Votre personnage apprend que son grand-père était projectionniste, dans les années 1950-1960, et découvre quelques films projetés de l’époque. « J’avais le sentiment d’observer le passé par le hublot d’une machine à voyager dans le temps. Il se dégageait de ces films une naïveté, une fraîcheur, un optimisme qui m’enchantaient », est-il écrit. En quoi avez-vous trouvé inspirant de plonger votre histoire dans ce contexte, d’aborder le cinéma d’horreur de l’époque? Êtes-vous vous-même cinéphile?
Enfant, je raffolais du cinéma d’horreur et de science-fiction présenté dans les salles paroissiales. Ces vieux films, ainsi que quelques séries télé de l’époque, ont grandement alimenté les histoires que j’inventerais plus tard. Je qualifierais les souvenirs qu’ils m’ont laissés de « fondateurs » pour l’écrivain que je suis devenu. Il m’arrive de revoir certains de ces films avec bonheur, comme si je retrouvais de bons vieux amis. Par contre, je ne suis pas fan du cinéma d’horreur d’aujourd’hui. Quelques films sont vraiment formidables, mais en général ils sont trop violents, trop sanglants à mon goût. Selon Stephen King — et je l’approuve —, le gore est la voie la plus facile que peut emprunter l’auteur d’un récit d’épouvante.
Il y a quelque chose d’assez inusité dans votre histoire, au-delà du monstre cyclope tout droit sorti d’une affiche de film d’horreur des années 1960 : votre personnage principal, après s’être buté au refus de ses amis de le suivre dans ses recherches inquiétantes, finit par demander l’aide de ses parents. Bien que ce soit effectivement la chose à faire dans une telle situation, très rares sont les fictions qui choisissent cette voie. Pourquoi avoir fait ce choix?
Je n’y ai même pas réfléchi. En littérature jeunesse, il n’existe aucune règle interdisant aux protagonistes de demander l’aide des adultes, entre autres celle de leurs parents. Il y a peut-être une « coutume » allant dans ce sens. Elle serait motivée par le but très louable d’assurer aux lecteurs qu’ils ont les ressources suffisantes pour franchir seuls les obstacles que la vie leur réserve. Les contes de fées reposent sur ce concept. Mais dans une histoire d’horreur, aussi extravagante soit-elle, une certaine dose de réalisme est nécessaire pour préserver sa vraisemblance. Dans mon roman, le héros doit affronter un ennemi si obscur et si redoutable qu’il finit par agir comme n’importe quel enfant le ferait dans la réalité.
Votre roman met en scène un monstre, une tension grandissante, des phénomènes surnaturels, des scènes de destruction dignes d’un Godzilla détruisant Tokyo. Y a-t-il des limites à ne pas franchir lorsqu’il s’agit de littérature jeunesse?
Dans leur formulation d’origine, les mythes, les légendes et les contes traditionnels étaient beaucoup plus terrifiants que la littérature jeunesse contemporaine. Les adultes ont pourtant raconté ces histoires aux enfants pendant des millénaires. Aujourd’hui, on ne connaît d’eux que les versions édulcorées par Disney et ses sympathisants. En outre, on assiste actuellement à une « rectitudisation » des textes, même les plus célèbres. On réécrit Roald Dahl. On interdit certains mots. On brûle des livres. Staline, Hitler et Big Brother en seraient jaloux. En conclusion, les limites à ne pas franchir diffèrent selon les époques, les civilisations, les idéologies, etc. Mes limites personnelles me sont dictées par ma seule conscience.
Vous écrivez des romans jeunesse depuis plusieurs décennies : les parents des jeunes qui liront cet ouvrage sont peut-être même des lecteurs des aventures que vous publiiez dans les années 1980. Vos romans, comme ceux de l’époque, abordent des thématiques similaires, dont l’amitié, la confiance, le surnaturel, voire l’horreur. Qu’est-ce qui, quarante ans plus tard, est similaire dans votre approche de l’écriture et qu’est-ce qui, au contraire, s’est modifié?
D’abord, j’écris moins et je me le pardonne. La vaste majorité des gens de mon âge sont retraités, non? Ensuite, je ne m’investis plus dans des séries comme les aventures de Maxime (douze titres) ou le cycle des Inactifs (quatre titres). Ces dernières années, j’ai tenté des expériences un peu inusitées (l’adaptation de L’amélanchier de Jacques Ferron, le roman graphique Dessine-moi un Martien) qui, bien que leurs résultats aient été finalistes à des prix importants, n’ont eu aucun succès sur le plan commercial. Pour le reste, rien n’a changé dans mon approche. Je suis le même homme et je n’ai pas plus confiance en moi qu’auparavant!