Elle fait son entrée dans les lettres québécoises de manière fracassante. Michelle Lapierre-Dallaire nous livre avec Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c'était par amour ok (La Mèche) une autofiction qui prend sa force à même sa perdition. En émerge un cri, une urgence, un soulèvement, une insurrection. 

Pourquoi avoir choisi la voie de l’autofiction pour votre premier livre?
J’ai toujours su que je voulais écrire un livre, mais j’ignorais la forme que l’écriture prendrait. J’ai écrit plusieurs poèmes et des romans complets, mais il manquait toujours quelque chose d’essentiel, comme si un élément authentique manquait à mon écriture. Un jour, une collègue et amie, Marjolaine Beauchamp, m’a dit : « Ce que tu as honte de dire, ce dont tu ne veux pas parler, commence par là. » À l’époque, c’était un conseil qui s’appliquait à mon processus créatif qui stagnait un peu et ça s’est avéré être un des meilleurs que j’ai reçus. Cette phrase que je me répétais m’a libérée d’un poids immense par rapport aux attentes que j’avais envers moi-même. Je me suis assise à l’ordinateur tous les jours pendant un mois et demi et c’est ce qui en est ressorti. Je ne pensais ni à la publication potentielle de ce texte ni à son avenir. Ce qui est sorti naturellement de moi alors, c’étaient ces mots. Ils ont trouvé écho chez Sébastien Dulude, mon éditeur, et c’est un peu lui, en quelque sorte, qui m’a annoncé que j’avais écrit un livre. Avec le recul, je suis convaincue que je devais d’abord explorer l’autofiction pour que cette histoire – bien que remplie d’éléments de fiction – sorte enfin de moi.

Vous racontez une vie marquée par la dépendance, la violence et la maladie mentale. Bien que pertinente, la lecture de votre livre est difficile. Comment s’est passée l’écriture?
L’écriture est venue d’elle-même et à plusieurs reprises s’imposer dans ma vie. Elle a souvent été un exutoire, mais ce n’est pas le cas avec ce roman. J’ai envie de dire : pendant plusieurs années, j’ai travaillé à apprivoiser ces parts sombres de moi et ce livre est le résultat de ce travail. Certes, l’écriture peut être thérapeutique et elle l’a souvent été pour moi, mais je pense qu’une œuvre littéraire doit être authentique, mais aussi permettre la catharsis, ce qui n’était pas possible auparavant dans les textes que j’écrivais. Mes émotions étaient trop fraîches et immatures pour qu’elles soient articulées de manière pertinente et pour rejoindre quiconque. Ce premier roman, par contre, est à la fois authentique et vrai, mais il existe en dehors de moi et, je le pense, arrive à rejoindre les lectrices et les lecteurs. L’écriture s’est bien passée parce que le processus n’était pas thérapeutique. L’écriture était en fait la délivrance, le résultat de tout un processus thérapeutique antérieur.

Tout ce qu’on m’a dit de ne pas faire et que j’ai fait, tout ce qu’on me demandait de ne pas dire et que j’ai dit, tout cela m’a permis d’articuler ce roman.

Vous écrivez : « Tant que l’action n’incarne pas la révolte, il n’y a pas de révolte. » Ce livre représente-t-il votre moyen de prendre acte?
Je crois que les gens parlent beaucoup, depuis toujours, mais ce sont celles et ceux qui font qui changent les choses. C’est-à-dire qu’il y a, je trouve, une grande différence entre parler et prendre la parole, puis faire de cette prise de parole un état, une revendication. Encore faut-il être en état de prendre la parole et d’être dans l’action. Pendant des années, je survivais, déconstruisais, reconstruisais. Il n’y avait aucune place en moi pour prendre action. Respecter ses propres limites est essentiel. Toutefois, si l’on peut et l’on veut prendre la parole, revendiquer, je crois qu’il faut le faire.

Je pense que l’écriture peut être un acte de révolte et que mon livre en est effectivement un. Tout ce qu’on m’a dit de ne pas faire et que j’ai fait, tout ce qu’on me demandait de ne pas dire et que j’ai dit, tout cela m’a permis d’articuler ce roman. Ce n’est pas vrai qu’on doit obéir à ce genre d’impératifs : ne pas dire, ne pas faire, ne pas être de telle ou telle manière. Si on se respecte et qu’on respecte les autres, on peut être, dire et faire ce qui nous appelle et nous anime.

Ce livre est également une manière de montrer ce que tant de fxmmes connaissent trop bien. Quand je dis que les hommes, depuis ma naissance, se disent révoltés de ce que les hommes avant eux m’ont fait et dit, que ça ne les a jamais empêchés de refaire à leur tour ces mêmes choses, je ne fais que constater. Comme tant d’autres fxmmes l’ont constaté aussi. Mon roman rassemble des situations et des sentiments partagés par plein de fxmmes et je les inscris dans un roman pour qu’on écoute. Qu’on lise et qu’on écoute, sans avoir l’envie irrépressible de couper la parole et de dire « oui, mais ce ne sont pas tous les hommes qui… ». Si la lecture de mon roman vous révolte, c’est parfait et nécessaire.

À quel genre de lectrices et de lecteurs s’adresse votre roman?
Ce roman s’adresse d’abord aux personnes qui s’identifient comme fxmmes. Mon roman est féministe et raconte une histoire que je ne cesse de réentendre partout, par toutes sortes de personnes qui s’identifient comme fxmmes. Des viols, des abus, l’usage de drogues pour arriver à fitter quelque part, les détours qu’on prend pour éviter la violence qui, de toute manière, nous rattrapera… Ce sont des situations excessivement répandues et communes. J’écris pour qu’on se rejoigne, qu’on s’identifie, qu’on se reconnaisse et qu’on apprenne à s’aimer. J’ai rencontré des gens qui me disent qu’ils ne feraient pas lire mon roman à leurs adolescentes et adolescents, que c’est trop « dur ». Moi, j’ai écrit le roman que j’aurais aimé lire à 15 ans. J’ai écrit le roman sur lequel j’aurais aimé tomber et qui m’aurait peut-être épargné une couple d’années d’essais et d’erreurs. Les lectures peuvent changer le cours des choses. Enfin, mon livre s’adresse à quiconque qui a envie de ressentir. Même si cette lecture vous révolte, vous aurez ressenti cette révolte avec toute la passion du monde.

Quelles sont vos influences littéraires?
Je lis et relis et me nourris sans cesse d’autrices puissantes et féministes. Nelly Arcan, Marguerite Duras, Annie Ernaux, Marjolaine Beauchamp, Virginie Despentes, Gloria Steinem, Maude Veilleux, Virginia Woolf, Téa Mutonji, Gabrielle Boulianne-Tremblay, Marie-Andrée Gill.

Photo : © Chantale Lecours

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