Pour beaucoup dont la langue maternelle ou la plus courante des langues secondes est l’anglais, Montréal est une ville de jeunesse éphémère. Les étudiants arrivent du reste du Canada (on dit ROC en anglais) ou des États-Unis pour fréquenter l’université — Concordia s’ils sont canadiens, McGill s’ils sont américains. Ils vivent parmi leurs amis dans le Mile-End, flânent quelques années après avoir obtenu leur baccalauréat ou leur maîtrise, vénèrent Leonard Cohen, font quelques blagues sur Céline Dion, écrivent leur roman montréalais (cataloguant les hivers à moins quarante, les pichets cheap, leurs années maigres de chômage ou d’emplois précaires parce qu’ils ne parlent pas français, la visite requise dans un resto de viande fumée), sortent vaguement avec quelqu’un qui a déjà eu une gig en première partie d’Arcade Fire, et finalement rentrent à la maison.

Quand j’étais plus jeune, mes amitiés ne duraient jamais plus de quatre à six ans parce que finalement tout le monde partait pour Toronto, Kamloops ou New York. À l’époque, lorsque je rencontrais des anglos dans des partys, ils s’exclamaient : « Wow, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui est originaire de Montréal! » et je répondais : « C’est parce que vous ne connaissez pas de francophones. » Et ils étaient un peu offensés, un peu irrités, comme si je les jugeais. Mais ni eux ni moi n’avions tort. Ce n’était pas une bonne réplique à lancer pour se faire des amis. Mais il n’est pas facile non plus de se lier d’amitié avec des gens qui ne savent pas où ils se trouvent, peut-être surtout lorsque vous êtes un habitant du coin. Et le problème avec les anglophones du Québec, c’est que beaucoup ne savent pas où ils se trouvent. Ce n’est plus selon la vieille école du « Parlez anglais! » chez La Baie dont nos parents se souviennent. C’est seulement de l’ignorance, et peut-être du classisme. Je suis autorisée à le dire parce que je suis moi-même anglophone. Mettons. À moitié.

Le couteau à double tranchant de ce déracinement ou de cette errance de la communauté artistique anglophone de Montréal est aussi sa grande richesse. Même si de nombreux anglophones littéraires ne s’installent pas à Montréal de façon permanente — bien que certains le fassent — et ne réalisent peut-être jamais qu’ils vivent dans une ville et un espace uniques en Amérique du Nord — bien que certains y arrivent — (ils ne connaissent pas la Révolution tranquille et l’histoire de notre français, ou sont blasés de notre histoire tout court et souhaitent qu’on en revienne, ils ne se soucient pas du nombre de théâtres [il y en a tant!] que nous avons ni de magazines littéraires, ne s’interrogent pas sur le genre de publications féministes que nous avons au Québec, à l’université ils ne lisent jamais Tremblay, Hébert ou Nelligan et n’ont pas de contextualisation pour comprendre Arcan, VLB, Jean Paul Lemieux, Françoise Sullivan, etc., etc.), ils ont leur propre culture, leur propre art, leurs propres références. Et ils excellent à inviter des amis et des pairs à visiter notre ville, l’utilisant comme toile de fond pour organiser des événements et créer des ponts entre les communautés internationales (anglophones).

En période non pandémique, le Montréal anglo accueille des festivals littéraires et des séries de lecture qui attirent des auteurs de partout au Canada et aux États-Unis, ainsi qu’à l’occasion, du Royaume-Uni et des Caraïbes, entre autres. Ces événements sont d’importants moments de réseautage pour nous, car le Canada est vaste et peu peuplé et que chaque portion géographique a son propre cadre de référence littéraire.

Un grand nombre de ces initiatives littéraires proviennent de l’Université Concordia, qui possède l’un des programmes de création littéraire les plus respectés au Canada (également le plus notoirement dénoncé, mais abordons cela dans un autre article). Les programmes de bac et de maîtrise de Concordia attirent des écrivains et des éditeurs exceptionnellement talentueux qui donnent souvent le ton de leur génération pour l’écriture et l’édition au Canada (les diplômés comptent Heather O’Neill, Johanna Skibsrud, Gillian Sze, Pasha Malla, Fawn Parker, Ashley Opheim, Carmine Starnino, Laura Broadbent, Emma Healey, Michael Nardone, Zoe Whittall, Nino Ricci, Kate Hall, Moez Surani…).

