Native de Saint-Pierre-et-Miquelon, Françoise Enguehard est une écrivaine reconnue et une journaliste établie à Saint-Jean de Terre-Neuve depuis près de cinquante ans. Elle puise son inspiration dans l’océan qui l’entoure et dans ses diverses racines, françaises, acadiennes et irlandaises. Femme passionnée de l’histoire des communautés francophones, elle a été engagée dans l’organisation du premier festival littéraire francophone de la province. Elle a remporté le Prix des lecteurs de Radio-Canada et le Prix littéraire Antonine-Maillet-Acadie Vie pour L’archipel du docteur Thomas (Prise de parole, 2009). En octobre 2022, elle faisait paraître Le maître de Conche (Prise de parole), un roman qui nous plonge dans un conflit entre pêcheurs français et colons anglais, au XIXe siècle.

Qu’est-ce qui nourrit votre imaginaire?
L’Histoire me stimule beaucoup. J’aime imaginer le quotidien de ceux et celles qui occupaient le territoire avant nous. Mais, surtout, je suis portée par la mer et ce qu’elle éveille en moi d’émotions, de possibilités : son odeur, ses couleurs, ses vents, le bruit d’une coque qui fend les vagues ou celui des voiles tendues dans le vent, tout cela mène très loin, au propre comme au figuré.

Quelle est la genèse du Maître de Conche? Qu’est-ce qui vous a séduite dans l’histoire de ce village?
J’ai découvert Conche et les environs au début des années 2000 et j’ai été conquise par l’endroit, isolé de tout, face à la mer, mais surtout par les femmes que j’y ai rencontrées. Il y a là-bas un esprit communautaire et visionnaire peu commun et qui est absolument communicatif. Lorsqu’on m’a parlé de l’histoire de celui que j’appelle le maître de Conche, j’ai tout de suite eu envie de lui consacrer un roman tant il me semblait qu’il présidait encore, d’une certaine façon, aux destinées de son village.

Vous évoquez la relation entre Français et Anglais sur la côte de Terre-Neuve, au début du XIXe siècle. De quoi s’agit-il?
Les pêcheurs français ont été une constante sur les côtes de Terre-Neuve depuis le XVIe siècle et jusqu’au début des années 1900. Cela me fait dire souvent que nous avons été les premiers à voir les Français arriver en Atlantique et les derniers à les voir partir. Jusqu’en 1904, une grande portion des côtes de l’île de Terre-Neuve était occupée d’avril à septembre par des milliers de pêcheurs de morue principalement bretons et normands. Ils devaient cohabiter le mieux possible avec les colons anglais installés eux aussi sur les côtes, un exercice rempli d’embûches. C’est un aspect bien peu connu de notre histoire, que ce soit ici au Canada ou en France.

Vous êtes autrice de plusieurs romans qui s’adressent aux adultes comme aux jeunes. Quel est le grand thème qui traverse toutes vos œuvres littéraires? Quel est le message que vous souhaitez leur transmettre?
Toute mon écriture est une réflexion sur l’appartenance au sens large, sur l’identité culturelle et linguistique bien sûr, mais aussi sur ce que les anglophones nomment joliment le « sense of place ». Que ce soit le personnage d’Elvis Bozec qui cherche le trésor de l’île Rouge (Le trésor d’Elvis Bozec, Bouton d’or Acadie, 2011) et les traces de ses ancêtres bretons, le docteur Thomas qui rentre en France et ne s’y sent plus à sa place, Victor Lemétayer qui quitte sa Bretagne sans aucun regret, et mon arrière-grand-mère qui peine à s’adapter à l’île aux Marins, tous mes personnages tentent de répondre à une question fondamentale : « Qui suis-je, lorsque mes repères changent? »

Que signifie, pour vous, être francophone à notre époque?
Être francophone, partout dans les Amériques, c’est se lever chaque matin fier de sa culture, c’est faire le choix de cultiver sa langue, de la parler, de la partager et de la protéger. Être francophone, c’est un engagement, une détermination, c’est préférer l’effort à la facilité qui serait de parler anglais parce que ce serait tellement plus simple.

Photo : © Randy Dawe Photography

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