Ils sont plusieurs auteurs à se laisser porter par l’aspect romanesque des eaux. Découvrez-en ici quelques-uns qui ont placé ce thème au cœur de leur création.
Photo : © Angelo Barsetti

Sylvie Drapeau
Comédienne et autrice, Sylvie Drapeau grandit sur la Côte-Nord près de l’eau et de son immensité avalante. Le premier de ses quatre romans biographiques, Le fleuve (Leméac, 2015), raconte la vie enjouée de « la meute », le petit groupe de sœurs et de frères aux élans joyeux, petits loups de mer tonitruants qui vont à la plage patauger dans le jeu des vagues. À un moment pourtant, les eaux signeront la césure des grandes peines; au cours d’une journée de baignade en famille, Roch, un des membres de la tribu, restera au fond des abysses. Cette noyade laissera de profonds stigmates en chacun et chacune, cicatrices que l’on retrouve en filigrane des autres livres, Le ciel (2017), L’enfer (2018) et La terre (2019), bien qu’ils n’abordent pas spécifiquement l’événement de l’eau. « Même après que la meute a été disséminée, l’océan m’aura, comme ça, toujours rappelée vers l’enfance, papa, maman, la meute et toi. Notre frère. » Le titre donné à la tétralogie sera d’ailleurs Fleuve puisque chaque tournant vécu conflue vers cette perte, pierre blanche de tout ce qui s’ensuivra, mais aussi parce que la nature même de l’eau est de poursuivre son mouvement, de faire confiance au rythme immuable des flots. Et lorsque la lumière du soleil miroite sa surface — au nord, c’est au lever du jour qu’elle se manifeste —, le fleuve, serti de ses meilleures intentions, porte en lui tout un gage de foi et de bonté.

Photo : © JL Bertini

Emmanuel Lepage
Dessinateur, scénariste et coloriste, Emmanuel Lepage est un artiste français hautement reconnu pour son style réaliste, son habileté au dessin et sa capacité à rendre compte des territoires rarement explorés sous la forme de reportages illustrés ou de fictions. En 2021, il fut d’ailleurs le premier bédéiste à recevoir le titre de Peintre officiel de la Marine. « Si j’aime autant la mer et dessiner des bateaux, c’est, je crois, parce que cela véhicule un imaginaire très fort, celui des marins. À chaque fois que j’ai embarqué, j’ai rencontré des gens très bienveillants et je me suis toujours trouvé à ma place », a-t-il dit en entrevue pour Ouest-France. S’il parle de son « embarquement », c’est qu’il a à quelques reprises pris la mer, notamment pour Voyage aux îles de la Désolation et La lune est blanche (réunis chez Futuropolis sous le titre Australes), entre autres aux côtés de son frère photographe, en direction des Terres australes et antarctiques françaises, à l’invitation de l’Institut polaire français. On lui doit aussi la trilogie épistolaire amorcée avec Les voyages d’Ulysse (puis ceux de Jules et d’Anna), où il nous embarque sur un bateau aux côtés d’un artiste de la fin du XIXe siècle, cherchant sa muse, Anna. Mais son œuvre maritime phare demeure assurément Ar-Men : L’enfer des enfers (Futuropolis, 2017), qui raconte l’histoire d’un célèbre phare français, grâce à l’un des derniers gardiens qui en relate les légendes, la poésie, la construction, les marins qui y débarquaient, la vie quotidienne des gardiens qui choisissaient ce « fond du monde », jusqu’à l’automatisation de certaines fonctions. Entre réalité, fiction et mythes, entre refuge, prison et rempart; Ar-Men tient ici debout, fier, au centre de la mer.

