8 ans et je m’appelle Jean Rochefort, d’Adèle Fugère (Buchet-Chastel), un premier roman, où les vrais mots de l’acteur Jean Rochefort se retrouvent dans la bouche d’une écolière. « C’est inventif, poétique et drôle », en dit l’éditeur!

Peut-être serez-vous également désarçonné par Une odeur de sainteté de Franck Maubert (Mercure de France), où une femme doit humer le cœur d’une sainte en vue d’une béatification. Dès lors, un monde mystique s’ouvre devant elle, des visions l’assaillent et son propre cœur bat à tout rompre. Le désarçonnement viendra peut-être sinon de ce petit garçon de 11 ans, certain que sa maison — dont les plans furent tracés par son père — a voulu l’étrangler (La maison vénéneuse, Raphaël Zamochnikoff, Belfond).

Le Tripode a également le don de sortir ses lecteurs des sentiers battus, ce qui est à nouveau le cas avec L’enfant des forêts, de Michel Hauteville. « Livre-monde hypnotique », aux dires de l’éditeur, ce sombre roman qui se rapproche de la fable met en scène un ogre chasseur et un enfant capturé, qui s’observent, hument les orages, touchent la terre et le sang, le tout servi dans une langue inventive et chargée d’émotions qui n’est pas sans rappeler celle d’Agota Kristof. Dans Petit monde (Georgia Doll, Rouergue), une petite qui grandit, séparée de sa mère, dans la Komunne, une secte dirigée par le gourou Kong, découvre les jeux de pouvoir. L’autrice, qui s’est inspirée de son enfance dans un tel lieu totalitaire (maintenant dissous), explore les terribles dessous de l’illusion commune.

Peut-être aimeriez-vous ainsi plonger dans l’envers de la contre-culture des années 1960, à ce moment précis où les champignons magiques sont devenus un lieu commun pour les Américains désenchantés, effaçant tranquillement toute trace de rituel chamanique pourtant à la base de cette utilisation bien précise du végétal. Petites choses (Rivages) de Benoît Coquil mélange habillement l’histoire véritable — et ses personnages grandioses (Lennon, Huxley, Disney, Wasson) — et la force de la littérature.

À lire aussi
Les grands enfants, Régis de Sá Moreira (Albin Michel)
La monde de Pira, Joel Agee (Mercure de France)
Vierge, Constance Rutherford (HarperCollins)
Le chien des étoiles, Dimitri Rouchon-Borie (Le Tripode)

 

Des livres déjà salués
Les parts oubliées (Buchet-Chastel) de Charmaine Wilkerson était grandement attendu depuis que Barack Obama, en 2022, l’avait classé parmi ses lectures préférées et qu’Ophrah a dit vouloir l’adapter. Ce premier roman met en scène Byron et Benny, qui doivent écouter, comme le stipulent les dernières volontés de leur mère, les confidences audio qu’elle a laissées afin de divulguer les secrets et silences pesant sur leur arbre généalogique… Un voyage qui, avant de les mener à ce traditionnel gâteau noir qu’ils devront partager, les entraînera de la Jamaïque, à l’Italie, en passant par la Californie et le Royaume-Uni.

Tout comme son premier, le second roman de NoViolet Bulawayo, Glory (Flammarion), a été finaliste au Booker Prize. Avec des droits cédés dans plus de douze pays, ce roman de l’autrice, qui a grandi au Zimbabwe et qui vit actuellement aux États-Unis, est une grande fable sur la liberté, l’illusion du pouvoir absolu, sur les peuples qui gardent l’espoir malgré les tyrans. Traduit par le brillant Claro, cette satire originale bouleverse l’ordre établi pour se rapprocher de la justice. À sa sortie en anglais, Le Grand Cercle (Les Presses de la Cité) de Maggie Shipstead a également connu un succès commercial en plus d’être finaliste au Booker Prize et au Women’s Prize. Il s’agit d’une fresque portant sur des femmes insoumises et s’échelonnant sur chaque continent, et à travers la première moitié du XXe siècle. C’est l’histoire de Marian Graves, amoureuse du danger et de l’aventure, dont le rêve est de piloter. Et c’est l’histoire de l’actrice qui jouera, plusieurs années plus tard, le rôle de l’aviatrice alors qu’elle aussi caresse des rêves qui dépassent les plafonds de verre.

Quand le New York Times ou le Time Magazine encensent un livre avec des épithètes du type « remarquable » ou « incontournable », on prête l’oreille. C’est le cas de Sa seule épouse (L’Aube) de Peace Adzo Medie, l’histoire d’une chance inouïe, d’une indépendance à bâtir. Une jeune fille du Ghana se fait demander en mariage par un homme. Celui-ci est cependant déjà amoureux d’une autre et ne se pointe même pas au mariage… voilà tout un défi pour la nouvelle épouse qui rêve de devenir designer, dans un monde cerclé par les traditions.

