Avec leurs lettres patentes signées le 29 juillet 1998, les éditions La Pastèque célèbrent cette année leur 25e anniversaire. Si elles sont aujourd’hui incontournables dans le milieu de la BD et même en jeunesse, rappelons-nous qu’avec leur esthétique irréprochable, leurs styles graphiques audacieux et leurs scénarios intimistes, le pari n’était pas gagné d’avance lorsqu’elles ont décidé de se lancer. Mais Martin Brault et Frédéric Gauthier possédaient les connaissances, le flair et la passion : tout le nécessaire, en fait, pour se lancer en affaires avec les phylactères.

1. Les librairies
Si les livres de La Pastèque ne sont pas vendus en grande diffusion (Walmart, pharmacies, etc.), c’est que Martin Brault et Frédéric Gauthier ont toujours soutenu le travail des libraires du Québec et maintenu des relations privilégiées avec eux. Une éthique de travail qui a peut-être plus à voir qu’on ne le croirait avec le fait qu’ils ont tous les deux été libraires. D’ailleurs, c’est à La Mouette Rieuse, défunt commerce spécialisé en BD, que ces deux hommes se sont rencontrés. « Nous importions des livres d’Amok, de L’Association, de Cornélius. Nous découvrions Guy Delisle, Pascal Rabaté et Lewis Trondheim », écrit Martin Brault dans La Pastèque : 15 ans d’édition. Ainsi, ils voyaient tous ces lecteurs avides de formats qui allaient au-delà des standards franco-belges, des lecteurs ouverts à des ouvrages plus littéraires, plus léchés, plus audacieux, qui s’intéressaient au récit. « Nous avons fondé La Pastèque sur un coup de tête; sur l’idée folle que nous pouvions, nous aussi, réaliser au Québec ce que de jeunes éditeurs faisaient en France vers la fin des années 90. »

« La liberté que nous avions dans notre travail de libraire a grandement influencé la maison d’édition. Jean-Pierre et Marie-Claude [leurs employeurs] nous ont montré à faire les choses différemment », explique Frédéric Gauthier, toujours dans ce livre-anniversaire.

Le livre à lire
La collectionneuse, de Pascal Girard, met notamment en scène une séduisante cleptomane de livres dans une librairie.

2. Les musées
Les premiers à avoir fait entrer des bédéistes dans les musées, c’est eux. Et depuis, ça ne s’arrête plus. En 2013, les éditions La Pastèque ont conclu un partenariat sans précédent avec le Musée des beaux-arts de Montréal : à l’occasion de leur 15e anniversaire, quinze bédéistes ont choisi une œuvre du musée et s’en sont inspirés pour créer un projet inédit — en illustration ou en BD. Leurs planches ont ensuite été exposées à côté de l’œuvre choisie, et ont également été publiées dans la monographie La Pastèque : 15 ans d’édition. C’est près de 75 000 visiteurs qui se sont déplacés pour voir cette dynamique façon de revisiter l’art! Deux ans plus tard, c’est le Musée national des beaux-arts du Québec qui accueillait l’exposition Paul au musée, rassemblant près de 100 planches et dessins de Michel Rabagliati, des inédits, ainsi que des œuvres de Cyril Doisneau réalisées durant le tournage du film Paul à Québec. Pour leurs vingt ans, une autre exposition a eu lieu, cette fois à la Maison de la culture de Longueuil. Et, La Pastèque n’expose pas qu’au Québec! Du 2 novembre au 30 décembre 2023, en vue des Jeux olympiques de Paris, une exposition autour du documentaire Drôles de sports, de Cécile Gariépy et Simon Drouin, est en cours à la Médiathèque de Chantepie, en France.

Un livre à lire
Un Paris pour Dallaire, une BD biographique signée Siris et Tessier qui expose le travail de Jean Dallaire, artiste québécois qui a pavé la voie au retour de la peinture figurative au Canada, vers la fin des années 1960.

