L’océan a sa biographie
Océan (Perce-Neige), c’est la langue magistrale, joueuse, libre et dansante de la poète néo-écossaise Sue Goyette (traduite par Georgette LeBlanc, en lice pour un GG de la traduction). C’est un ouvrage comme nul autre pareil, écrit en vers libres, narratifs, et réinventant la biographie de l’océan, parlant de ceux qui sucrent ses marées, de ceux que l’océan assaisonne, de ceux qui osent appeler ses eaux famille. Mythes, légendes, souvenirs : sont ici recollés des morceaux, fictifs ou non, qui racontent à coups de métaphores le dessous des eaux atlantiques. « ils appeliont l’océan “dragon”, les hommes perciont ses côtés/pis enduriont sa rage divine pour se rendre aux trésors qui se cachiont. »

 

Un Philippe Claudel illustré
Petit bijou qui allie la force des mots et des illustrations à celle de la mer, Rature (Philippe Claudel et Lucille Clerc, Stock) raconte — simplement et en profondeur, ainsi qu’en illustrations grandioses — l’histoire d’un pêcheur, dont l’odeur est celle, salée, du grand large qui a donné à son bateau le surnom qu’il portait lui-même, jadis : Rature. C’est un homme de peu de mots, dont les gestes et les regards parlent davantage. Il aime et connaît son métier, il aime et connaît la mer. Son fils suivra-t-il ses traces? Cet ouvrage, entièrement illustré à la main, au collage et en sérigraphies par une Lucille Clerc hautement talentueuse, nous fait entendre le vent, goûter le sel et tanguer par la force des émotions.

 

Huis clos à bord
Plusieurs auteurs ont trouvé une riche matière littéraire en la disposition de leur personnage sur un bateau. Un lieu sans issue, un microcosme où les pouvoirs changent parfois de main, une ambiance pouvant être terrifiante, romantique ou inspirante. On pense certes à Mort sur le Nil d’Agatha Christie, mais, plus près de nous dans le temps, on souligne Ultramarins (Mariette Navarro, Quidam), l’histoire de l’équipage d’un cargo dirigé par une commandante à la discipline de fer, dont les membres demanderont à la patronne de les laisser plonger dans l’Atlantique, le temps d’une baignade, et ce, en dépit du règlement l’interdisant. Aussi fantaisiste soit cette demande, elle sera tout de même acceptée. Mais, au retour des hommes d’équipage à bord, quelque chose en eux — ou peut-être est-ce le bateau lui-même? — aura changé… On doit également nommer Capitaine (Stock), où Adrien Bosc s’inspire d’une traversée qui a réellement eu lieu entre l’Europe et l’Amérique, de mars à septembre 1941. Juifs, apatrides, immigrés : ils sont plusieurs à vouloir fuir la guerre, dont André Breton, Claude Lévi-Strauss et Wifredo Lam. Des écrivains surréalistes et des artistes réunis sur un bateau : le voyage promet. On prendra également les voies maritimes dans La table des autres (Boréal), de Michael Ondaatje, alors qu’on y suit les tribulations d’un jeune de 11 ans, qui voyage du Sri Lanka vers Londres sur un bateau de croisière avec une cousine éloignée, afin de rejoindre sa mère. Il sera fasciné par des adultes excentriques, par la stature du capitaine, par l’équipage. Singulière traversée que sera celle de l’océan Indien pour l’auteur qui tisse des liens entre ce voyage et la construction de sa vie d’adulte.

