Photo : © Émilie Dumais

Frappabord
Mireille Gagné, La Peuplade, 216 p., 26,95$
Mireille Gagné, poète et romancière née à L’Isle-aux-Grues, avait embrassé un succès colossal avec son précédent roman, Le lièvre d’Amérique. Avec autant de mentions et de prix l’ayant distingué, la barre était haute pour épater à nouveau ses lecteurs. Mais voilà : la talentueuse autrice y est parvenue et s’est surpassée avec Frappabord, une puissante histoire mettant en scène le fragile équilibre du monde, mis à mal par la malveillance des hommes.

Ce livre, dont plusieurs passages font habilement place à une écriture sensuelle, nous entraîne sur les berges du Saint-Laurent à deux époques, dont les narrations s’alternent. On débarque d’abord, en 1942, à Grosse-Île, aux côtés de l’armée américaine et d’une multitude de scientifiques tenus au silence. Parmi eux, Thomas, jeune entomologiste, qui y découvrira d’impressionnants frappabords se reproduisant aux creux de « plantes cadavres », une espèce à l’odeur pestilentielle. On plonge ensuite à l’époque contemporaine du côté de Montmagny, alors qu’une canicule sévit et qu’une étrange épidémie pousse les hommes à des états de rage jamais vus. On y suit Théodore et son grand-père, dans une trame filiale riche en émotions. Alors que les deux histoires avancent et se déploient avec aisance, le lecteur, impatient de tourner les pages, voudra à tout prix comprendre ce qui s’est passé dans les années 1940, se doutant pertinemment de ses répercussions sur les étranges événements qui ont actuellement cours. Ici et là se trouve également entre les pages de cet ouvrage une narration au « je », portée par nul autre que l’insecte dont l’espèce se multiplie à une vitesse inquiétante : la mouche noire, qui se nourrit du sang, épais et chaud, des humains…

Photo : © Lou Scamble

Ce désir me point
Claire Legendre, Leméac, 160 p., 17,95$
« S’identifier à ce qui nous manque est forcément délétère : je suis celle qui a aimé, celle qui a souffert, celle qui est partie et qui erre. Je suis un désir béant. J’apprends en l’écrivant à chérir la plaie ouverte que je ne sais pas combler. » Après Le nénuphar et l’araignée dans lequel elle explorait les peurs, Claire Legendre décortique cette fois toutes les formes du désir, le sonde dans toute sa complexité. Que ce soit le désir de plaire, de posséder, celui de vouloir être désiré, l’amour ou son attente, le désamour, le célibat, les déceptions, le désir sexuel ou son absence, l’impossibilité du désir, les désirs non comblés ou les histoires impossibles, tout y passe. Avec une écriture ciselée et intime, ce livre lucide s’avère à la fois désarmant, confrontant et fascinant, voire un exutoire dans lequel il est possible de se reconnaître, qui peut mettre un baume sur les blessures du cœur et la solitude.

Photo : © François Desrochers

Je vous demande de fermer les yeux et d’imaginer un endroit calme
Michelle Lapierre-Dallaire, La Mèche, 210 p., 22,95$
Cette autofiction de Michelle Lapierre-Dallaire, essentiellement centrée sur la relation à la mère, nous surprend, choque et interroge. La figure maternelle est objet d’adoration et, pour la narratrice, elle constitue à la fois sa raison de vivre et l’empêchement de son propre affranchissement, lequel pourrait la conduire à une pleine reconnaissance de soi. L’autrice se place dans une position de grande vulnérabilité en exposant les parts fragiles d’elle-même, son rapport au désir et à la sexualité, ses obsessions, les abus, l’automutilation, sa colère des hommes. Elle relate des événements significatifs, qu’il soit question des jeux avec ses Barbie, du comportement abject de son beau-père, du mensonge qui s’érige parfois en bienfaiteur ou de sa recherche constante de l’amour et de l’assentiment de sa mère. Par cette mise à nu, l’écrivaine essaie de comprendre les mécanismes qui sous-tendent ses pensées et ses actions, et élabore une écriture de l’intime pertinente en ce sens qu’elle parvient à réfléchir son interaction au monde.

 

Photo : © Alma Kismic

La nébuleuse de la Tarentule
Mélissa Verreault, XYZ, 392 p., 29,95$
Après avoir notamment publié Voyager léger, L’angoisse du poisson rouge et Les voies de la disparition, Mélissa Verreault revient avec un nouveau roman qui joue avec les frontières entre la réalité et la fiction. Mélisa (un seul s pour la narratrice) croise un amour d’adolescence — qui l’avait rejetée à l’époque — avec qui elle noue une relation. Même si elle se sent coupable de mentir à son mari, elle plonge tête première dans cette aventure, comme un pied de nez à son passé, comme une façon de déjouer le présent, de s’extirper de ce quotidien parfois si pesant. Elle revisite des souvenirs d’enfance et réalise que ses perceptions sont parfois erronées ou du moins différentes de celles des autres. Son entourage remet même souvent en doute ce qu’elle dit, pensant qu’elle invente en raison de son imagination fertile. Elle a aussi enfoui un événement traumatisant, se créant une autre histoire afin de la rendre plus acceptable. Entre cette réécriture, les mensonges qu’elle se raconte et les illusions qui volent en éclat, la réalité semble lui échapper. En perte de repères, Mélisa tente de reprendre pied, de s’ancrer dans sa vie.

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