3. L’Europe francophone
« Nous avons trouvé un distributeur en Europe avant même la publication de notre premier livre en 1998. Aujourd’hui, 30-35% de notre chiffre d’affaires est réalisé en Europe », explique Martin Brault. En décembre dernier, Frédéric Gauthier nous accordait une entrevue et expliquait, en regard de leur production jeunesse, que « sur le marché français, il reste encore de la place pour de la diversité, d’autres approches et d’autres styles ». Mais La Pastèque ne fait pas que faire rayonner les ouvrages québécois, elles publient également quelques auteurs européens pour les faire connaître dans la province, tels que Geoffrey Delinte (La grande métamorphose de Théo), Dorothée de Monfreid (La petite évasion), Rémi Farnos (Calfboy), Benjamin Flouw (La milléclat dorée) et le formidable duo Kerascoët (Paul et Antoinette).

4. Richard Brautigan
Pourquoi avoir donné un nom de fruit à leur maison d’édition? Car Brault et Gauthier connaissent leurs classiques! C’est en effet en hommage au roman Sucre de pastèque, de l’Américain Richard Brautigan, qu’ils ont choisi ce mot qui s’éloigne volontairement du vocabulaire lié au milieu de la BD, qui est neutre et sympathique et qui se prononce également bien en anglais.

5. Avoir pignon sur rue
Il y a cinq ans, La Pastèque a ouvert une galerie-boutique dans le Mile End (au 102, avenue Laurier Ouest), avec l’objectif de provoquer de nouvelles formes de rapprochement entre les créateurs et la communauté de lecteurs, de créer de nouveaux liens avec le milieu. Vitrine exceptionnelle de toute leur production, « cet espace de travail nous permet de mettre en vedette nos créateurs et créatrices par le biais d’expositions, de rencontres, d’animations et autres activités. D’autres produits, en collaboration avec nos illustrateurs et illustratrices, viennent bonifier l’offre », explique Martin Brault. En plus des éditeurs eux-mêmes, deux artistes y ont leur bureau : Geneviève Godbout et Michel Rabagliati. Un troisième espace de travail accueille, en rotation, différents artistes liés à la maison.

Du 20 septembre 2023 au 26 janvier 2024, une exposition faisant honneur aux dessins originaux de Pierre Fournier a cours dans leur espace galerie. Organisée en collaboration avec Jean-Dominic Leduc, cette exposition met également de l’avant plusieurs souvenirs du Capitaine Kébec.

6. Les bonnes tables
Les auteurs et collaborateurs de La Pastèque le savent : les deux copropriétaires sont des amateurs de gastronomie et de bon vin, reconnus pour leurs soupers mémorables. Pas étonnant, donc, qu’un livre comme L’appareil soit paru à leur enseigne. Il s’agit d’un collectif, sous la direction de Charles Pariseau, où des chefs de neuf grandes tables montréalaises proposent un menu… adapté en BD! Se prêtent alors au jeu Jean-François Martin, Isabelle Arsenault, Jochen Gerner, Mélanie Baillairgé, François Ayroles, Rémy Simard, Nicolas Robel, Émile Bravo et Simon Bossé. Cet ouvrage original a donné au grand public le ton de leur ligne éditoriale, a montré l’étendue de leur savoir-faire, bref, les a définis comme éditeurs. « Avant la publication de ce titre, la plupart des gens nous connaissaient comme “l’éditeur des Paul”, mais pas vraiment comme La Pastèque. Pour ce livre, nous avions une vision précise de ce que nous voulions accomplir et nous prenions de gros risques financiers. En investissant dans le design et dans la mise en marché, ce livre a connu un fier succès et a remporté plusieurs [sept!] prix », nous expliquait en 2018 l’éditeur. Aujourd’hui, L’appareil est épuisé, tout comme Les carnets de rhubarbe et Carnets de bouffe, de Cyril Doisneau, qui célèbrent également la bonne chère : mais n’hésitez pas à aller en bibliothèque pour pouvoir les déguster!

