Certaines écrivaines creusent leur intime, l’exposent au grand jour, nous permettent de nous y reconnaître grâce à des histoires poignantes. On vous présente ici une sélection d’œuvres qui nous ont fait éclater de rire, réfléchir. Des récits qui traitent tous de l’intime et adoptent divers genres : bande dessinée, essai, roman, récit autobiographique, recueil de poésie. Le terme « intimité », plus probant depuis la pandémie, est plurivoque : il peut suggérer un lieu dans lequel la vie privée est respectée, une relation de profonde confiance entre deux personnes ou encore l’intimité personnelle, ce qu’on préserve en nous. Voici donc cinq œuvres-baumes-bombes incontournables.

Une confession, la nôtre
Confessions d’une femme normale (Pow Pow) est une création du 9e art qui est la définition même du sentiment de validation. Éloïse Marseille y narre son vécu : ses premiers émois sexuels, le visionnement d’un film avec des scènes choquantes dans le salon familial, la honte ressentie lors de rendez-vous amoureux homosexuels. Cette œuvre littéraire, qui est la première d’Éloïse Marseille, rend accessible la thématique de la sexualité, notamment par le recul et la légèreté dont elle fait preuve et qui sont cathartiques.

Confessions d’une femme normale déconstruit des tabous sexuels bien ancrés dans la société québécoise, des problématiques rarement soulevées sur la place publique. Par exemple, elle traite de la manière dont notre regard est déformé par l’omniprésence de la pornographie, dont les préceptes sont insensés et exagérés.

Extrait tiré de Confessions d’une femme normale (Pow Pow) : © Éloïse Marseille

Un refuge intérieur
Avec Tu choisiras les montagnes (Le Noroît), Andréane Frenette-Vallières a créé un essai mariant la poésie, la psychanalyse et la nature dans un langage sublime dont chaque mot est recherché.

L’auteure a écrit ce texte pour surmonter les violences qu’elle a subies. Elle tenait dans le secret de sa pensée une voix, Mona. Une relation s’est nouée entre elle et cet alter ego, dont la présence est révélée par des passages en italique. En faisant sortir cette voix au-delà d’elle-même, en écrivant, l’auteure s’est autorisée à dévoiler son for intérieur : « Mais voici que je me déchire encore, divisée entre toutes les actions possibles et impossibles, captive. Je voudrais que mes écrits traduisent la souffrance de ma surdose de vitalité, je ne la contiens plus, ne la connais plus. Elle me sort par la peau : des nuées de fous. »

L’intimité symbolise l’intériorité et le secret. Ce désir de dissimulation devant les autres met l’accent sur le rapport d’altérité : « Au départ, les textes de Mona étaient ma voix, mais je ne pouvais pas aller aussi loin parce que c’était trop proche de moi. Je fais donc vivre à Mona ces sujets à l’intérieur de l’intimité », a relaté Frenette-Vallières en entrevue pour L’œil régional.

La poétesse a trouvé refuge dans les coins naturels de la Côte-Nord et du mont Saint-Hilaire. Les mots sensibles de Tu choisiras les montagnes rendent palpables cette terre, cette verdure, ces épines tortueuses. Loin de la présence humaine, l’écrivaine cherche sa voix qui a été trop souvent tue, pour pouvoir à nouveau habiter son corps et son écriture. Il m’a été difficile de ne pas écorner toutes les pages, toute l’œuvre étant très juste : « Le paysage et l’éloignement, mais aussi le travail quotidien du corps pour sa survie, se présentent pour Sue Hubbell et pour Henry David Thoreau comme moyens ultimes de revenir au sens fondamental de l’être. Et l’écriture, parce qu’elle se situe au plus près du souffle, permet de rendre compte d’une telle parole, heurtée et truffée de silence, trouée de blancs. »

Ce que je retiens de Tu choisiras les montagnes, c’est une écriture appelant à cor et à cri le sublime de la nature. J’ai été bouleversée par cette intimité fouillée, recherchée, exposée.

Une comète inextinguible
Marie-Hélène Racine travaille entre autres le collage et on retrouve dans Tohu-bohu (La maison en feu) ce mélange d’images et de mots. Ce recueil de poésie explore les parcelles traumatiques tirées de l’inconscient de l’auteure. Ses souvenirs d’enfance résonnent en une déflagration au fil des pages.

