Après avoir permis à des milliers de Québécois et d’Européens de mieux connaître les Innus avec son roman Kukum, Michel Jean s’est lancé le même défi avec la culture inuk dans Qimmik (Libre Expression). Ce nouveau livre, campé dans deux époques, suit les jeunes amoureux Saullu et Ulaajuk dans leur vie nomade faite de chasse, de pêche et de leur affection immense pour leurs chiens, ainsi que, quelques décennies plus tard, une jeune avocate envoyée sur la Côte-Nord pour défendre un Inuk accusé d’avoir tué des policiers retraités de la Sûreté du Québec.

Depuis que Michel Jean a remporté le prix France-Québec pour Kukum à l’automne 2020, le nombre d’invitations à des événements littéraires a explosé, le poussant à écrire dans les hôtels et les aéroports, quand il ne se trouve pas au Québec. « Je n’ai pas le choix si je veux écrire. Mes activités littéraires me grugent de l’énergie, mais je trouve toujours du temps. »

En imaginant Ulaajuk, un chasseur un peu fantasque qui connaît le territoire comme le fond de sa poche, et Saullu, une fille extrêmement sérieuse qui refuse le rôle traditionnel de femme au foyer, l’écrivain va bien au-delà de ce que la majorité des gens savent des Inuit. « À part le fait qu’ils ont des chiens et qu’ils vivent dans des igloos, peu de gens connaissent leur mode de vie. Ils ont une grande spiritualité et un attachement fascinant pour la nature : le territoire ne leur appartient pas, c’est eux qui appartiennent au territoire. »

À une époque marquée par les débats sur l’appropriation culturelle, l’auteur innu s’est-il questionné sur sa légitimité pour raconter les histoires d’Inuit? « Oui et non. Je ne parle pas en leur nom, je raconte une histoire qui dépeint ce qui leur est arrivé. Une de mes motivations est de nuancer l’idée que les francophones sont plus ouverts à la culture autochtone et que les anglophones sont responsables de tous les maux, alors qu’Ottawa a créé les pensionnats et la Loi sur les Indiens. »

Il rappelle que les Inuit ne sont pas soumis à cette loi, qu’ils sont citoyens du Québec et que leur situation est bien pire que celle des Premières Nations. Cela dit, il a présenté son projet à une aînée reconnue comme une leader au Nunavik, à une jeune élue de Makivik et à quelques membres d’Avataq, l’association culturelle des Inuit. « J’ai expliqué mes intentions et ils étaient super contents. Ils avaient lu et aimé Kukum. Et j’ai fait relire le livre pour m’assurer que j’avais la bonne sensibilité, spécialement pour représenter leur lien au territoire, car ce n’est pas la même chose chez les Inuit et les Innus. »

Loin de dépeindre les Inuit de manière lisse et idéalisée, Jean a fait d’un Inuk un meurtrier. Un homme que doit défendre une avocate reconnue comme la reine des causes perdues. « Elle va tout faire pour découvrir l’humain derrière le meurtrier potentiel. Elle veut comprendre pourquoi un Inuk qui vit dans la rue finit par tuer des policiers : est-il simplement un tueur sanguinaire ou quelqu’un qui est devenu ce qu’il est? En parallèle, elle se questionne sur le droit, le sens de la justice et son propre rôle comme avocate. »

Michel Jean continue de creuser les sujets autochtones, mais il précise que ça n’a rien d’opportuniste. « J’ai commencé à écrire sur ces questions avec Elle et nous, en 2012, bien avant que la littérature autochtone devienne populaire. On n’en a pas vendu beaucoup. Ça n’intéressait personne. Même Le vent en parle encore, sur les pensionnats autochtones, n’a pas eu un gros impact. »

Comme on le sait, le vent a tourné avec la parution de Kukum, ses récompenses littéraires et son extrême succès. « Je n’ai jamais été motivé par la popularité d’un sujet, mais j’écris sur des thèmes que je trouve importants. La littérature peut faire avancer les choses. Dans mes romans, je ne blâme personne. Il n’y a pas de méchants Blancs. J’essaie seulement d’exposer la situation et de laisser les gens se faire leur idée. »

Photo : © Julien Faugère

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