7. La pizza
Les bonnes tables, certes… mais aussi la pizza! Car il fallait être fan de pizza pour lancer Tout garni, un projet collaboratif et exclusivement numérique mettant en scène les péripéties d’un livreur qui en verra de toutes les couleurs! Diffusé sur le site de Télé-Québec, ce projet a agréablement sorti de leur zone de confort les douze illustrateurs qui ont accepté le défi. Ils devaient tous reprendre le personnage — Arthur, livreur de pizza — et élaborer leur récit dans le scénario esquissé par André Marois. Ce qui variait d’un à l’autre? Le look — chacun y est allé de sa patte artistique, que ce soit au pastel, à l’aquarelle ou en numérique — et les différents formats numériques utilisés.

Par exemple, avec Patrick Doyon, on plonge dans la projection interactive d’une game de basket, alors qu’avec Julie Rocheleau, Arthur trouve l’amour dans un jeu interactif qui l’engloutit dans le noir… Stéphane Poirier nous transporte quant à lui dans un « Cherche et trouve » onirique, et Isabelle Arsenault offre une visite virtuelle dans un appartement de survivalistes! Cathon fait sonner Arthur à la porte d’un logement totalement bordélique alors qu’avec Pascal Blanchet, on visite le compte Instagram des épatants Dandys via une bande dessinée défilante. Bref, une façon originale d’initier des illustrateurs de La Pastèque à la création numérique en les faisant collaborer avec des équipes issues du domaine.

8. L’intime
Plonger au cœur de l’intimité d’un personnage, de ses émotions, de son quotidien : voilà ce que plusieurs livres à l’enseigne de La Pastèque proposent. Bien entendu, il y a la série des Paul, de Michel Rabagliati, la plus emblématique des séries québécoises. D’ailleurs, c’est Michel Rabagliati qui, lors du lancement de Spoutnik 1, a invité les éditeurs à son atelier pour leur présenter Paul à la campagne. Dès lors, raconte Martin Brault, ce fut une révélation pour eux : Paul serait ce personnage auquel les lecteurs pourraient facilement s’identifier et qui prouverait que la BD québécoise pouvait s’incarner autrement que ce qu’elle avait fait jusqu’à ce jour. Mais outre l’œuvre de Rabagliati, on peut aussi penser au superbe Jane, le renard et moi, de Fanny Britt et Isabelle Arsenault, qui a été suivi par le tout aussi touchant Louis parmi les spectres, deux BD aux illustrations amples et doucereuses qui mettent en scène des jeunes qui, en raison de leur environnement et leur sensibilité, vivent des émotions très fortes. On pense aussi au récent album Chut! d’André Marois et Mélanie Baillairgé, où une jeune fille recherche la paix intérieure sans savoir que celle-ci peut se trouver au centre du bruit. Du côté adulte, citons Le 7e vert, de Paul Bordeleau, où une relation père-fils se dévoile sur un terrain de golf.

9. Les balados
Pas question pour La Pastèque de s’en tenir uniquement à ce qui se diffuse sur papier : en collaborant avec La puce à l’oreille, l’éditeur a mis sur pied différents projets, dont un de documentaire audio qui accompagne certains de ses ouvrages. Et les angles sont tellement intéressants que bien que ce soit les 4 à 12 ans qui soient visés, on vous assure que les parents voudront aussi partager un écouteur! Par exemple, en lien avec l’album Le tricot, de Jacques Goldstyn, on découvre un balado qui aborde l’histoire du tricot, de l’Antiquité à aujourd’hui, tout comme une rencontre avec Tricot solidaire, cet organisme qui tricote pour que les plus démunis restent au chaud. L’auditeur pourra aussi découvrir les aventures farfelues de Bob, dans Le facteur de l’espace, grâce à une adaptation audio de la BD, produite également en collaboration avec La puce à l’oreille. Bonne nouvelle : une deuxième saison est d’ailleurs envisagée sous ce modèle! Aussi, impossible de passer sous silence le projet Trois fois Alice, un balado participatif en cinq épisodes où une jeune fille, Alice, pose ses questions sur l’univers de la création d’une BD, les dessous de la production, à Patrick Isabelle, auteur, et à Audrey Malo, illustratrice. Un livre numérique et près de 5 000 écoutes ont découlé de ce projet!

