Une mort mystérieuse dans une nature enchanteresse. Un enquêteur perspicace et attachant, mais hanté par son passé. Une sombre histoire de vengeance familiale et une communauté à cran. Mémoire brûlée, traduction française d’Erasing Memory de l’écrivain canadien Scott Thornley, a tout du polar classique. Tout, mais aussi une touche d’humanité qui donne à ce roman policier une sensibilité unique.

Mémoire brûlée, récemment traduit par Éric Fontaine chez Boréal, s’amorce sur une scène troublante. Dans un chalet cossu posé sur les rives d’un lac ontarien, une jeune musicienne en robe du soir gît au sol, la main sur un tourne-disque qui joue un morceau de Schubert. Elle semble presque endormie, si ce n’est que son cerveau se désagrège lentement en raison de l’acide qu’on lui a injecté dans le crâne à l’aide d’une seringue géante. Troublante, on vous disait…

L’écriture de Mémoire brûlée, elle, s’est amorcée de façon tout aussi déconcertante, mais moins létale, il y a une douzaine d’années. Assailli par des cauchemars récurrents depuis plusieurs mois, Scott Thornley, alors au début de la soixantaine, s’est mis à coucher sur papier les images qui hantaient ses nuits. Parmi celles-ci, certaines évoquaient des scènes de ce qui allait devenir le premier roman de ce designer alors reconnu pour son travail en publicité.

Le manuscrit a fait son chemin jusqu’aux mains d’un éditeur (avoir Margaret Atwood parmi ses clients a ses avantages) qui y a vu un potentiel roman policier, à la grande surprise du principal intéressé. « Pour moi, ce n’était pas un roman noir, mais tout simplement un roman, avoue d’un ton posé Scott Thornley, joint dans sa maison du sud-ouest de la France où il travaille à l’écriture de son cinquième roman. Je ne suis pas un grand lecteur de polar. J’ai peut-être lu [Raymond] Chandler adolescent, mais je lis surtout de la non-fiction. Je ne savais pas que je faisais de la littérature de genre avant que mon éditeur ne me le dise! »

Pourtant, le genre lui va aussi bien que les gants qu’enfile son inspecteur MacNeice avant d’entrer sur une scène de crime. Son œil de designer graphique lui confère un talent certain pour la description et il partage avec son personnage principal un don pour l’observation. « J’aime les détails, et c’est pourquoi j’aime construire des personnages étoffés, dit-il en faisant référence à MacNeice, mais aussi à Vertesi et à Aziz, deux personnages riches qui viennent appuyer son héros dans ses enquêtes. J’aime imaginer ce qu’ils font de leur temps libre, bâtir leur univers, le comprendre et le disséquer. »

Ce n’est pas la seule chose que Scott Thornley partage avec son alter ego MacNeice. Dans ses romans transparaît son amour pour la musique, en particulier le classique et le jazz, la photographie, la cuisine italienne, mais aussi pour sa ville natale, Hamilton, qui prend dans ses pages le nom fictif de Dundurn. Et surtout le deuil de sa première femme décédée du cancer à l’âge de 42 ans seulement.

Lorsqu’il est appelé sur les lieux du crime dans les premières pages de Mémoire brûlée, MacNeice revient de son pèlerinage mensuel sur la tombe de sa femme Kate, elle aussi emportée par cette terrible maladie à un jeune âge. « On ne parle jamais que de soi », disait François Mauriac…

« Quand je suis bloqué, je me demande toujours ce qu’un “vrai” écrivain ferait. Et la première règle qu’on nous enseigne, c’est de parler de ce qu’on connaît, explique-t-il avec gravité. Que ce soient mes intérêts artistiques ou le deuil de ma première femme, c’est remonter naturellement à la surface en écrivant. Je n’ai jamais voulu l’imposer, mais c’est ce que je connais. »

Cette perte douloureuse hante les pages de Mémoire brûlée, mais la lente guérison de MacNeice sert aussi de trame de fond aux œuvres subséquentes, dont le deuxième tome The Ambitious City, paru cet automne en français sous le titre De chrome et de sang.

« Au fil de la série, MacNeice accepte de plus en plus la mort de sa femme, notamment à l’aide d’un psychologue. Il parvient même à établir une sorte de dialogue avec elle en se rappelant les beaux moments qu’ils ont passés ensemble, même s’il est toujours pénible pour lui de contempler sa perte. »

Un processus qui reflète la propre évolution de l’auteur? « D’une certaine façon, même si je n’ai pas eu recours à un thérapeute. Encore aujourd’hui, il m’est très difficile, presque pénible de penser aux moments que nous avons passés ensemble, même les plus beaux. Même si c’est le lot de beaucoup de gens, deux ans et demi à combattre le cancer laisse des traces. Mais je dois avouer que l’écriture a eu un véritable effet thérapeutique pour moi. »

Écrire l’a également mené vers une toute nouvelle carrière, tout aussi réussie que son parcours de publicitaire. D’abord recruté au sein de la prestigieuse maison d’édition Random House, l’auteur a connu un beau succès avec ses quatre premiers ouvrages, ce qui lui a même valu d’être décoré de l’Ordre du Canada en 2019 et d’être admis au sein de l’Académie royale des arts du Canada. Pourtant, il a toujours de la difficulté à se qualifier d’écrivain. « Je ne me suis jamais considéré comme un artiste, même lorsque j’étais designer. Pour moi, les artistes étaient dans leur atelier à créer, pas à concevoir des campagnes pour des marques de bières comme je le faisais à mes débuts. C’est la même chose avec l’écriture. Lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie, je ne réponds pas que je suis un écrivain; je suis quelqu’un qui écrit des histoires. »

Photo : © Malcom Lewis

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