Bien qu’elle pratique le métier d’écrivaine depuis plus de quarante ans, Chrystine Brouillet réussit encore à captiver son lectorat qui la suit dans les méandres les plus sombres avec un plaisir renouvelé. Dans Le mois des morts (Druide), elle prouve même qu’un livre peut aider la société à changer.

Plus personne n’aurait l’idée d’affirmer que le polar représente un sous-genre après la lecture d’un Chrystine Brouillet, dont le récit n’est jamais anodin. Parce que l’autrice installe chaque fois ses enquêtes au cœur d’enjeux actuels, elle nous amène par la bande à interroger notre propre notion du bien et du mal. Dans Le mois des morts, elle s’en prend aux préjugés à l’égard des homosexuels, déplorant que toujours aujourd’hui il y ait des jeunes qui soient mis à la porte de la maison à cause de leur orientation sexuelle.

Quand Lucien Jutras tombe en amour avec Jacob Dubuc, les choses s’enveniment entre le père du premier et son fils. Marc-Aurèle Jutras ne parvient pas à imaginer que la chair de sa chair soit une « tapette », un « maudit fif ». Oui, les mots sont crus, mais ils sont nécessaires pour signaler les paroles et les comportements homophobes. « Je continuerai à les dénoncer le temps qu’il faudra », affirme l’écrivaine dans sa postface. Son nouveau polar condamne également les a priori entretenus envers les itinérants. « On ne peut plus se fermer les yeux, clame l’écrivaine. On est au Québec et il y a des gens qui ne mangent pas à leur faim et qui se demandent où ils vont dormir. » La situation n’est pas nouvelle, mais elle prend de plus en plus d’ampleur avec le coût de la vie qui explose et la misère qui en est une conséquence. Et ce qui n’aide en rien, les sans-abri, déjà vulnérables, sont souvent la cible de violences et d’idées reçues.

Ces thèmes importants nourrissent l’intrigue du Mois des morts dont l’action se situe principalement dans les rues de la Basse-Ville de Québec — faisant la part belle à plusieurs de ses célèbres escaliers — et au refuge Lauberivière. Jacob y aura d’ailleurs recours après que le squat qui l’abritait et lui tenait lieu d’atelier d’artistes eut été détruit. C’est aussi là qu’il fera connaissance avec le bénévole Denis Dupuis à qui il confiera son inquiétude à la suite de la disparition de son amoureux. Parallèlement à cette histoire, le corps d’un homme est retrouvé près de l’escalier Lavigueur, la dépouille d’un autre, découverte sur la rue des Prairies à côté d’une ampoule de fentanyl, et l’on recherche la trace d’André Roy, un charmeur d’élite qui escroque ses victimes. Les crimes s’entrecroisent, les pistes se multiplient, voilà l’art de savoir mener un bon polar.

Écrire le sombre pour risquer la lumière
Mais une autrice de romans noirs, même de la trempe de Chrystine Brouillet, ne s’assoit jamais sur ses lauriers, bien au contraire. « Quand j’écris et que j’arrive à la moitié du roman, je me demande souvent si je ne devrais pas tout jeter ! Bon, je finis toujours par le finir, mais il y a le doute qui est là, constant et oppressant. C’est épouvantable, plus ça va, pire c’est. » Il faut dire qu’avec le temps, les risques de commettre des erreurs concernant le parcours de Maud Graham sont de plus en plus grands. Sans compter que son personnage devra bien prendre sa retraite un jour et laisser davantage de place à son fils Maxime, également enquêteur.

Depuis toutes ces années à écrire sur des phénomènes morbides, l’autrice déclare ne pas s’en sortir indemne. « Après tant de temps, une tristesse s’est installée en moi. On ne peut pas travailler sur ces sujets-là sans être abîmée. On ne peut pas lire des documents sur des tueurs en série et des violeurs sans que ça finisse par avoir un effet d’érosion. » Mais elle n’a pas l’intention d’abandonner puisque les livres de l’autrice, aussi noirs soient-ils, peuvent aider des gens à ouvrir les yeux sur certaines injustices. « Je n’arrêterai pas parce que je trouve que les auteurs de polars, on est bien placés pour dénoncer les irrégularités, et le mot est faible, de notre société. » Le polar, un outil social? Assurément. Dans Le mois des morts, on convoque les valeurs d’amour, de liberté et de dignité. Et avec Maud Graham à la barre et Chrystine Brouillet comme maître d’œuvre, on est entre bonnes mains pour espérer les faire advenir.

Photo : © Melany Bernier

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