De plus, plusieurs livres de La Pastèque se trouvent, gratuitement, sur l’application OHdio de Radio-Canada dans des narrations toutes plus inspirantes les unes que les autres : Paul dans le Nord, Le petit astronaute, Jane, le renard et moi et Le voleur de sandwich sont notamment du lot des découvertes à faire.

10. Les traductions
Ce sont plus de 200 traductions des livres de La Pastèque qui ont été vendues à l’international! Les éditeurs parcourent ainsi des foires ou salons internationaux, dont la Foire du livre jeunesse de Bologne, lieu par excellence pour la vente et l’achat de droits, afin de faire rayonner les talents d’ici à l’étranger. On pense notamment à Notre petit secret, une BD d’Emily Carrington traduite par Daphné B., qui raconte un drame dont les cicatrices, quinze ans plus tard, sont toujours à panser. On souligne aussi l’entrée à leur catalogue en 2020 de l’autrice-illustratrice autochtone Julie Flett, traduite en français.

11. Les webséries
En 2020, la BD La liste des choses qui existent de Cathon et Iris a fait l’objet d’une websérie diffusée sur le site de l’Office national du film (ONF). Les treize épisodes mettent en scène les deux dessinatrices qui vouent un véritable culte aux objets qui les entourent. Du téléphone au pantalon, en passant par le micro-ondes, la frite, la nouille et l’ampoule, les deux complices (dont les voix sont incarnées par Émilie Bibeau et Debbie Lynch-White) nous apprennent une tonne d’informations plus ou moins vraies (pour un plaisir décuplé!) sur toutes ces choses qui nous entourent. Toujours disponible en ligne, cette série réalisée grâce à du dessin traditionnel sur tablette graphique vaut absolument le détour!

12. L’animation
En 2022, la BD Le facteur de l’espace a fait l’objet d’une série d’animation déclinée en neuf épisodes de cinq minutes, où l’on suit les aventures de ce facteur extraordinaire, inventé par Guillaume Perreault. Réalisée par ce dernier, scénarisée par Charles-Alex Durand et coproduite par URBANIA et La Pastèque, cette série pour les 8-12 ans rend hommage aux BD émérites dont elle s’inspire et qui triomphent déjà au Québec depuis leur sortie, mais également à l’international grâce à leur traduction en huit langues. Le look rétrofuturiste qu’on aimait des ouvrages y est d’ailleurs conservé, voire souligné par l’ajout de musique inspirée des années 1980 et 1990. Le tout est disponible, gratuitement, sur ICI TOU.TV.

Deux autres œuvres de La Pastèque sont en cours d’adaptation, à l’étape du prédéveloppement, soit Le voleur de sandwich d’André Marois et Patrick Doyon ainsi que Truffe, de Fanny Britt et Isabelle Arsenault.

13. L’espace
La première parution de La Pastèque fut un collectif, nommé Spoutnik 1. Pour dénicher les illustrateurs qui y ont participé, les éditeurs ont fait aller leurs contacts, mais sont aussi allés cogner à la porte de plusieurs ateliers d’auteurs. « L’idée derrière le collectif Spoutnik était de mélanger les genres, de donner une tribune à des créateurs d’ici », dit Frédéric Gauthier à Jean-Dominic Leduc en entrevue dans La Pastèque : 15 ans d’édition. Le premier numéro, tiré à 1 000 exemplaires, était bilingue et a d’ailleurs été vendu plus aux États-Unis qu’ici! Mais, surtout, c’était une façon pour eux de s’affirmer en tant qu’éditeurs, de montrer le type d’artistes qu’ils souhaitaient défendre. Au total, cinq tomes de ces collectifs sont parus.

Le livre à lire
La course à l’espace, un documentaire sur les deux superpuissances qui se sont disputé le premier pas posé sur la Lune, présentant le fonctionnement des modules autant que l’entraînement demandé aux astronautes et les compétences recherchées.

