Cette rentrée BD sera riche et dense, proposant des valeurs sûres, prises de parole et propositions étonnantes, témoignant ainsi de la réjouissante vitalité dont témoigne cet extraordinaire médium.

À surveiller

Je pense que j’en aurai pas
Catherine Gauthier (XYZ)
Outre Quoi de plus normal qu’infliger la vie? d’Oriane Lassus publié à la Mauvaise tête en 2016, le délicat sujet du refus de la parentalité chez la femme n’a que très peu été abordé en bande dessinée. L’artiste montréalaise trentenaire Catherine Gauthier y remédie éloquemment dans ce premier album coup-de-poing, notamment par le truchement d’une approche graphique hyperréaliste. D’une déconcertante franchise et d’une saisissante dissection chirurgicale des sentiments, l’album propose également en fin de chapitres plusieurs témoignages de femmes, ouvrant ainsi sur différentes perspectives. Un livre qui fera certes jaser, et qui, espérons-le, incitera à la discussion.

Supercanon!
Philippe Girard (Casterman)
Que pouvait donc proposer le Québécois Philippe Girard après son fulgurant Leonard Cohen : Sur un fil publié chez Casterman en 2021? Une œuvre tout aussi passionnante et bouleversante, consacrée à un autre grand rêveur : le scientifique canadien Gérald Bull, devenu malgré lui marchand d’armes. Ayant consacré sa vie à l’élaboration d’un canon à longue portée pour d’éventuelles propulsions de satellites dans l’orbite, l’homme engendrera la mort à défaut d’une avancée scientifique. Girard use habillement de tous les rouages du médium — dont un hommage senti au Spirit de Will Eisner — et du réalisme magique qu’il affectionne tant afin d’insuffler une humanité à son protagoniste, celle-là même qui a échappé à l’Histoire.

Suicide total
Julie Doucet (L’Association)
Si vous avez raté la publication de la luxueuse version leporello de Suicide total de la Québécoise Julie Doucet au printemps dernier — tout au plus une centaine d’exemplaires ont été acheminés de la France —, voilà l’occasion toute désignée de vous enquérir de la nouvelle édition. Dans un format classique (reliure suisse) similaire à celui de la traduction anglaise publiée chez l’éditeur montréalais Drawn & Quarterly, l’album raconte une relation épistolaire nébuleuse avec un admirateur français à l’époque où l’autrice débute la publication de ses mythiques Dirty Plotte en 1989. Doucet renoue ici magistralement avec l’autobiographie, genre qu’elle propulsa à des sommets inégalés trois décennies plus tôt. En librairie le 16 octobre

Rose à l’île
Michel Rabagliati (La Pastèque)
Après s’être défoncé au dessin — au prix de sa santé — dans l’extraordinaire Paul à la maison (2019), Michel Rabagliati revient à son personnage fétiche dans un nouveau format qui lui va à ravir : le livre illustré. Enchevêtrant de superbes illustrations au crayon de plomb à une prose efficacement économe, l’auteur raconte un bref séjour à l’Île-Verte en compagnie de sa fille Rose. À l’instar du protagoniste du fabuleux roman Les grandes marées de Jacques Poulin, Paul profite de la solitude et du grand air du large pour panser de nombreuses blessures. Libéré du cadre rigide et exigeant de la bande dessinée (gaufrier, encrage), Michel Rabagliati se déploie comme jamais dans ce nouveau format davantage propice à l’intimité et au plaisir du dessin.

Zaroff (t. 2) : La vengeance de Zaroff
François Miville-Deschênes et Sylvain Runberg (Le Lombard)
À l’origine publiée en roman sous le titre Les chasses du compte Zaroff en 1924, lequel fut adapté au cinéma en 1932, cette bande dessinée met en scène un personnage de chasseur sanguinolent et sans pitié qui marque les esprits. Le scénariste d’origine belge Sylvain Runberg et l’illustrateur québécois François Miville-Deschênes, qui ont précédemment peaufiné leur dynamique de travail avec leur fresque historique Reconquêtes, lui imaginent une suite. Après un premier opus convaincant en 2019, ils récidivent avec un second tome envoûtant. Le chasseur, flanqué de soldats américains, retourne au front en Russie à l’hiver 1941 pour retrouver et ramener sa proie : un scientifique qui travaille à l’élaboration de la bombe atomique. Par le truchement d’un scénario minutieux, d’un haletant découpage et d’un saisissant dessin, on ressort de cette lecture avec un seul désir : une suite. Et que ça saute.