L’autrice crie-métisse de Saskatoon Lisa Bird-Wilson offre cette saison Possiblement Ruby (Hashtag), l’histoire d’une femme autochtone adoptée par une famille blanche, malheureusement peu recommandable. Il s’agit d’une quête identitaire au plus profond de soi, où la protagoniste cherche en quoi ce sont ses racines qui la sauveront. CBC a désigné ce livre comme meilleure œuvre de fiction en 2022 et il est en lice à de nombreux prix littéraires dans sa version originale anglaise.

À lire aussi
Les chants d’amour de Wood Place, Honorée Fanonne Jeffers (Les Escales)

 

Les nouvelles plumes
Cette année, selon les données d’Électre, ce sont soixante-quatorze primo-romanciers qui prendront d’assaut les librairies. On attire votre attention sur certains d’entre eux. Tout d’abord, on plongera dans Le diplôme (Albin Michel), critique sociale sous forme de roman d’Amaury Barthet, qui aborde la question des illusions de la méritocratie par le biais d’un enseignant désabusé qui émettra un faux diplôme à une jeune fille intelligente et compétente, pourtant sans diplôme. Par cet acte, cet homme frustré prend-il revanche sur la vie?

Chez Noir sur Blanc, Jeudi d’Eden Levin nous entraîne au cœur d’une troupe de théâtre alternatif qui, par ses idéaux, deviendra un groupuscule terroriste.

Dans La Vénus au parapluie (Buchet-Chastel) Thibaud Gaudry propose un roman d’amour qui frôle le burlesque grâce à son ton, dans un Paris fantasmé. « Un objet hybride et curieux à la croisée de Woody Allen et de Christian Bobin » en dit l’éditeur. Autre histoire d’amour dans L’unique objet de mon regard d’Aurélie Lacroix (Cambourakis). Il se présente comme un livre dans la lignée de Ça raconte Sarah. L’histoire, échelonnée sur quinze ans, d’une passion puis de la fin d’un amour, qui fut toujours à distance, entre deux femmes. Pour sa part, Sous les strates de Lou Eve (Les Escales) donne à voir la trajectoire d’une femme racisée et lesbienne, touche au sujet de l’identité, de la maternité et de l’adoption transraciales, ainsi que des violences conjugales. Big Girl, de Mecca Jamilah Sullivan (Plon) s’intéresse à la pression qu’on fait porter aux jeunes filles pour être belles et minces, pression provenant des Blancs de l’Upper East Side ou de ceux qui peuplent le Harlem tumultueux des années 1990. Le combat d’une petite qui, à tout juste 8 ans, doit suivre sa mère dans les réunions de Weight Watchers.

Imogen Binnie, dans Nevada (Gallimard), plonge avec fougue, audace, dans la vie d’une femme trans dont la vie part à la dérive et qui prend la route comme échappatoire afin de mieux faire le point.

On plonge dans un hiver sans neige, au cœur d’une station de ski, où deux hommes contemplent le temps suspendu dans Hors saison, de Basile Mulciba (Gallimard), un roman d’apprentissage.

« Un coup de maître mêlant injustice, tragédie, sensibilité et dignité humaine dans la lignée des Raisins de la colère de John Steinbeck. Un roman saisissant », a dit l’Americas Quarterly de Charrue tordue d’Itamar Vieira Junior (Zulma), un roman imaginatif dont l’écriture à la forte oralité met la lumière sur un Brésil en pleine mutation, aux côtés du destin des descendants d’esclaves.

À lire aussi
Illuminatine, Simon Bentolila (Albin Michel)
Acide, Victor Dumiot (Bouquins)
Les faiseurs d’anges, Martine van Woerkens (Sabine Wespieser)
Prélude à son absence, Robin Josserand (Mercure de France)
Tumeur ou tutu, Léna Ghar (Verticales)

 

