Le bédéiste Jean-Nicolas Vallée a aimé, follement aimé, durant sa jeunesse. Avec Ma meilleure amie, son touchant récit autobiographique sur sa relation avec la candide Anaïs, il replonge le lecteur à la fin des années 1980 alors qu’en lui les émotions affluent à mesure que sa relation avec cette fille se densifie, prend tout l’espace de son existence. Mais si lui est amoureux, à ses yeux à elle, il n’est qu’un ami d’une grande importance. C’est donc l’histoire d’un couple qui n’a pas existé, mais surtout l’histoire d’un jeune homme qui a vu se frôler l’amour et l’amitié.

Que peut-on se permettre et que doit-on éviter lorsqu’on met en cases une histoire autobiographique qui, certes, nous met en scène, mais aussi une autre personne? Jusqu’où peut-on ou doit-on aller?
J’avais la chance d’avoir des milliers de notes dans mes journaux intimes et ça m’a un peu poussé à respecter la réalité. Je ne sentais pas le besoin de me censurer, car je me doutais que ce récit sur le rejet amoureux pouvait rejoindre un public. Même si on ne s’est pas vus depuis trente ans, j’avais confiance en mon amie et en sa réaction devant ce livre. Je lui avais envoyé une maquette, et elle fut très touchée de voir notre relation mise en mots et en images. Jamais elle ne m’a critiqué sur ma façon de la représenter. Et sincèrement, je n’aurais jamais pu faire ce livre sans mes trente ans de recul face à cette histoire.

En quoi vos journaux de l’époque vous ont-ils aidé dans l’écriture? Les relire et ensuite replonger dans vos souvenirs en les travaillant artistiquement était-il une façon de panser la perte de cet amour de jeunesse?
Ça m’a aidé à mettre le doigt sur les moments précis où mon amie et moi étions en réelle connivence. J’ai ainsi pu choisir les détails les plus significatifs de notre relation. Mon but était de démontrer qu’en amour, comme en amitié, des joies et des peines peuvent coexister, même si, à la source, elles émanent de sentiments différents. Sans les notes foisonnantes de mes journaux, je n’y serais jamais arrivé. J’ai eu des frissons en relisant quelques beaux passages à propos de mon amie, mais j’ai tant changé que j’avais aussi cette étrange impression de lire le journal d’un autre. Était-ce cathartique? Je me suis souvent posé la question, mais je n’ai pas de réponse…

Il y a de nombreuses références cinématographiques, géographiques (noms de rue, de lieux publics, etc.) et musicales précises dans votre BD. Est-ce une façon de marquer le réalisme, l’époque, la culture du moment?
Oui. Dans le livre, les lieux, les films, les titres de livres et pièces de théâtre, la musique des Cure et de Joy Division, etc., sont nommés précisément parce qu’ils apparaissent dans mon journal intime des années 1980-90. Mais tout ça devait être bien intégré au récit et ne pas prendre trop de place. J’ai fait des recherches sur Internet pour les décors de Québec, les vêtements, ainsi que les objets de l’époque. Quand je faisais une mise en scène, je m’assurais que c’était conforme au temps évoqué. Pendant la création du livre, j’ai beaucoup réécouté la musique de mes 20 ans et ça m’a grandement inspiré.

À la parution de Par un fil, un journaliste a comparé votre coup de crayon à celui de Craig Thompson, avec raison d’ailleurs. Mais à votre avis, quels sont les artistes qui ont influencé votre parcours artistique et pour quelles raisons?
Blankets de Craig Thompson est un livre majeur pour moi, il m’a énormément marqué. J’ai eu plusieurs influences, mais je reconnais qu’au fil des années, ces auteurs et autrices m’ont amélioré en tant qu’artiste : Schulz, Pierre Wazem, Judith Vanistendael, Antony Huchette, Catherine Lepage, Raina Telgemeier, Joel Orff, Jimmy Beaulieu, Lucie Durbiano… Leurs propos et leurs dessins m’ont touché et je ne divise pas leur œuvre, c’est un tout, et c’est leur sensibilité au final que je retiens. À ce titre, je place Jeffrey Brown dans une classe à part. Ses livres autobiographiques sont de vrais petits chefs-d’œuvre remplis de tendresse.


Extraits tirés du livre Ma meilleure amie (Mécanique générale) : © Jean-Nicolas Vallée
Photo de Jean-Nicolas Vallée : © Marimay Loubier

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