Classiques 2.0
L’un des événements phares de la rentrée est sans l’ombre d’un doute la résurrection du Journal Tintin aux Éditions du Lombard, l’instant d’un numéro spécial soulignant son 77e anniversaire. Pour l’occasion, une pléthore de grands artistes de la scène européenne revisitera pour notre plus grand plaisir les séries mythiques qui ont fait les beaux jours de l’hebdomadaire. L’inénarrable Tebo (Raowl, Capitaine Biceps) initie avec éloquence la nouvelle série Les Schtroumpfs par…, signant avec Qui est ce Schtroumpf? pour le compte des Éditions du Lombard un délicieux récit dans l’esprit de Peyo tout en faisant du « Tebo ». L’illustrateur québécois vedette des comics Yanick Paquette signe deux adaptations de héros iconiques du 9e art qui arrivent enfin en traduction française : Wonder Woman Terre-Un volume 3 en collaboration avec le scénariste Grant Morrison chez Urban Comics, ainsi que Mental Incal aux Humanoïdes associés, alors qu’il imagine avec le scénariste torontois Mark Russell une suite aux aventures de R John Difool, créé par Alejandro Jodorowsky et Moebius. Le 40e album des aventures de nos Gaulois préférés, intitulé Astérix : L’iris blanc (Éditions Albert René), voit l’arrivée de l’iconoclaste Fabcaro au scénario. Gageons qu’avec Didier Conrad toujours à la barre des illustrations, l’auteur du désopilant Zaï Zaï Zaï Zaï réussira une fois de plus à nous surprendre. À la suite de la débâcle judiciaire opposant les éditions Dupuis à fille d’André Franquin, le 22e album de Gaston Lagaffe signé Delaf (Les Nombrils) paraîtra enfin. Du peu que nous avons pu en voir dans les pages du Journal Spirou, l’émérite illustrateur québécois offre avec Le retour de LaGaffe rien de moins qu’un hommage senti.

 

En voulez-vous du manga? En v’là!
Ce genre, qui connaît une fulgurante ascension et qui, au passage, fait lire nos ados, est un riche terreau d’univers atypiques et fantastiques. Les amoureux de chats et d’horreur ne seront pas en reste avec Night of the Living Cat (t. 2) de Hawkman et Mecha-Roots, une nouvelle série signée Mangetsu où les humains, au contact des félins, ne se transforment pas en zombies… mais bien en chats! Comment résister à l’envie de câliner ces êtres poilus et divinement mignons? C’est au péril de leur vie et au prix de cet immense sacrifice que les membres d’un petit groupe de survivants tenteront de conserver leur forme humaine. Cet excellent éditeur nous gracie aussi d’une nouvelle traduction du maître incontesté de l’épouvante Junji Ito. L’anthologie de courts récits que compose Fragments d’horreur est assurément le diamant brut de sa bibliographie. L’autrice à succès Hiromu Arakawa (Fullmetal Alchemist) lance sa nouvelle série Tsugai : Daemons of the Shadow Realm chez Kurokawa, où le fantastique, les légendes traditionnelles japonaises et les conflits militaires modernes se côtoient. Le classique de samurai L’habitant de l’infini d’Hiroaki Samura chez Casterman connaît non seulement une seconde vie en intégrale, mais un nouveau cycle signé Renji Takigawa et Ryû Suenobu sous la supervision du créateur débarque en librairie. La filiale québécoise n’est pas en reste avec le 18e tome du populaire mais non moins excellent shonen Radiant (Ankama) de Tony Valente, première production occidentale à percer le marché nippon. Fort du succès de la publication du premier volet des Élus Eljun chez l’éditeur jeunesse Michel Quintin au printemps dernier, le tandem Sacha Lefebvre et Jean-François Laliberté récidive avec un second tome. Le jeune amnésique Revner retrouvera-t-il l’ancien héros qui sommeille profondément en lui afin de sauver le monde?

À lire aussi
Chainsawman (t. 13), Tatsuki Fujimoto (Kazé)
Détective Conan (t. 102), Gosho Aoyama (Kana)
One Piece (t. 105), Eiichiro Oda (Glénat)
Heaven’s Design Team (t. 5), Tutsa Suzuki, Hebi-zou et Tarako (Pika)

 

Pour les petits (et même les grands)
Deux valeurs sûres de chez Presses Aventure feront le bonheur des jeunes lectrices et lecteurs : le tant attendu cinquième volet de l’enlevante série Aventurosaure et du valeureux Rex de Julien Paré-Sorel ainsi que Les étranges, nouveau Alex A. qui ne se déroule pas dans les univers de L’Agent Jean ou d’un certain Ninja, mais bien dans celui du cyberespace alors que cinq puissants antivirus professionnels sont projetés dans une dimension hostile et inconnue. Les Malins publient une première BD québécoise qui promet : Sire Dodoom, du prolifique scénariste Jean-François Laliberté (U-Merlin, Les Élus Eljun) et de l’illustrateur Mathieu Benoit, qui lorgne du côté de la fresque fantastique, rappelant au passage un certain Bone de Jeff Smith! Enfin, la surdouée Orbie (La fin des poux?) propose Le tiroir des bas tout seuls aux éditions 400 coups, qui tentera avec humour d’élucider le plus grand des mystères de l’existence humaine : où diantre vont se cacher nos bas?