14. L’édition jeunesse
Qui l’eût cru! Depuis les quatre dernières années, 65% du chiffre d’affaires de La Pastèque est forgé autour de sa production jeunesse, et non de la BD, avec en tête les documentaires jeunesse qui cartonnent. La vente de droits y est notamment pour quelque chose, car si le marché de droits pour la BD se limite à l’Espagne et à l’Allemagne (hors francophonie), pour le livre jeunesse, c’est près de quatre-vingts pays qui se montrent intéressés à ce qui se mijote au Québec. D’ailleurs, La Pastèque est reconnue à l’international comme un éditeur jeunesse incontournable, en témoigne le prix BOP — Meilleur éditeur jeunesse de 2014, décerné lors de la Foire du livre jeunesse de Bologne.

Une première cuvée, en 2004, avec la collection jadis nommée « Pamplemousse » qui incluait Bobby, La mer et Promenade, n’avait pas eu les effets escomptés. En 2011 était relancé le tout, avec l’incroyable Fourchon, l’histoire d’un petit né d’une maman cuillère et d’un père fourchette. « La maquette a alors été revue pour nos livres jeunesse. Je n’aime pas faire entrer des projets dans des contraintes de papier, de format », explique Martin Brault, justifiant ainsi l’essor qui a suivi de leur production jeunesse. En 2023, comme en 2024 d’ailleurs, les projets jeunesse abondent davantage que ceux BD, notamment avec le documentaire à paraître Comment fonctionne un moulin? ou les albums Mon ours à moi et Sombre est la nuit.

15. Le cinéma
C’est la première fois qu’au Québec une BD est adaptée en long métrage lorsque Paul à Québec prend l’affiche, en 2015. La scénarisation est cosignée Rabagliati et François Bouvier, lequel assure également la réalisation. Dans les rôles principaux, on trouve François Létourneau, qui incarne Paul, Gilbert Sicotte dans le rôle du beau-père dont la santé périclite gravement, et Julie Le Breton dans celui de la conjointe de Paul. L’accueil chaleureux (plus de 1,2 million de dollars au box-office) semble avoir fait son effet, car les rumeurs disent que Bouvier aurait terminé le scénario de Paul a un travail d’été, qui revient sur les 18 ans du protagoniste chouchou. Pour les abonnés en bibliothèque et cinéphiles, allez mettre la main sur 31 jours de tournage, de Cyril Doisneau, qui vous entraîne, façon journal de bord, sur le plateau de tournage du film!

La BD à lire
Arthur Leclair, projectionniste ambulant de Normand Grégoire et Richard Vallerand, qui nous plonge, à la toute fin du XIXe siècle, aux côtés d’un projectionniste ambulant, nous faisant découvrir les débuts du cinéma.

16. Les duos
« La construction d’un catalogue demande d’être proactif dans son élaboration», explique Martin Brault. C’est-à-dire que, à La Pastèque, il est très, très rare qu’un manuscrit envoyé soit accepté. Leur façon de procéder, en général, est de réfléchir à un auteur avec qui ils aimeraient collaborer et de lui passer une commande. Par exemple, ce fut le cas d’André Marois à qui ils ont commandé un polar pour enfants (et qui en a finalement pondu quatre, le plus récent étant l’adorable Moka a disparu!). Lorsque La Pastèque a approché Gérard DuBois, ce dernier leur a plutôt soumis un projet qui mijotait déjà : À qui appartiennent les nuages?, d’après la poésie de Mario Brassard. Un projet qui a vu le jour et qui a remporté les éloges, au Québec comme à l’international! Hervé Gagnon a écrit le hautement primé (huit prix, dont deux GG!) Harvey à la suite d’une commande de l’éditeur, qui a ensuite eu le flair d’y accoler les illustrations remarquables de Janice Nadeau. À ce sujet, notez d’ailleurs qu’en février, une réédition de ce livre poignant est attendue (nouveau format et nouvelle couverture annoncés) et que le court métrage de Janice Nadeau, tiré de l’œuvre, est finaliste dans la catégorie Meilleur court métrage d’animation aux prix Iris!

