Avec Irrécupérables, André Marois propose un polar efficace et captivant qui sonde la noirceur pouvant se tapir en chacun de nous. Entretien avec le prolifique auteur.

Encore troublé de ne pas avoir résolu cette histoire de tueur en série à Mandeville, le sergent-détective Steve Mazenc, maintenant installé dans la région, voit sa quiétude chamboulée par une canette vide lancée tous les matins sur son terrain. De plus en plus irrité, l’enquêteur entreprend de découvrir qui se cache derrière ce geste. Alors qu’il pensait devoir réprimander un quidam, il s’aperçoit qu’il met le pied dans tout un guêpier : le coupable pourrait en fait être un homme dangereux, recherché sur la Côte-Nord pour les meurtres de sa femme et de ses deux enfants. Avec l’espoir que cette histoire soit le bon coup de sa carrière, le policier décide de traquer seul cet individu.

Après Bienvenue à Meurtreville, pourquoi avez-vous eu envie de renouer avec votre personnage du sergent-détective Mazenc?
Le sergent-détective Mazenc joue un rôle secondaire dans Bienvenue à Meurtreville. Il enquête avec zèle et détermination, mais il est malchanceux — il arrive trop tard pour arrêter le coupable. Je voulais donc lui donner une deuxième chance — une troisième, en fait, car il apparaît aussi dans Sa propre mort (La courte échelle), où il souffre du même problème. Je l’ai déménagé sur le lieu des crimes précédents pour l’exposer à une nouvelle enquête qu’il n’avait pas prévu de suivre. Il faut croire que je me suis attaché à lui… Et j’avais envie, pour une fois, d’avoir un policier comme personnage principal, plutôt qu’une victime ou un coupable.

Que signifie pour vous le titre Irrécupérables? À sa façon, le sergent-détective est-il en quelque sorte lui aussi irrécupérable?
Irrécupérables sont tous ces personnages qui n’agissent que pour leur intérêt personnel, sans morale aucune, sans remords ni éthique. Sans espoir de rédemption. Il y a les petits pollueurs qui salissent le chemin du Parc, les trafiquants qui ne reculent devant rien pour s’enrichir, les quadistes qui s’approprient le territoire… La liste est longue. Le sergent-détective est une bonne personne, mais ses enquêtes ratées lui collent à la peau. Lui-même se sent irrécupérable, fatigué et usé. Une sorte d’énergie du désespoir, une fierté et un heureux hasard vont le pousser à réagir. Pour vaincre cette scoumoune.

Certains critiques vous appellent « le caméléon », justement car vous avez ce talent de vous renouveler à chaque nouvelle parution, soit dans les genres (polar, jeunesse, documentaire), soit dans les thématiques (environnement, violence, rapport au temps, etc.), soit dans les types d’enquêtes que vous mettez en scène. Est-ce essentiel, pour vous, d’explorer de nouvelles avenues à chaque parution?
Ce n’est jamais planifié, mais oui, j’aime naviguer dans plusieurs registres et pour différents publics. Sans doute par crainte de me répéter ou de tomber dans une certaine routine. En fait, je suis pareil dans mes lectures; je m’intéresse plus aux livres qu’à leurs auteurs et autrices. Je ne suis pas friand de séries qui se déroulent sur de multiples volumes avec le même enquêteur, par exemple. Quand j’en ai lu un, je passe à autre chose. J’aime les écrivains qui se renouvellent à chaque livre, ou qui osent explorer des avenues différentes. Je veux être surpris et happé. Je n’ai pas envie de lire un roman en sachant à l’avance de quel sujet il va traiter, et surtout comment. Alors, j’essaie de faire la même chose dans mon écriture. C’est pour cela que je suis vraiment heureux et fier de récidiver dans la collection « Noir » d’Héliotrope, où les polars se suivent et ne se ressemblent pas.

Votre écriture est très rythmée, voire cinématographique. La travaillez-vous beaucoup en ce sens?
J’essaie, oui. Je pense aux lecteurs et lectrices et j’ai sans cesse peur de les voir s’ennuyer. J’aime quand ça remue. Je visionne chaque scène dans mon petit projecteur intérieur et je décris ce que j’y vois. J’alterne les dialogues avec les actions. Je me fais des petits plaisirs avec les scènes de bagarres, grosses ou petites. J’espère que c’est cinématographique et je pense que ça peut s’adapter (qui sait?). Je relis aussi à voix haute certaines parties, pour m’assurer qu’elles sonnent bien.

Vos livres dépeignent notamment la complexité de l’âme humaine et ses côtés sombres. Qu’est-ce qui vous inspire dans les failles des êtres humains?
Le côté sombre des êtres me fascine et me passionne, parce que cette part d’ombre m’effraie. Je pense que n’importe qui peut basculer dans la noirceur du jour au lendemain. Écrire des romans noirs me permet d’explorer cette complexité, en toute humilité. J’essaie de me mettre à la place de chacun des personnages : innocent ou coupable. Je donne une chance à tous en distillant un peu de lumière chez les assassins et une pointe de noirceur dans le cœur des victimes. Les truands peuvent être de bons pères de famille qui se soucient de l’environnement. Et notre voisine sympathique cache une conspirationniste obtuse qui se transformera en bête furieuse à la première occasion. Personne n’est tout noir ou tout blanc — chacun essaie de survivre avec sa complexité.

Photo : © Julia Marois

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