André Jacques propose une nouvelle enquête avec Alexandre Jobin, son personnage d’antiquaire, retraité de l’armée canadienne. Dans Les gouffres du Karst, le Service canadien du renseignement de sécurité engage Jobin pour poursuivre l’investigation de son ancien collègue qui vient d’être tué dans une opération qui a mal tourné alors qu’il enquêtait sur un réseau de trafics d’armes et d’œuvres d’art. Jobin, électron libre, compte bien mener les recherches à sa manière. Cette affaire l’obligera à ressasser son passé et à traquer un ancien ennemi, ce qui le mènera en Italie, puis en Croatie. Entretien avec l’auteur de ce polar enlevant.

Vos livres mélangent les crimes et le monde de l’art notamment. Qu’est-ce qui vous fascine particulièrement dans l’art? Est-ce pour cette raison que vous avez choisi le métier d’antiquaire pour votre héros après sa carrière dans l’armée?
J’ai enseigné l’histoire de l’art au cégep de Thetford pendant de nombreuses années. Ça explique ma fascination pour l’art. Cela a beaucoup influencé mon choix du métier d’antiquaire pour Alexandre Jobin, mon personnage principal. Mais le hasard a aussi joué… Un jour, ma blonde et moi, nous nous baladions boulevard Saint-Laurent à Montréal et nous sommes entrés dans une petite boutique d’antiquaire. Plus un brocanteur qu’un véritable antiquaire d’ailleurs. En sortant, j’ai eu comme une soudaine inspiration, un flash : une boutique d’antiquaire, ça ferait un lieu extraordinaire pour un polar. Dans ce fouillis d’objets hétéroclites, il pouvait y avoir des trésors, des pièces qui, pour quelqu’un, avaient une incroyable valeur. Et cette personne serait prête à tuer pour s’approprier cette chose. Ainsi sont nés Alexandre, mon antiquaire, et sa première aventure : Les lions rampants. Ce n’est qu’ensuite, quand j’ai commencé à construire mon personnage, que je lui ai donné un passé militaire dans les services du renseignement de l’armée. Un antiquaire, ça faisait un peu maigrichon et poussiéreux. Comment s’en serait-il tiré dans une bagarre? L’expérience militaire réglait cet aspect. L’homme connaissait aussi le combat et les armes.

D’autres enquêtes ont entraîné Jobin à Nice, à Marseille, à Palerme, à Barcelone, à Paris, etc. Dans Les gouffres de Karst, Jobin se rend en Italie et en Croatie. En quoi vous inspirent ces pays et ces voyages? Pourquoi aviez-vous envie d’entraîner votre héros à l’étranger?
J’appartiens à une génération qui a été bercée par les aventures de Tintin et par les voyages extraordinaires de Jules Verne. J’aime l’exotisme. De plus, j’ai passé deux années en France au moment de mes études. J’ai adoré l’Europe et j’y suis retourné de nombreuses fois depuis. Si je connaissais déjà bien des villes comme Paris, Londres, Marseille ou Rome, c’est à travers les romans de Camilleri que j’ai découvert la Sicile et Palerme et à travers ceux de Montalban que j’ai découvert Barcelone. Ce n’est qu’ensuite que je m’y suis rendu, au moment où j’écrivais les romans qui s’y déroulent. Hélas, pour la première fois, pour Les gouffres du Karst, je n’ai pu aller à Trieste ni en Croatie. Un voyage de repérage était prévu pour septembre 2020, mais la peste est survenue et j’ai dû me rabattre sur les guides de voyage et les sites Internet. On y trouve beaucoup d’informations. Mais ce n’est que partie remise…

Quels sont les défis lorsqu’on écrit des romans avec un personnage récurrent comme Alexandre Jobin?
Ils sont nombreux. D’abord le défi de se renouveler. Il ne faut pas que le lecteur ait l’impression de relire toujours la même histoire. Avec seulement deux ou trois personnages et le décor qui changent. Il faut confronter le personnage central à de nouveaux défis, révéler de nouveaux aspects de sa personnalité et de son univers. Ainsi, dans Les gouffres du Karst, je plonge plus profondément dans le passé d’Alexandre. On savait, surtout à la lecture des précédents romans, La bataille de Pavie et Ces femmes aux yeux cernés, que son passé cachait des secrets, qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique. Ici, on pénètre dans ses failles, dans ses gouffres, dans les sources de ses cauchemars.

Autre défi : celui de l’âge. Pour un auteur comme moi, un slow writer, disent les Américains, qui ne publie un roman que tous les trois ou quatre ans, ça pose problème. Dans sa première aventure, Les lions rampants, qui se déroule vers l’an 2000, Alexandre a environ 48 ans. Si je l’avais fait vieillir en suivant le temps réel, il aurait aujourd’hui près de 70 ans. Ça vous rend un aventurier un peu plus grégaire et un peu moins bagarreur. Je pourrais bien sûr le mettre à la retraite (comme le fait Rankin), le plonger dans des cold cases ou encore écrire ce que les Américains appellent des prequels, des aventures de son passé, mais j’ai décidé de le garder éternellement jeune. Ainsi, mon roman Les gouffres du Karst se déroule en 2005. Chaque roman se situant environ un an après le précédent. Mais alors, il faut surveiller un tas de détails. La musique qui joue à la radio était-elle composée? Ce restaurant était-il ouvert en 2005?

Un autre défi se pose sur le plan du lectorat. Évidemment, il y a les lecteurs qui ont suivi Alexandre depuis sa première apparition ou qui, l’ayant découvert dans un roman suivant, ont comblé les lacunes. Ils connaissent presque tout d’Alexandre et de son environnement (son passé, ses amis, sa blonde Chrysanthy, sa fille Pavie, etc.). Mais la nouvelle lectrice ou le nouveau lecteur? Comment vont-ils s’y retrouver? Il faut dès lors que je donne suffisamment d’information, sur le docteur Saint-Amant par exemple, pour que ceux-ci comprennent qu’il est un vieil ami d’Alexandre. Et cela, sans rabâcher de longs passages sur son passé que les habitués trouveraient inutiles, répétitifs et agaçants.

Votre écriture est très rythmée, voire cinématographique. La travaillez-vous beaucoup en ce sens?
Je crois que le polar est par nature cinématographique. Les lecteurs d’aujourd’hui en lisent, bien sûr, mais ils en voient encore plus sur leurs nombreux écrans. Il faut donc que les scènes du roman soient bâties de façon visuelle pour que le lecteur voie l’action et y plonge, mais aussi que ces scènes se déroulent à un rythme rapide (surtout pour les thrillers). Dans mon écriture, je favorise parfois la description (il faut voir les gestes, voir les personnages, voir et sentir les lieux et les atmosphères), mais j’utilise aussi beaucoup les dialogues qui permettent d’entrer dans l’action en temps réel. Le fait que j’aie aussi enseigné le cinéma m’a donné quelques leçons de scénarisation. Pour certaines scènes où s’agitent de nombreux personnages, je dessine même un plan, une sorte de storyboard. Enfin et surtout, ma blonde et première lectrice, Chantal, est une monteuse et elle a un fichu sens du rythme. Elle sait me ramener à l’ordre si je m’égare dans des circonvolutions inutiles.

Photo : © Martine Doyon

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