La série Writers Read de Concordia, dirigée par l’auteure montréalaise, prof à l’Université Concordia, critique et force de la nature Sina Queyras, est impeccablement organisée et a présenté des lectures et des classes de maître avec des auteurs tels que Roxane Gay, Jordan Tannahill, Mary Ruefle, Major Jackson, Paula Meehan, Elisabeth de Mariaffi, Dionne Brand, Emma Donoghue, Tanya Tagaq, Francine Prose, Madeleine Thien, Lydia Davis, Roddy Doyle, CD Wright, George Saunders, Jorie Graham, Mary Gaitskill, Rae Armantrout et Chris Kraus, et beaucoup d’autres. Les lectures sont ouvertes au public et attirent des foules nombreuses. C’est tout simplement emballant de pouvoir dialoguer avec ces écrivains de renommée internationale ici chez nous, et d’être exposés à une littérature que nous connaissons peut-être moins.

Parmi les séries de lecture à noter, citons, bien sûr, le poids lourd international et multilingue qu’est Métropolis Bleu, la série minutieusement sélective Atwater Poetry et la série de lecture bilingue (hourra!) des Cabarets Bâtards. Et, bien entendu, tous les événements organisés par Drawn & Quarterly.

La Quebec Writers’ Federation est un pilier de l’écriture de langue anglaise au Québec. L’organisme invite des écrivains dans les écoles, collabore avec la CBC, parraine et coordonne des concours, des prix et des cours de création littéraire. Il ne serait pas exagéré de dire que la Fédération rassemble les écrivains et galvanise l’écriture anglaise au Québec, procurant un sentiment de communauté aux auteurs, peut-être plus particulièrement à ceux qui vivent au Québec en permanence.

Côté théâtre, Playwrights’ Workshop Montréal fait un travail incroyable en encourageant les dramaturges émergents et en développant des traductions théâtrales, et travaille en étroite collaboration avec la communauté théâtrale francophone de Montréal, notamment en partenariat avec le Festival du Jamais Lu et le Centre des auteurs dramatiques (CEAD).

L’histoire de l’écriture en anglais à Montréal est longue et complexe, mais s’il y a une chose que je souhaite au Québec français de découvrir, c’est l’écriture juive de Montréal. Aaron d’Yves Thériault est nul et ce ne devrait pas être la seule chose que vous lisiez sur une culture locale aussi dynamique. Commencez par un classique. Commencez par Mordecai Richler. Si je ne pouvais en choisir qu’un, ce serait Solomon Gursky Was Here (Solomon Gursky, Boréal). Pour des voix plus modernes, découvrez The Mystics of Mile End de Sigal Samuel (Les mystiques du Mile-End, Marchand de feuilles) et Sweet Affliction d’Anna Leventhal (Douce détresse, Marchand de feuilles). Et, entre parenthèses, si jamais quelqu’un veut s’obstiner avec vous au sujet des bagels, ceux de Montréal sont les meilleurs. Au monde. Les New-Yorkais pourraient argumenter sur ce point, mais ne reculez pas. No one’s got anything on us.

 

Éditeurs anglophones à Montréal :
Baraka Books
Carte Blanche
DC Books
Drawn & Quarterly
Linda Leith Publishing
Maisonneuve Magazine
Metatron Press
Metonymy Press
The Montreal Review of Books
Véhicule Press

Théâtres anglophones à Montréal :
Black Theatre Workshop
Centaur Theatre
Geordie Theatre
Imago Theatre
Montreal Playwrights’ Workshop
National Theatre School of Canada
Segal Centre for Performing Arts

Organismes artistiques anglophones à Montréal :
AELAQ : Association of
English-Language Publishers of Quebec
ELAN : English Language Arts Network
QWF : Quebec Writers Federation

Principaux prix littéraires anglophones au Canada :
Governor General’s Literary Awards
Giller Prize
Albert B. Corey Award
Arthur Ellis Awards
CAA Poetry Award
Commonwealth Short Story Prize
Dayne Ogilvie Prize
for LGBTQ Emerging Writers
Donner Prize
Engel/Findley Award
Gerald Lampert Memorial Award
Griffin Poetry Prize
Matt Cohen Award:
In Celebration of a Writing Life
RBC Bronwen Wallace Award
for Emerging Writers
Rogers Communications
Writers’ Trust Fiction Prize
Stephen Leacock
Memorial Medal for Humour

 

Melissa Bull
L’écrivaine, éditrice et traductrice Melissa Bull dirige la chronique « Writing from Quebec » dans le magazine Maisonneuve. C’est elle qui a traduit en anglais Burqa de chair de Nelly Arcan et Bordeline de Marie-Sissi Labrèche. Toujours en anglais, elle a signé le recueil de poésie Rue et le recueil de nouvelles The Knockoff Eclipse chez Anvil Press. Ce dernier ouvrage a été traduit en français chez Boréal en 2020 sous le titre Éclipse électrique.

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