Cette œuvre est la marque d’un univers empreint d’une imagination fertile, elle regorge de symboliques frappantes. La teneur langagière du texte côtoie le fantastique, avec la véhémence de la chute d’Icare : « Faite d’acétates et de cendres, ma mémoire est une montagne de duplicata. Elle largue derrière elle des poussières d’ectoplasmes avant de flamber dans les tambours qui s’étirent sous mes yeux. Parfois, il suffit que je change de pièce pour que mes souvenirs me suivent à la catastrophe. Les fantômes qui viennent de naître avalent alors les premiers. Le bruit devient épouvantable. Champ de bataille tonnerre, silence. »

C’est un texte émouvant, prenant, car on devine la réalité qui se cache derrière la fiction. L’auteure a réussi à nous faire ressentir sa poésie-roche dans son tranchant, son poids, sa signification originelle : « Je cherche ma jeunesse calcaire dans le fond des puits. »

La force de l’œuvre est recelée dans la teneur des mots et ses possibilités : une nouvelle intimité devient possible lorsqu’on lit Tohu-bohu — dont le sens premier est le chaos primitif.

Une nostalgie de l’abandon charnel
Mélodie Nelson publie en 2010 l’autobiographie littéraire Escorte, basée sur son expérience personnelle. La mécanique des désirs paraît en 2022 aux éditions Château d’encre et, comme le précise l’auteure sur son compte Instagram, ce n’en est pas une réécriture, mais une « réflexion actualisée, dont les fils conducteurs sont l’industrie du sexe, les livres et les attentes qu[’elle] avai[t] de la vie et qu[’elle] tentai[t] de combler surtout par la sexualité ». Ce récit est destiné aux gens qui s’intéressent aux questions de la chair et des désirs humains. Nelson nous narre sous une plume franche son expérience comme escorte, donnant un visage à cette profession. On entre en tant qu’ami.e dans sa chambre d’hôtel et dans son quotidien. La mécanique des désirs explore le lien dans l’intimité : Nelson relate les détails de ses relations avec ses clients, arborant leur unicité.

Mais être intime avec quelqu’un, c’est également connaître ses secrets. Ainsi, l’intimité, créée à partir du partage des affects et sur une base séductrice, placerait les deux partenaires dans la position de s’intéresser mutuellement à l’intime de l’autre, dans le but de remettre en scène par l’autre les questions toujours vivaces relatives au manque originaire1. Tout au long du récit, une nostalgie d’une expérience non vécue est présente, une volonté qui, si elle était accomplie, serait libératrice : « Je veux te raconter les fois où je suis montée dans des autobus, sans rien sous mes jupes. Toutes les fois où j’ai voulu qu’il m’arrive quelque chose, parce que je suis encore ici, à croire que je vais vivre quelque chose, si j’attends. »

Je dois remercier Mélodie Nelson d’avoir donné une voix à un métier trop souvent terni par les stéréotypes et où la femme est pointée du doigt. J’attends encore le récit du point de vue des clients masculins de ce travail. D’ici là, autant les femmes que les hommes peuvent ouvrir leurs horizons en lisant ce récit autobiographique.

Une présence trouble
L’artiste multidisciplinaire Maude Veilleux, dont le travail vogue à travers plusieurs sphères de l’art, a intégré la photographie à ghost. Ce recueil de poésie a été écrit lors de son passage à la résidence poétique de Joliette en 2022 et est publié par la maison d’édition Bouc Productions. Comme l’a mentionné l’auteure entre les pages de la revue Les libraires de septembre dernier, l’œuvre traite de l’angoisse de la production, qui prend la forme de fantômes2. Cette inquiétante étrangeté se révèle entre chien et loup, altérant les frontières du visible et de l’invisible.

Ses textes amènent des questions sur les apparitions et leur raison d’être. Et soulever la possibilité de leur existence les fait exister un moment, à l’instar de feux follets : « je détourne les yeux de mon reflet / je suis un corps / j’ai un corps / et plusieurs visages un avec des traits suspendus, jamais libre, / dont le destin ne s’accomplira pas / au coin de l’œil : / un endroit où la vie continue mais où le temps s’est en / quelque sorte arrêté // en effet, nous créons ce que nous créons ».

Maude Veilleux est allée interroger les lieux de l’intime. Quand l’obscurité tombe, qu’y a-t-il au plus profond de nous? Qu’est-ce que nous nous cachons à nous-même? Quelle est la façade que nous choisissons de présenter à autrui? Les autoportraits de Veilleux émaillés dans ghost appuient cette réflexion sur l’identité narrative.

Les mots de ghost frappent dans le mille. Je suggère cet écrit aux adeptes de la poésie, aux sensibles qui ne craignent pas leurs fantômes.

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1. Marie-Paule Chevalérias, « Intimité et lien intime », Le Divan familial, vol. 11, n° 2, 2003, p. 11-23.
2. Ariane Lehoux, « Maude Veilleux : Dix ans de poésie », Les libraires, n° 138, septembre-octobre 2023, p. 28

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