Les lecteurs québécois connaissent peu la littérature belge, trop souvent noyée dans la vaste production littéraire française. Ce sont pourtant deux nations ayant plusieurs points communs, tant sur le plan politique que culturel. Les auteurs et autrices belges gagneraient donc à être davantage lus et promus de notre côté de l’Atlantique.  

L’écrivain et animateur Jérôme Colin est l’un de ceux-là. Dans Les dragons, son troisième roman, il dévoile avec beaucoup de lucidité et de tendresse le destin d’ados que la vie n’a pas épargnés. Habillement narré, le roman se déploie à travers le regard du personnage principal, qui, après un passage en centre jeunesse, est devenu un adulte peinant à s’engager et qui devra remonter à la source de ses blessures pour mieux avancer.

On sent dans Les dragons qu’il s’agit d’une histoire très intime — le narrateur porte d’ailleurs votre prénom. En tant que personnalité publique — vous êtes journaliste et animateur à la RTBF en Belgique —, avez-vous hésité à livrer un roman qui semble ouvrir une fenêtre sur votre vie privée?
Non, je n’ai pas hésité. Car l’écriture n’a de sens que dans l’intime. Le but étant de ne pas parler de moi. Mais de nous. Des dragons, que nous avons été. Ou que nous sommes encore. De la façon dont on doit tous grandir et trouver une place dans la société. J’écris, je crois, pour me sentir moins seul. Pour me lier aux autres. Et donc, dans cette écriture, le mensonge n’est pas permis.

Vous osez quelques prises de position, notamment sur le repliement sur soi qu’encouragent nos sociétés de plus en plus individualistes ou encore sur le manque d’intérêt des gouvernements qui préfèrent sauver les banques plutôt que de s’occuper de la santé mentale des jeunes. Est-ce que vous souhaitez entraîner une certaine prise de conscience chez les lecteurs qui termineront Les dragons?
Oui. C’est mon côté journaliste. Il y avait d’abord un désir de mettre sur la table la question urgente et extrêmement préoccupante de la santé mentale des jeunes. Je suis aussi viscéralement contre toute forme d’exclusion. Notamment scolaire. Or, les enfants que l’on retrouve dans ces centres de soins ont souvent d’abord été exclus de l’école. En faisant cela, on les isole d’autant plus alors qu’ils ont besoin des autres. Parce qu’on ne s’en sort pas tout seul. Il faut les autres pour cela.

On retrouve dans le roman l’extrait suivant : « Les compliments sont des regards bienveillants. Ils ne chassent pas l’ennemi, mais vous arment pour la bataille. » Permettez-moi de vous complimenter, Jérôme; j’ai adoré ma lecture de votre roman. L’histoire est touchante et l’écriture est très belle. Vous avez un talent indéniable. Maintenant, dites-moi, écrivez-vous pour être mieux armé?
Ah! Quelle belle question! Probablement. Je vous avoue ne jamais avoir vu les choses de la sorte. Mais je crois que vous avez raison. Écrire, c’est prendre le temps de réfléchir. C’est se donner le droit d’avancer lentement. De se positionner. C’est aussi entrer en contact avec les lectrices et les lecteurs. Et, une fois de plus, je ne crois pas à l’individualisme. Je ne crois qu’à une seule force, qui est celle du groupe. Donc, oui. J’écris probablement pour être mieux armé. Pour bâtir une armée de dragons.

Photo : © Ganaëlle Glume

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