Né dans une petite communauté canadienne-française au cœur du grand Winnipeg anglophone, Joseph Roger Louis Léveillé est une figure de proue de la littérature franco-manitobaine. Auteur d’une trentaine d’œuvres, dont l’incomparable Le soleil du lac qui se couche, il fut intronisé au Temple de la renommée de la Culture au Manitoba pour sa contribution à la littérature en 1999. Fasciné par le métissage des cultures, J.R. Léveillé fait une place importante dans son œuvre à la magnificence de la nature et à la réflexion spirituelle.

Le soleil du lac qui se couche (Éditions du Blé, 2001, La Peuplade, 2013) est votre roman le plus lu, également traduit dans plusieurs langues dans le monde entier. Vous y racontez l’histoire d’amour intemporelle entre deux êtres de différentes origines. Angèle, une étudiante métisse en architecture, rencontre dans une galerie d’art un vieil artiste japonais, Ueno. Évoquer différentes nationalités et cultures, est-ce une façon de traduire le métissage propre au Manitoba et au Canada?
Tout à fait. D’ailleurs, le métissage me semble le modus operandi même de l’écriture. C’est le clinamen d’Épicure, cet accrochage gratuit d’atomes qui est le fondement de l’être, la porte ouverte sur d’autres univers. Par son enracinement dans le pays, ce roman est un hommage aux origines métisse et bilingue du Manitoba; par son croisement avec le Japon zen, il redouble le métissage comme ouverture à l’Autre. Cette histoire d’amour qui a obtenu l’agrément des lecteurs est celle d’un croisement multiple, exemplaire de tout progrès et du bonheur. C’est un roman d’apprentissage et d’appréciation.

Le soleil du lac qui se couche est composé de petits fragments, des paragraphes éparpillés sur une grande toile d’araignée qui compose un tout. Pourriez-vous nous dévoiler la genèse de ce roman?
J’étais à Saint-Laurent (communauté métisse) sur les rives du lac Manitoba, où je passe tous mes étés. Je lisais un roman japonais populaire, et me suis dit que j’allais prendre un mot, une idée, ou une situation dans chaque page du roman comme tremplin pour composer mon propre récit. Ainsi, ces fragments sont composés au fur et à mesure de la lecture. Le résultat n’a rien à voir avec le roman d’origine, sauf pour cette matière brute première. C’est une méthode que j’ai utilisée ailleurs. Une autre forme de mixité dans le métissage.

On dit souvent que chaque écrivain écrit et réécrit toujours le même thème. Quel est le thème qui vous est le plus cher?
Selon les propos de Jean Ricardou, ce serait l’aventure d’une écriture, plutôt que l’écriture d’une aventure. Je n’ai jamais eu d’intérêt pour créer des histoires ou des personnages. Il y en a un peu, certes, mais avant tout, j’écris un livre, comme on peint un tableau. Tout comme Matisse disait : Je ne peins pas une femme, je peins un tableau. Je demeure dispos et je suis la coulée de l’encre qui me renseigne.

Ganiishomong ou L’Extase du temps est votre plus récent roman paru en 2020 aux Éditions du Blé. Quelle est la signification du titre?
Ganiishomong est un mot autochtone signifiant « le passage entre deux eaux ». C’est ainsi qu’on décrivait ce modeste tracé qui passait entre le petit lac Francis à l’est et le grand lac Manitoba à l’ouest. Le terme convient aussi au concept bouddhiste de « la voie du milieu » pour traverser les illusions de la vie. Ça correspond également au wu-wei zen, soit la non-action. C’est ainsi que nous entrons dans l’extase du temps.

Que vous inspirent les mots francophonie et francophilie sur le grand continent américain?
Comme je suis né dans une petite communauté canadienne-française au cœur du grand Winnipeg anglophone, la « francophonie » est à la fois une identité et une altérité. Je suis bilingue, certes, mais je ne parlerai jamais « white ». Cette spécificité géographique et la singularité des origines font qu’au départ, la francophonie a toujours été plurielle pour moi, soit un réseau d’autres francophonies: celles de Saint-Boniface, des villages manitobains, des autres minorités canadiennes, de la Franco-Amérique, des Caraïbes. Finalement, il s’agit d’une langue-passeur vers son expression et son expérience diverses et culturelles. Ce à quoi je convie tous les francophiles qui, par définition, sont, déjà, heureusement métissés en esprit.

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