À lire aussi
Anuki (t. 11), Frédéric Maupomé et Stéphane Sénégas (La Gouttière)
Les mégaventures de Maddox (t. 7), Claude DesRosiers et Félix Laflamme (Presses Aventure)
Docteur RIP (t. 5), Freg (Éditions Michel Quintin)
Milo et les créatures du grand escalier, Ben Hatke (Rue de Sèvres)
Tout jaune, Hélène Canac (Jungle)

 

Tous azimuts
Envie de voyager dans le confort de votre chaise de lecture? Embarquement immédiat pour MacGuffin & Alan Smithee (t. 5) : Swinging London des Québécois Michel Viau et Ghyslain Duguay aux Éditions du Tiroir, nouveau volet des mésaventures de l’improbable et sympathique duo d’enquêteurs au pays des Beatles. Mikael clôt son troisième passionnant diptyque new-yorkais consacré au fabuleux quartier Harlem aux éditions Dargaud. Sept ans après le chavirant La demoiselle en blanc, Éléonore Goldberg demeure dans un univers fantomatique avec La fiancée, chez Mécanique générale, où une jeune Ukrainienne sur le point de se marier tombe sous le joug d’une âme errante, un dibbouk. Plus près de chez nous, Pascal Girard récidive à nouveau avec son savoureux polar familial Rebecca et Lucie mènent l’enquête : Mystère en Saskatchewan (La Pastèque), nous plongeant au cœur d’une enquête atypique dans un coin reculé du Canada. Avec La loi des probabilités chez Futuropolis, Pascal Rabaté et François Ravard nous narrent le touchant récit d’un homme en fin de vie qui réalise son rêve maintes fois repoussé : traverser l’Atlantique pour aller observer les baleines à Tadoussac.

 

Dans les coulisses de l’histoire
Michel Viau s’adjoint les services du jeune illustrateur surdoué Djibril Morissette-Phan (Khiem) afin de réaliser Havana Connection chez Glénat Québec, qui raconte les péripéties de Lucien Rivard, notoire mafieux québécois s’étant exilé à Cuba au milieu des années 1950. L’auteur et fondateur de Drawn & Quarterly Chris Oliveros revient au médium avec Mourir pour la cause, un récit nous plongeant dans les événements d’octobre 1970 dans une traduction d’Alexandre Fontaine Rousseau aux éditions Pow Pow. Dans une tout autre tonalité, Front Froid a eu l’excellente idée d’adapter en bande dessinée le désopilant et populaire Les pires moments de l’histoire, un balado comico-historique de l’humoriste Charles Beauchesne. C’est l’impayable spécialiste de l’inexactitude historique Xavier Cadieux (La pitoune et la poutine) qui s’est chargé de mettre le tout en images.

À lire aussi
L’affaire Blanche Garneau, Michel Viau et Jocelyn Bonnier (Glénat Québec)
La malédiction des Bernier, Yves Martel et Dante Ginevra (Glénat Québec)

 

L’aventure avec un grand A
En quête de sensations fortes? C’est avec un brin de retard — les entraves routières, sans doute! — que notre banlieusard préféré Jérôme Bigras nous revient dans une version cartonnée couleur du désormais classique Le fond du trou, jubilatoire, expérimentation formelle flanquée d’un trou en centre d’album, gracieuseté du génialissime Jean-Paul Eid et de La Pastèque. La saisissante série de science-fiction Le convoyeur, se déroulant dans un monde postapocalyptique où la rouille détruit tout sur son passage, se terminera avec cet ultime quatrième tome aux Éditions du Lombard grâce aux bons soins d’Armand et du Québécois Tristan Roulot. Publié l’an dernier chez un éditeur américain, Passages secrets (t. 1) de la Montréalaise Axelle Lenoir arrive enfin en traduction française chez Pow Pow. Issue de la communauté LGBTQ+, l’autrice propose une autobiographie fantasmagorique pullulant de rebondissements, s’interrogeant sur ce qu’aurait été son enfance ailleurs que dans le placard. Un captivant récit sur la dualité et la quête identitaire.

 

Pendant ce temps, dans les autres médiums
Ayant clos leur merveilleuse série consacrée à Picasso il y a déjà neuf ans, Julie Birmant et Clément Oubrérie reviennent chez Dargaud explorer la vie d’un autre peintre — et pas n’importe lequel — avec Dali (t. 1) : Avant le gala. Après l’adaptation de la pièce de théâtre Pour réussir un poulet de Fabien Cloutier, le Québécois Paul Bordeleau poursuit son exploration du médium pour le compte de Nouvelle adresse en s’attaquant à Hypo du dramaturge et comédien Nicola-Frank Vachon, pièce racontant le voyage en Islande d’un trentenaire atteint d’une maladie incurable souhaitant mettre fin à ses jours. Le tandem mère-fille Kas & Cas fait quant à lui sa première incursion BD chez Station T avec M. Nault, narrant la vie hors du commun de l’émérite chorégraphe local à la carrière internationale Fernand Nault. Avec Arthur Leclair : Projectionniste ambulant (La Pastèque), Normand Grégoire et Richard Vallerand s’unissent afin de raconter l’arrivée du cinéma au Québec au tournant du XXe siècle, véritable révolution qui engendrera notamment la mort de 78 enfants dans le tragique incendie du Laurier Palace en 1927.

À lire aussi
Simenon : La neige était sale, Jean-Luc Fromental et Bernard Yslaire (Dargaud)

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