L’œil américain rivé sur les eauxPlusieurs livres de « L’Œil américain » , la collection de nature writing chez Boréal, s’articulent autour de la vie sur l’eau. Parmi eux, on retient Ristigouche (parution le 24 avril), un appel à découvrir ce trésor naturel qui s’étend entre le Québec et le Nouveau-Brunswick. Le journaliste Philip Lee, qui navigue depuis son enfance, nous entraîne avec lui en canot pour sillonner cette majestueuse rivière à l’histoire aussi riche que ses berges afin de nous sensibiliser à l’écosystème qu’il abrite. On apprend ainsi l’histoire de ce cours d’eau, les gens qui l’ont croisé, les tumultes que la Ristigouche a contenus, les saumons qui l’habitent et qu’on doit impérativement protéger. Lee est un grand conteur et ce livre transmet son amour profond pour cette rivière. Dans Les étés de l’ourse de Muriel Wylie Blanchet, on recule dans les années 1930 et on embarque sur les fjords et les détroits de la Colombie-Britannique. « À bord d’un bateau peuplé d’une tribu mère-enfants aux mœurs frugales, on partira en quête du meilleur mouillage, on observera ressac, marées et poissons, on se faufilera entre d’immenses falaises pour atteindre un petit paradis bien gardé », en dira la libraire Violette Gentilleau à sa sortie en 2020. Et finalement, on doit absolument s’attarder à Mort à la baleine, de Farley Mowat, traduit par Christophe Bernard, qui nous entraîne en 1969 à Terre-Neuve, aux côtés d’un rorqual commun prisonnier d’un étang salin. Le lecteur assiste alors à un combat entre un écrivain-écologiste et un groupe de pêcheurs : le premier veut sauver l’animal de la fureur du monde, les seconds agissent avec violence. Ce qui se joue sous la plume de Mowat est grand.

Le bruit du monde en mer cette saison
Ici, c’est l’histoire d’un marin qui met pied à terre aux îles Féroé; là, c’est celle d’une crique de pêcheurs qui abrite les émois de jeunes de 18 ans; là encore, c’est un bateau, comme l’espoir d’une libération prochaine, qui tarde à venir évacuer des civils. La toute jeune maison d’édition française Le bruit du monde propose en avril trois premiers romans riches en promesses. L’escale, de Marion Lejeune (en lice au Prix Ouest-France Étonnant Voyageurs), s’ouvre sur une scène sur un bateau : on est à la fin du XIXe siècle et les marins organisent des combats de rats, sur lesquels ils parient. Grigori s’endette à un point tel que sa vie est menacée par un autre matelot. Il fera ainsi une escale sur l’archipel des îles Féroé, dans une nature aride, où il rencontrera une femme qui escalade les falaises pour y dénicher des œufs d’oiseaux qu’elle vend ensuite. Dans Les enfants de la crique, Rémi Baille — dont l’écriture est franchement maîtrisée — démontre en quoi la Méditerranée est un paradoxe, à la fois gorgée de candeur, mais aussi de gravité. Dans un mélange des genres (contes, chanson, récit, etc.), il raconte l’histoire de Coco et Nin, à cet été de tous les possibles : celui de leurs 18 ans, empreint de rêves d’émancipation. Le village de pêcheurs créé dans cette crique, dans cet écrin littéraire, est un véritable huis clos à ciel ouvert. Et, finalement, Le bateau blanc de Xavier Bouvet se démarque déjà : il n’était même pas encore paru qu’il figurait sur la liste du Prix des libraires français, une première. Dans une construction ambitieuse s’étalant sur deux époques séparées par une décennie, l’auteur explore ce qui se passe lorsque les choses semblent inéluctables et ce qui peut, à la faveur de presque rien, être changé. Il le fait en racontant l’histoire de la République de Slovénie piégée entre deux impérialismes (les Allemands et les Russes) et celle d’un homme, dévoué, séparé à jamais de sa famille — l’histoire d’une évacuation par voie maritime ratée.

Des documentaires illustrés chez Rue du monde
L’éditeur Rue du monde, qui fait dans les beaux livres jeunesse illustrés étonnants et engagés, contient notamment dans son catalogue deux petites perles qui font la part belle aux eaux : Mers et océans du monde ainsi que Les plus grands fleuves du monde, tous deux illustrés par les talents de Martin Haake. L’illustrateur allemand propose des doubles pages fourmillant de détails et de textures et sait assurément capter l’attention.

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