Véritable amoureux de la nature, l’artiste Réjean Roy — qui a d’ailleurs fait des études en biologie ainsi qu’en beaux-arts — demeure au Nouveau-Brunswick. Il commence sa carrière en tant qu’illustrateur scientifique et se mute ensuite comme illustrateur d’albums pour la jeunesse. Une quarantaine, à ce jour, portent sa marque distinctive. Également peintre qui fait honneur aux grands espaces et aux rivières qu’il affectionne, il collige ses œuvres grandioses sur le site rejean.ca.

Une grande place est faite à la faune et à la flore dans les livres que vous illustrez. Vos peintures, quant à elles, rendent hommage à ce qu’il y a de plus grandiose dans la beauté des paysages naturels. Quelle place occupe la nature dans votre vie et pourquoi appréciez-vous autant la mettre en scène?
Les espaces naturels m’ont toujours donné une impression de bienveillance sur moi. Dès mon jeune âge et à l’adolescence, la forêt, les lacs et les rivières ont été des lieux qui m’ont permis de vivre plein de belles aventures et ainsi d’avoir une perception bien singulière sur la vie. Et en même temps, j’ai appris à être sensible aux formes et aux couleurs de l’environnement naturel. J’ai appris à reconnaître ces motifs qui sont pour moi une façon dont la nature s’exprime en quelque sorte. Lorsque je peins, c’est comme si j’essaie de retransmettre ces impressions laissées par un paysage, ou par un moment passé dans la nature.

La couverture du présent numéro que vous illustrez place un équipage sur une rivière, en route vers ce qu’on devine être des lieux de découvertes. Que vouliez-vous raconter comme histoire avec cette image?
Compte tenu de mon intérêt pour le plein air et le canot, j’ai toujours été fasciné par l’époque de la traite de la fourrure au Canada. J’ai représenté les voyageurs dans mon illustration parce que ce sont surtout des Français accompagnés des gens des Premières Nations, qui occupaient ce métier. D’après ce que je comprends de cette période, la traite de la fourrure a joué un rôle dans la distribution des communautés francophones dans le territoire.

Dans l’illustration, les villages représentent les communautés francophones actuelles qui peuvent être relativement isolées entre elles. La rivière, ou le courant de mots et de paroles, représente la littérature qui les relie. Les voyageurs dans le canot, ce sont les auteurs, les facilitateurs d’événements littéraires, les éditeurs, etc. J’ai inséré une caricature de Gabrielle Roy. Elle a écrit un de mes romans préférés, La montagne secrète, une histoire inspirée de la vie de René Richard, trappeur et peintre.

Lorsque vous travaillez comme illustrateur jeunesse, votre démarche artistique est-elle sensiblement la même que dans votre travail de peintre professionnel?
Ma démarche artistique, en tant que peintre, est terriblement personnelle et solitaire et est sujette à une impulsion expressive qui part de mes expériences lors de voyage en canot ou de sortie en forêt. Alors que mon travail d’illustrateur jeunesse, lui, est effectivement un antidote à la solitude. Elle permet de m’inspirer et d’épauler le travail de l’autre. Elle me permet de travailler en équipe et d’interagir pour créer une œuvre collaborative. Je m’occupe d’ailleurs du montage graphique des livres que j’illustre, et le tout est sujet à la rétroaction de l’éditeur, du correcteur, de l’auteur, etc.

Toutefois, les œuvres littéraires que je choisis d’illustrer toucheront la plupart du temps une corde sensible et personnelle. Dans ce cas, je peux y mettre un peu plus de moi-même dans le travail. Je suis d’ailleurs plus confortable lorsque je dois dessiner des arbres et des animaux, même si ceux-ci demandent à être caricaturés.

Vous avez signé les illustrations de près de cinquante livres jeunesse, allant de couvertures de romans à des abécédaires émérites. Qu’aimez-vous dans cet aspect de votre travail, qui s’adresse à un tout autre public qu’à celui de vos toiles? Les enfants sont-ils un public dévoué, indulgent ou critique?
J’adore être inspiré et créer un monde visuel à partir de l’imaginaire de l’auteur. Selon le contexte de l’histoire racontée, j’aime créer des images parfois farfelues, ajouter des détails extravagants ou créer un contexte ou un arrière-plan qui va au-delà de l’intention de l’auteur, mais qui risque d’interpeller le lecteur, surtout le lecteur jeunesse. (Effectivement, je suis moins concerné par le public que par ce qui m’enchante lorsque je dessine.) Mais si je m’amuse, le lecteur s’amusera possiblement. Mais cela étant dit, il reste que mes propres enfants sont mes plus grands admirateurs.

Dans Le géant du Nord canadien (Bouton d’or Acadie), texte inspiré d’une légende autochtone, vous deviez mettre en scène un géant glouton, piégé par des huards, qui, dit-on, créa les lacs qui font aujourd’hui la renommée du Canada. Parlez-nous de la création de cet album.
L’histoire du géant canadien est une histoire que je racontais à ma façon à mes enfants lorsque je les amenais en canot-camping. Nous nous rendions souvent à un lac qui nous est bien familier. Ce sont vraiment les paysages de ce lac dont je me suis inspiré pour créer les images. Évidemment, le lac n’est pas aussi grand que le lac original! Toutefois, il y a toujours un couple de huards (souvent accompagnés de leurs petits) qui nous chantent la plainte chaque soir…

Dans Où naîtront les hirondeaux? (Bouton d’or Acadie), touchante histoire de cohabitation entre l’homme et les animaux, une hirondelle doit se trouver un nouveau lieu pour pondre ses œufs. Quel a été le plus grand défi — ou votre plus belle découverte — lors de la création des illustrations pour cet album signé Émilie Demers?
Je crois que le défi d’illustrer ce livre est aussi le défi de notre époque. Je voulais bien représenter la nature, mais aussi représenter une sorte d’équilibre entre cette vie moderne que nous avons et celle où nous offrons un habitat convenable pour la faune et la flore.

Avec Sylvain Rivière, vous avez fait paraître l’abécédaire Ah! Pour Atlantique (Bouton d’or Acadie), un ouvrage qui rend hommage aux mots liés au domaine maritime: les trésors des mers autant que les mythes de Neptune ou les sorties en kayak. Quelle relation, pour votre part, entretenez-vous avec l’Atlantique?
Mon village natal est situé sur le bord de la mer. J’y habite encore d’ailleurs. La mer, je l’ai explorée en bateau, en canot et en kayak. J’ai passé de longues heures à explorer ses rives.

(Récemment, dans le but d’en faire l’expérience, je me suis fait engager pour travailler sur un bateau de pêche aux homards!) Donc, Ah! Pour Atlantique décrit un environnement bien familier pour moi.

Illustrations : © Réjean Roy

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