17. La nature
Les livres faisant honneur à la nature sont trop nombreux à La Pastèque pour être tous dénombrés. De la quête originale de Renard pour trouver cette étrange plante marine luminescente dans Le constellis des profondeurs (Benjamin Flouw) à l’ode magnifique sur les arbres et leur façon de cohabiter dans Sois un arbre (Maria Gianferrari et Felicita Sala); de l’épatant documentaire sur les volcans qu’est Monstres sacrés (Julie Roberge et Aless MC) à celui tout aussi fascinant sur les ingénieries inspirées du monde animal dans Biomimétisme (Séraphine Menu et Emmanuelle Walker); du documentaire pour tout-petits qui conscientise sur l’importance de préserver les abeilles dans L’abeille à miel (Kirsten Hall et Isabelle Arsenault) à la promenade entre flaques de bouette, cueillette pour ikebana et dégustation de petits fruits sauvages dans Paul et Antoinette (Kerascoët), La Pastèque prouve que les livres ont tout pour pousser leurs lecteurs à aller mettre le nez dehors!

18. Le patrimoine
Parler de BD au Québec sans énoncer au moins une fois Croc? Impossible. Ce mensuel satirique a eu une incidence sur le parcours de lecteur de Martin Brault, mais également sur l’essor de plusieurs auteurs qu’on retrouve aujourd’hui à l’enseigne de La Pastèque. On pense à Jean-Paul Eid et à son personnage de Jérôme Bigras ou encore à Pierre Fournier et Réal Godbout avec Red Ketchup et Michel Risque. Préserver ces joyaux d’une autre époque de la BD québécoise importe aux éditeurs. D’ailleurs, à leur 5e anniversaire, ils ont produit une centaine de coffrets-cadeaux comprenant deux récits mis en images par Jimmy Beaulieu et Michel Rabagliati de leur visite dans les bureaux d’Albert Chartier, auteur dont les éditeurs espéraient rééditer les Onésime, mais dont le souhait ne s’est malheureusement pas concrétisé à leur enseigne.

19. La technologie
Lorsque Martin et Frédéric ont commencé dans le métier, ils fonctionnaient avec des bleus d’imprimerie et des disquettes… Aujourd’hui, bien entendu, tout est informatisé. Cet éditeur, qui a toujours embrassé les évolutions technologiques (pensons à tous ces projets numériques susmentionnés) est également celui qui a fait la proposition à Matthieu Dugal — qui d’autre aurait été un meilleur vulgarisateur pour relever ce défi? — de se lancer dans l’écriture d’un documentaire jeunesse sur l’intelligence artificielle. Ainsi fut donc publié cet automne IA : Comment les machines pourraient nous remplacer, un livre brillamment réfléchi, intéressant et superbement illustré par le dynamisme des couleurs de l’Américain Owen Davey. « C’est un fantasme de tous les éditeurs au Québec, voire au monde, de travailler avec Davey. Il est extrêmement sollicité », souligne Martin Brault, fier d’avoir ajouté à son catalogue un tel talent.

20. Les engins motorisés
À l’été 2022, La Pastèque a rempli une caravane de ses BD et a roulé sur les kilomètres la séparant de ses lecteurs en se rendant dans différentes librairies, partout à travers le Québec. Elle a défilé le long du littoral, sillonné les routes de Saint-Jean-sur-Richelieu jusqu’à Rimouski, en passant par Sherbrooke, le tout en emportant à bord des livres, mais aussi ses auteurs et illustrateurs. Une façon originale et fort estivale d’aller à la rencontre de leurs lecteurs!

Les livres à lire
La Pastèque est friande de livres mettant en scène des engins motorisés, à commencer par l’élégant En voiture! L’Amérique en chemin de fer, de Pascal Blanchet, un documentaire jeunesse qui, sous son look agréablement vintage, propose de découvrir l’histoire des trains. Autre documentaire épatant et d’un dynamisme exemplaire : Pleins gaz!, cette fois sur l’histoire de la moto, qui intéressera autant les jeunes que les plus vieux. Et comme les engins motorisés doivent avoir des conducteurs, La Pastèque propose aussi Monsieur Vroum, l’histoire d’un téméraire au volant, toujours pressé, une histoire illustrée avec un style géométrique et avec une économie de couleurs qui lui donne tout son style. On pense aussi à La fille à moto, l’histoire vraie, mais romancée, de la première femme à avoir fait seule le tour du monde à moto.

