Il célèbre cette année trente-cinq ans d’écriture, pendant lesquels il aura publié trente livres. Seulement cet automne, une réédition, une biographie et un recueil de nouvelles tout neuf voient le jour chez Mains libres, marquant à la fois cet anniversaire et ne perdant pas de temps pour poursuivre cette trajectoire jalonnée de réalisations. Si, comme on le prétend, le passé est garant de l’avenir, Stanley Péan aura encore bien des histoires à nous raconter.

« Ça fait plus longtemps que je publie des livres que le temps que j’ai passé à ne pas en publier », mentionne-t-il d’entrée de jeu. En prenant conscience de cet état de fait, et avec l’approche de la soixantaine, l’auteur, qui est aussi animateur radiophonique de l’émission Quand le jazz est là sur ICI Musique depuis plus d’une décennie, aborde ce tournant avec la fierté de l’homme pour qui la feuille de route est déjà bien remplie et l’enthousiasme renouvelé de celui pour qui écrire représente la voie à suivre depuis très longtemps.

L’Autre comme miroir
À 14 ans, le jeune Péan referme L’étranger d’Albert Camus avec la conviction de savoir ce qu’il veut faire. Dès lors, il commence à écrire des nouvelles et, huit ans plus tard, paraît La plage des songes, un premier recueil qui n’était plus disponible et qui est édité à nouveau cette saison. Parallèlement, la sortie de Cartes postales d’outre-monde, un autre livre de nouvelles, presque toutes inédites celles-là, montre l’autre bout du spectre. En mettant le premier livre et le plus récent côte à côte, des similitudes surgissent, mais ce qui d’abord s’impose est cet élan, cet essor, inaltéré, intact, vers l’acte d’écriture. « Je ne peux pas m’en passer, j’ai besoin d’écrire, exprime-t-il. Il y a une sorte de nécessité de témoigner de mon époque et une partie de mon impulsion vient d’une profonde insatisfaction par rapport au monde. » Utiliser les mots signifie d’emblée refuser de se taire, s’indigner face à l’injustice et s’unir, miser sur ce qui nous rassemble. Ce qui habitait l’écrivain il y a quelques années le concerne encore aujourd’hui : le souhait de construire un pont pour rejoindre « l’Autre avec un grand A », comme le nomme l’auteur qui, tissant des fils entre ses œuvres, évoque le rapport à l’altérité comme thème central. Que ce soit à travers le roman, la nouvelle, le polar, la littérature jeunesse ou plus récemment la bande dessinée et la biographie, cette part de l’autre en soi se révèle un dénominateur commun de tous les livres de Stanley Péan.

Son désir de la rencontre avec autrui n’aura jamais si bien été servi qu’avec Michel Donato : bleu sur le vif, une biographie du grand musicien et compositeur québécois, une commande formulée par le principal intéressé. Certainement flatté par la proposition du jazzman, Stanley Péan refuse d’abord le projet dont il craint l’envergure. « Michel Donato, c’est soixante-cinq ans de carrière au cœur de la musique populaire et savante canadienne et québécoise, explique-t-il. Ça aura pris cinq ans et quelque pour réussir à faire un récit cohérent de 400 pages. » Une biographie qui à certains égards peut posséder des airs romanesques puisque Donato a joué avec les plus grands, notamment Oscar Peterson, Oliver Jones, Lorraine Desmarais, Bill Evans, des talentueux de la musique jazz.

Les univers insolites
Quant au recours à la fiction, l’écrivain aime y installer des atmosphères troubles et mettre en situation des personnages et des événements situés aux limites poreuses de la réalité et qui chevauchent le fantastique, parfois même le paranormal. Ces atmosphères habitées d’étrangeté, il les couve depuis l’adolescence alors qu’il écoutait religieusement les reprises des épisodes de la télésérie américaine The Twilight Zone. Les émissions, indépendantes les unes des autres, sont souvent adaptées de nouvelles littéraires qu’il s’empresse d’aller dévorer. Figurent désormais au nombre de ses chouchous les auteurs Ray Bradbury, Charles Beaumont, Richard Matheson. Ce dernier, il aura le privilège de l’interviewer à l’époque où il fut journaliste en nos pages. Car Stanley Péan fut l’un des principaux créateurs, avec Denis LeBrun, de la revue Les libraires qui fête cette année, le 1er novembre, ses 25 ans et au sein de laquelle il occupa le poste de rédacteur en chef de 1998 à 2016. « Ça a été un de mes grands moments, d’avoir au bout du fil Richard Matheson, cet auteur qui a écrit L’homme qui rétrécit, Duel, etc., affirme-t-il. Je lui avais dit d’ailleurs que je payais une dette en faisant la promotion de son œuvre, mais aussi qu’en écrivant, je répondais au choc de lecture auquel il m’avait soumis quand j’étais jeune. » Le nouveau recueil de Stanley Péan, Cartes postales d’outre-monde, ne fait pas exception et comme ses précédents livres de fiction, il s’inscrit dans la lignée du suspense, là où s’invitent au banquet des êtres venus d’ailleurs, des sœurs jumelles — l’une habitant la sphère des rêves, l’autre la réalité, mais allez savoir laquelle —, une vieille dame à la question redoutable, une morte-vivante d’une force plus grande que nature, un raciste masculiniste pris au piège de la réincarnation d’une louve SS. Le processus créatif se distingue cependant, en ce sens que chaque nouvelle — au nombre de trente-cinq pour marquer les années de carrière — est issue d’une contrainte, ou plutôt est inspirée par une illustration de Jean-Michel Girard, comparse avec qui il a fait paraître l’an passé Fuites, le premier tome de la série de bandes dessinées Izabel Watson.

Chaque auteur étant avant tout un bon lecteur, et si l’on revient sur l’implication de Stanley Péan à la revue Les libraires, qui lui doit beaucoup, notre invité n’hésite pas à dire « que c’était un travail mâtiné de plaisir par le partage de nos émois de lecture », même si au début ils n’ont été que deux, Denis LeBrun et lui, pour monter les numéros. « C’est vraiment dans le plus beau sentiment de convivialité que ça a été créé », précise-t-il. Cet appel au rassemblement est profondément ancré chez l’auteur, lui qui a aussi agi à titre de président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) de 2004 à 2010 et qui représente actuellement le secteur littéraire au conseil d’administration du Conseil des arts de la Ville de Montréal. « La littérature ne se conçoit pas en vase clos, insiste-t-il. Je pourrais m’asseoir dans ma tour d’ivoire, écrire des livres et rêvasser, mais je pense qu’il y a aussi du travail de terrain à faire pour s’assurer de la prospérité de notre littérature. » De la même manière, l’idée de la revue Les libraires est aussi venue d’une volonté de mettre la main à la pâte. « Les gens qui ignorent comment ça fonctionne ont tendance à sous-estimer l’importance des librairies indépendantes, continue l’auteur. Or, ce sont elles qui font vivre la littérature. » Écrivain engagé donc, mais aussi écrivain tout court car tout simplement incapable de ne pas écrire. « C’est comme une maladie, estime Stanley Péan. Je ne sais pas comment je pourrais arrêter, je suis poussé à faire ça. » En trente-cinq ans, jamais de panne de désir ou d’envie de remiser le crayon. Toujours, le besoin foncier de l’imaginaire pour forcer les portes du réel à s’ouvrir devant lui, devant nous.

Photo : © EML/Patrick Bourque

Publicité