L’art et la vie
Toujours avec sa plume particulière et brillante, Marie-Hélène Lafon propose une plongée au cœur de la vie de Cézanne (Cézanne, Flammarion) en nous offrant des instantanés tirés de l’existence du peintre. Elle parlera de son atelier fendu, de solitude, de Flaubert et de Zola aussi. Et également de silence. Pour sa part, Sarah Chiche nous entraîne, dans Les alchimies (Seuil), aux côtés d’une médecin légiste qui recevra un étrange courriel concernant le crâne volé de Goya. La scientifique se lancera alors sur les traces du peintre pour comprendre ce qui lie l’art, la folie, et le génie… L’âme humaine est-elle derrière les os? Avec Louise Erdrich et son ambitieux La Sentence (Albin Michel), on côtoie une libraire d’origine autochtone qui vient d’être embauchée dans une librairie de Minneapolis, ville bientôt à feu et à sang à la suite de la mort de George Floyd. Il y est question de la force des mots, d’une ode à la librairie, des fantômes qui nous suivent, du racisme de l’Amérique et de l’intolérable intolérance qui y sévit encore. Anne Eekhout nous transporte quant à elle du côté de l’autrice de Frankenstein dans Mary (Gallimard), où on la découvre adolescente, en 1812, en Écosse, alors qu’elle se grise de paysages et de mystères, qu’elle s’enivre d’émois à partir desquels, quatre ans plus tard, lors d’une nuit pluvieuse aux abords du lac Léman, elle puisera la matière pour créer cette histoire fantastique qui transcendera le temps. On reste dans la littérature et on se tourne cette fois du côté de Shakespeare, avec le William (Rivages) de Stéphanie Hochet. L’autrice a imaginé ce qui aurait pu se dérouler alors que le dramaturge avait entre 21 et 28 ans (une période qui a peu fait l’objet de biographies). Elle dépeint un Shakespeare à l’étroit dans son carcan familial, un jeune homme qui découvre le théâtre alors qu’à l’extérieur sévit la peste. Le tout est servi dans une forme originale où l’autrice se met aussi en scène, les thématiques de la vie du dramaturge faisant écho à la sienne. Avec Vie et mort de Vernon Sullivan de Dimitri Kantcheloff (Finitude), on assiste à un roman-hommage poignant sur Boris Vian, mis en scène par un habile jeu de miroirs entre la fiction et la réalité : c’est virevoltant, échenozien, rock et subversif, tout ça à la fois! Finalement, on plongera dans la pièce de théâtre d’Éric-Emmanuel Schmitt, Bungalow 21 (Albin Michel), pour sonder l’histoire d’amour qui unit les couples célèbres qu’ont formés Arthur Miller et Marilyn Monroe ainsi qu’Yves Montand et Simone Signoret.

À lire aussi
La Nourrice de Francis Bacon, Maylis Besserie (Gallimard)
Le grand feu, Léonor de Récondo (Grasset)

 

La mort
Meurtre ou deuil, perte ou nostalgie : la mort prend divers visages sous la plume de ceux qui la choisissent comme muse. Dans L’épaisseur d’un cheveu (Albin Michel), Claire Berest explore le point de bascule où, pour un homme, tout déraille. Un homicide conjugal a lieu, au sein d’un couple solide et sans antécédent de violence. Qu’est-ce qui a pu mener à ces trente-sept coups de couteau donnés? Berest revient sur les trois jours avant le drame, nous plonge dans la vie de ce correcteur linguistique salarié pour qui tout doit être bien ordonné. La Danoise Anne Cathrine Bomann, quant à elle, explore avec adresse la grande question que voici dans En dehors de la gamme (La Peuplade) : peut-on traiter le deuil comme une maladie? Les deux étudiantes en psychologie qui feront équipe autour de ce sujet d’étude se verront cependant vite confrontées à une société pharmaceutique qui commercialise un médicament censé réduire la tristesse, mais qui ment sur les effets secondaires…

À lire aussi
Les amants du Lutetia, Émilie Frèche (Albin Michel)
Plaidoyer pour le rêve, Samuel Dufay (Grasset)

 

La guerre
Nombreux sont, et nombreux seront, les ouvrages à aborder la question des assauts violents entre peuples. On vous pointe ici quelques titres qui ressortent du lot. Tout d’abord, dans Voyage clandestin avec deux femmes bavardes (P.O.L), d’Iegor Gran, on se retrouve aux côtés d’une assistante maternelle et d’une contrôleuse de tramway, en Russie, que l’auteur dépeint grâce à ce qu’elles écrivent sur les réseaux sociaux entre 2022 et début 2023. Deux femmes, un conflit, mais des réactions totalement opposées. Avec Le journal d’Olga et Sasha (Actes Sud) de Sasha et Olga Kurovska, on saute du côté ukrainien, où deux sœurs — l’une à Paris, l’autre à Kyiv — écrivent à quatre mains un journal de bord totalement subjectif sur ce qu’elles vivent, sous la supervision de la journaliste Elisa Mignot. Avec Mathias Enard et Déserter (Actes Sud), on délaisse l’actualité, mais on reste en territoire guerrier : on suit un soldat qui tente d’échapper à sa propre violence, on parle d’engagement, de désertion, d’amour. Mais aussi de l’effondrement des idéologies et de ceux prêts à mourir pour elles. Et dans Naufrage, puissant et troublant roman de Vincent Delecroix (Gallimard), on assiste au conflit moral et à la responsabilité sociale liés aux migrants, par une histoire qui tient ses assises dans le fait divers qui a déferlé dans les manchettes : vingt-sept migrants noyés en raison de l’inaction des secouristes pour des questions frontalières. L’auteur s’imagine alors qui est cette opératrice dont les phrases assassines et dépourvues d’empathie ont été rendues publiques. Il lui imagine un passé, une texture, des raisons. Il en ressort que le sort des naufragés migratoires est l’affaire non pas d’une opératrice, non pas d’un gouvernement, mais peut-être de nous tous qui assistons à leur mort…

À lire aussi
Et moi, je me contentais de t’aimer, Rosella Postorino (Albin Michel)

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