Photo : © Mathieu Rivard

Roxanne Bouchard
Dans les trois aventures mettant en scène l’enquêteur Joaquin Moralès, Nous étions le sel de la mer (VLB éditeur, 2014), La mariée de corail (Libre Expression, 2020) et Le murmure des hakapiks (Libre Expression, 2021), les enquêtes se marient au grand air, aux effluves de la mer et aux histoires de pêcheurs. On a l’impression de sentir l’air salin, de goûter l’eau salée et d’entendre le langage coloré des pêcheurs. Roxanne Bouchard s’est imprégnée de cet univers, ce qui transparaît dans son écriture. « J’embarquais sur des voiliers, entièrement bénévole, et je naviguais des semaines durant avec des équipages différents. On descendait le fleuve, le golfe, on fendait la baie des Chaleurs », a-t-elle révélé dans une entrevue entre nos pages. Dans le premier titre, le corps d’une femme a été repêché dans les filets d’un pêcheur en Gaspésie, tandis que dans le deuxième opus, c’est une capitaine de homardier qui a disparu avec son bateau. De son côté, le troisième titre se déroule littéralement principalement sur la mer. Au cœur de l’hiver, sur un chalutier des Îles-de-la-Madeleine en route pour la chasse au phoque même si une tempête se prépare, Simone Lord, l’agente des pêches, n’est pas la bienvenue et les membres de l’équipage ne semblent pas recommandables. Pendant ce temps, Moralès est sur un autre bateau en direction de la Gaspésie, sans savoir que Simone est peut-être en danger. Dans ce polar, on ressent la houle, le froid et la puissance du vent et des marées.

Photo : © Carl Lessard

Dominique Fortier
« La mer m’inspire à retardement. […] Elle continue de m’habiter longtemps après que je l’ai quittée. Et c’est l’hiver à Montréal que je vais être capable d’écrire sur la mer », a dit Dominique Fortier en 2020 à l’émission Dessine-moi un été à ICI Première en parlant de ses étés qu’elle passe dans le Maine. L’écrivaine a d’ailleurs écrit une ode à la beauté de la mer dans le livre jeunesse Une histoire dans une bouteille (La Bagnole, 2023) et elle a mis en scène l’expédition de deux navires dans les eaux froides de l’Arctique dans Du bon usage des étoiles (Alto, 2008). Dans Au péril de la mer (Alto, 2015), elle s’intéresse à l’histoire du Mont-Saint-Michel, érigé entre le ciel et la mer, un lieu qui l’émerveille, qui était jadis reconnu comme la Cité des livres, et où la narratrice cherche l’inspiration. À une autre époque, un peintre se remémore une femme qu’il aimait. Entre un roman et un carnet d’écriture, cette œuvre, qui rend un vibrant hommage aux livres, navigue dans les eaux de l’histoire et de la création, erre entre la petite et la grande histoire, avec en filigrane la mer, qui permet au Mont d’être « debout au milieu de l’eau », lorsqu’il devient une île deux fois par jour grâce aux marées. « J’ai pressé le pas car la mer allait bientôt monter et Robert m’a prévenu cent fois que les marées prennent d’assaut le Mont plus vite qu’un cheval au galop. »

Photo : © Maxyme G. Delisle

Hélène Dorion
La poète, essayiste et romancière Hélène Dorion, qui a été inspirée par la mer entre autres dans Portraits de mers (La Différence, 2000) et Jours de sable (Leméac, 2002), s’est rendue sur une île pour écrire notamment Recommencements (Druide, 2014) et L’étreinte des vents (PUM, 2009). Pour ce dernier titre, elle médite sur les liens entre les êtres, sur ce qui les fait tanguer, une quête à l’image de l’île où elle se trouve : « Pour écrire sur ce qui nous lie et nous délie, ce qui se noue et se dénoue, se rompt brutalement et nous jette au cœur du remous, de ces failles qui peuvent devenir des brèches par lesquelles renaître à nous-mêmes; pour explorer l’ampleur et l’intensité de ces mouvements intimes, je suis venue dans un lieu qui en est aussi le reflet. Une île, au bout d’un vaste continent. » L’eau comme métaphore de la vie et de l’écriture, avec ses mystères insondables, ses beautés comme ses vagues houleuses, se retrouve également dans Pas même le bruit d’un fleuve (Alto, 2020). Après le décès de sa mère, Hanna découvre ses carnets et essaie de comprendre celle qui semblait souvent absente de sa propre vie. Pour ces retours dans le passé, Hanna longe la route qui borde le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Rimouski et elle s’attarde entre autres au premier amour de sa mère mort en mer sur son voilier et au naufrage de l’Empress of Ireland en 1914. Dans ce roman qui retrace l’histoire de plusieurs naufragés, le fleuve, porteur d’une mémoire individuelle et collective, évoque donc le chemin qu’emprunte Hanna vers son histoire et celle de sa mère. Il représente aussi les tumultes et les recommencements qui jalonnent l’existence.

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