Dans cette nouvelle aventure de Judith Allison, la sergente-détective enquête sur la mort suspecte d’un vieil homme, un ancien médecin, apparemment assassiné à l’hôpital. Cette affaire l’entraîne à revisiter le passé de la victime, qui a travaillé dans une institution psychiatrique dans les années 1960. Avec Les enfants de Godmann, l’écrivaine Maureen Martineau déterre un côté sombre de l’histoire canadienne, tout en sondant le présent.

Au cours de son enquête, Judith Allison va être confrontée à la politique eugéniste ainsi qu’aux sévices infligés aux enfants, aux personnes atteintes de troubles mentaux et aux Premières Nations dans certaines institutions psychiatriques dans les années 1960. Pourquoi souhaitiez-vous écrire sur ce pan méconnu de l’histoire canadienne et sur ces injustices sociales en particulier?
Alors que je nourrissais l’idée d’écrire un polar médical, j’ai été intriguée par l’occulte loi eugénique en vigueur en Alberta de 1928 à 1972, qui accordait énormément de pouvoir aux médecins ayant à leur charge les « anormaux », tels qu’on les nommait à l’époque. De cette sombre page de l’histoire médicale est né le projet d’un suspense contemporain faisant écho à cette tragédie passée. Il y a deux ans, durant la phase de documentation, j’ai eu la chance de visiter la petite ville de Red Deer. C’est en rencontrant des survivants et d’anciens employés du Centre Michener, l’une des plus importantes institutions psychiatriques de l’Ouest canadien, que j’ai réalisé que je tenais un grand pan de mon intrigue, que cette histoire allait se déployer sur deux lignes de temps, soit en 1962 et en 2020, parce que la question de la différence intellectuelle est toujours actuelle. Jusqu’à quel point la liberté de choix, dont celle de procréer, est-elle la même pour tous les citoyens aptes à prendre des décisions? Au bout du compte, en enquêtant sur un meurtre, ce roman interroge le droit à la vie.

Votre roman aborde également le début de la pandémie et le surmenage des infirmières. Qu’est-ce qui vous inspirait dans ces sujets d’actualité?
Depuis des années, les conditions de travail éprouvantes des infirmières me touchent, particulièrement le temps supplémentaire obligatoire qu’on leur impose. En 2018, un groupe d’employés a remis à la direction du CISSS de l’Outaouais le rapport Le livre noir des urgences de l’Outaouais, colligeant cinquante récits de fatigue extrême vécue par le personnel infirmier des hôpitaux de Hull et de Gatineau. En lisant les témoignages, j’ai été catastrophée. Ce cri du cœur du monde soignant m’a inspiré trois personnages clés des Enfants de Godmann et m’a poussée à explorer la détresse professionnelle, à m’aventurer jusqu’au point de rupture où les patients sont mis en danger, où le crime a le champ libre. Si la situation dans les hôpitaux est devenue critique durant la pandémie, les failles étaient présentes bien avant. C’est pourquoi j’ai préféré situer mon action du 23 février au 15 mars 2020, de façon à ce que le lecteur puisse anticiper le bouleversement planétaire alors que les personnages n’en soupçonnent aucunement l’ampleur.

Qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans le fait de renouer avec un personnage récurrent, comme celui de la sergente-détective Judith Allison?
Le roman Les enfants de Godmann est la cinquième enquête de la sergente-détective Judith Allison. Dans Le jeu de l’ogre, à 30 ans, elle débute dans le métier. Elle est célibataire, naïve, vit encore chez son père. Je souhaitais voir évoluer cette jeune femme d’un roman à l’autre, sa personnalité se laissant définir par les enquêtes qu’elle traverse. Dans L’enfant promis, à la suite de la traque d’une suspecte obsédée par son désir d’enfanter, Judith devra affronter son propre destin de devenir mère ou non. Et ce n’est que lorsqu’elle débarque en Inde dans L’activiste : Le jour des morts pour un enlèvement relié au commerce canadien de l’amiante qu’elle prend réellement la mesure des iniquités sociales. Dans ce roman-ci, j’aimais particulièrement l’idée que Judith Allison se retrouve aux prises avec des suspects septuagénaires. Comme beaucoup des gens de son âge, l’histoire politique l’intéresse peu, mais pour résoudre cette affaire-ci, elle n’aura d’autre choix que de plonger dans l’un des chapitres les plus noirs de l’histoire albertaine. Plus que l’enquête elle-même, je m’intéresse à l’impact des questions éthiques qui déstabilisent mon héroïne et, je l’espère, les lecteurs et lectrices.

Selon vous, est-ce qu’écrire permet d’exorciser les horreurs de l’existence?
Une forte part du réel cohabite avec la fiction dans tous mes romans policiers. J’aime détricoter les faits divers et historiques dont je m’inspire pour les décliner d’une autre façon afin de faire régner dans mes récits une justice plus satisfaisante que celle que notre système nous offre. La fiction devient alors une forme de réparation pour des crimes impunis et dans ce sens, elle réussit à exorciser une part de l’horreur. Car si les victimes à qui le roman prête sa voix ont reçu des dédommagements à la suite d’un recours collectif, les employés des institutions qui s’en sont pris aux enfants vulnérables ont quant à eux réussi à échapper à la prison. J’aime croire que par la simple invention d’une intrigue, le roman policier possède ce fascinant pouvoir de les obliger à répondre de leurs actes.

Photo : © Blanches Bulles Studio

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