21. L’implication sociale
En 2017, dans le cadre d’un programme appelé Le Grand Pupitre, La Pastèque et À Hauteur d’homme, une entreprise de mobilier écologique, ont offert trente pupitres personnalisés par des illustrations de Patrick Doyon à des enfants issus de milieux défavorisés du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Des dons de livres de La Pastèque accompagnaient également les pupitres, dont la conception avait pour but de procurer un espace de travail inspirant et de qualité, propice à l’apprentissage et à l’essor de la créativité.

22. L’expérimentation formelle
L’objet-livre a toujours revêtu une importance pour les deux propriétaires de La Pastèque. Bien plus qu’une « enveloppe » supportant un texte, ce qui constitue la matérialité du livre est réfléchi. Et parfois avec beaucoup d’audace. C’est le cas notamment de l’ouvrage Le fond du trou, entièrement troué d’une couverture à l’autre, signé par Jean-Paul Eid, qui s’amuse à faire cohabiter ce trou dans l’histoire qui se déroule sur chacune des planches. Dans Solidaires : L’entraide dans la nature de Séraphine Menu et Emmanuelle Walker, un astucieux système d’acétates permet au lecteur de découvrir comment les animaux sont plus surprenants que nous pourrions le penser. De plus, chez La Pastèque, on ne se contente pas d’imprimer en quadrichromie ou en noir et blanc uniquement, mais on ose parfois la trichromie (Les poissons électriques), la bichromie (Gilles La Jungle) ou l’impression en quatre Pantone (Lartigues et Prévert, Voyage au centre de la Terre). D’ailleurs, La Pastèque tient à souligner les compétences des différentes boîtes d’infographistes et de graphistes avec qui ils ont travaillé, notamment Patrick Pellerin, Feed et Jolin Mason. « La Pastèque s’est toujours définie par son souci du détail dans toutes les facettes de la production d’un livre. De la conception : design, travail typographique, choix du papier et de la reliure; à notre relation de proximité avec nos auteurs, qui prennent part à la création de l’objet autant qu’à la création du contenu. La Pastèque s’est aussi définie par sa prise de risque et son innovation », nous disait en entrevue Frédéric Gauthier.

23. L’audace
Vendre en Espagne des droits de traduction d’un livre… muet, n’est-ce pas là un brin audacieux?! C’est ce qui est arrivé à l’incroyable Morlac, de Leif Tande, un ovni littéraire qui repousse les cadres narratifs de la BD en proposant une histoire, sans paroles, où des choix s’imposent aux personnages. « On retrouve donc non pas un récit unique à lire, mais plusieurs histoires qui se coupent et se recoupent vers une fin réglée au quart de tour », lit-on dans le résumé de l’éditeur. Bref, un exemple parmi tant d’autres qui prouvent que qui ne tente rien n’a rien!

24. Les prix
En 25 ans d’existence, les artistes, les projets, les livres et le travail de La Pastèque ont été nommés, finalistes ou lauréats, à près de 370 prix! Parmi les plus récents, soulignons la nomination d’Isabelle Arsenault à la prestigieuse liste des candidats au prix Astrid Lindgren Memorial Award 2024 : la plus haute distinction en littérature jeunesse dans le monde entier!

25. L’avenir
« Pour les années à venir, je pense que nous voulons amener encore plus de synergie dans nos productions : prendre un livre et l’amener ailleurs. Un peu comme avec la série du Facteur de l’espace », nous dit Martin Brault lorsqu’on le questionne sur l’avenir de La Pastèque et le désir des éditeurs de voir évoluer leur maison. « Nous voulons apporter une contribution globale à notre secteur d’activité, soutenir le travail de nos artistes au-delà du livre imprimé », ajoute-t-il. De quoi assurer à leurs lecteurs, ceux en devenir et les conquis, encore bien des heures de découvertes!


Photo de Frédéric Gauthier et Martin Brault : © Cindy Boyce

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