Des oiseaux colorés, de la nature qui invite à respirer, des humains au look suranné, et souvent cet élément doux-amer qui donne le frisson, qui vient chercher quelque chose en celui qui le regarde. Oui, les œuvres de Nadia Morin sont porteuses d’émotions. Dans la biographie qui figure sur son site Internet, on peut lire une citation de Delphine de Vigan qui, on le devine, décrit l’artiste : « On dit d’elle qu’elle est douce, fantasque, un peu sauvage. » À l’image de son œuvre, quoi.

On décrit vos créations comme étant des « collages numériques ». Qu’est-ce que cela signifie exactement?
Il s’agit d’assembler numériquement des parties d’images ou de photos pour créer une nouvelle proposition, composition. Souvent, par exemple, je trouve une photo intéressante tirée d’archives, j’en garde la partie que je souhaite et je la marie à l’une de mes photos. J’ajoute quelques éléments géométriques, j’adapte les couleurs, jusqu’à ce que j’aie un résultat satisfaisant. Ça demande plusieurs manipulations, essais, question que la création fonctionne bien, que l’œil puisse circuler aisément et que ce ne soit pas trop chargé.

Souvent, dans vos œuvres, l’époque actuelle se retrouve en juxtaposition avec des éléments du passé. Qu’aimez-vous dans cette fusion?
Je suis intriguée par les photos du passé ; elles résument une époque, sans doute fabuleuse, que je n’ai pas connue. Ce mélange me permet non seulement de combiner le noir et blanc aux couleurs que je choisis, mais de faire se rencontrer deux vies complètement différentes. Je trouve le défi intéressant et il en ressort une proposition surréaliste, ludique, qui me plaît. J’aime principalement les photos de cirque d’autrefois (acrobates, trapézistes, etc.), j’y vois un monde déluré, flamboyant, parfois comique. Celles de baigneurs, de vacanciers, m’interpellent également, les expressions et les mouvements y sont souvent joyeux, particuliers. Il s’y retrouve un laisser-aller captivant.

Vous avez illustré l’édition en format poche d’Etta et Otto (et Russell et James) d’Emma Hooper (Alto). Comment avez-vous procédé pour vous imprégner du roman? Comment passe-t-on d’un texte à un collage?
La maison d’édition me résume tout d’abord le livre, question que j’en aie une idée globale et que je puisse commencer à m’en faire une image. J’en cerne l’élément-clé qui m’évoque un visuel. Dans le cas d’Etta et Otto, il s’agissait de la quête d’Etta : voir la mer pour la première fois de sa vie. Pour ce faire, elle quitte temporairement son mari (Otto). Mes collages sont souvent des métaphores; pour ce livre, j’ai décidé que les deux personnages auraient une voile de bateau au lieu de la tête; ça apportait déjà un peu d’onirisme. Ensuite, j’ai ajouté plusieurs couches de nuages près des voiles, pour souligner l’imaginaire parfois complexe d’Etta, âgée de 83 ans; dans l’atteinte de son but, il est à se demander si tout est vrai et si sa mémoire ne lui joue pas des tours. J’y voyais également une traduction de la relation parfois nébuleuse entre les personnages. La couleur des nuages n’est pas anodine ; elle rappelle les fonds marins, les vagues. Bref, je suis attentive à l’univers que m’inspire le roman et j’en interprète visuellement les éléments principaux.

Vous travaillez à la Maison de la littérature de Québec. En quoi ce lieu est-il important pour vous, pour la ville?
Ce lieu m’inspire grandement puisqu’il me permet d’y rencontrer plusieurs acteurs du milieu culturel, de côtoyer des auteurs et auteures, de voir leur travail (expositions, spectacles, sorties de résidences, etc.) et de me questionner sur ma propre pratique. Pour les citoyens et citoyennes, je trouve fabuleux qu’un endroit si magnifique soit accessible à tous et à toutes. Quoi demander de mieux pour s’approprier notre littérature? La Maison de la littérature est un lieu unique, vivant, créatif où tous peuvent y trouver leur compte.

Vous avez signé la photographie en couverture du roman La résilience des corps, de Marie-Ève Muller (L’instant même). Qu’avez-vous aimé dans ce roman?
Déjà le titre me semblait très évocateur, porteur de sens. J’ai aimé la sensibilité, l’authenticité qui se dégageait au travers des différents déchirements entre les personnages.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour créer la couverture du roman Les mouches en papier, d’Ariane Michaud (Au Carré)?
Dans la commande de l’éditeur, il était primordial qu’un élément précis soit présent : la maison rouge, puisqu’elle est importante dans la quête du personnage principal, qui décide de quitter sa vie urbaine pour aller vivre dans cette maison dont elle a hérité, avec ses amis. Un choix de vie plus bohème, peuplé par de belles amitiés et des feux de camp (d’où le choix de couleurs chaudes et l’habillement de la jeune femme). Le titre m’a inspiré l’ajout d’origami et puisque le personnage s’épanouit petit à petit dans ce nouveau projet, j’aimais l’idée que le papier se déploie également. Dans la position de la femme, on sent également la liberté, l’ouverture, le bien-être comme le personnage principal. Et finalement, les traits de peinture représentent le changement, le mouvement, la tempête d’idées relative à certaines décisions.

Quel type de lectrice êtes-vous? Vos habitudes, vos goûts de lecture, vos auteurs fétiches…
Je me décrirais comme une lectrice « d’humeur », c’est-à-dire que mes lectures varient selon mes envies du moment. J’entame souvent quelques livres en même temps ; lorsqu’un ne me tente plus, j’en commence un autre, et reviens au premier éventuellement. J’ai beaucoup aimé les livres de Marc Séguin, puisqu’à leur lecture, les images me sont venues facilement, je pouvais me représenter chaque mot visuellement. J’y vois un lien avec sa pratique d’artiste peintre. Sinon, j’ai adoré Chauffer le dehors de Marie-Andrée Gill et Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier. Dans l’un comme dans l’autre, l’immensité des paysages m’est apparue comme une forte et belle évidence. Une présence aussi importante que celle des personnages.

Quelle est votre formation?
J’ai un baccalauréat en arts visuels et médiatiques, ainsi qu’un certificat en rédaction professionnelle. Les mots et les images m’ont toujours plu et au travers de ma formation, j’ai pu parfaire cette passion.

Photo : © Charles-David Carrier

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