Après un roman (Les marées) et un recueil de poésie (Saison chaude), tous deux destinés à un lectorat jeunesse, l’autrice Brigitte Vaillancourt franchit le territoire pour adultes avec le livre Droit vers le soleil. Écrit à la première personne, il porte la parole libérée d’une femme, conjointe du même homme depuis plusieurs années et mère de deux garçons. Au fil du temps, la narratrice ressent le besoin viscéral de vivre d’autres expériences charnelles, puis finalement ira jusqu’à redéfinir les structures traditionnelles du couple et ses codes sociaux. Plus qu’un appel pressant pour un appétit physique, ce livre s’avère l’histoire intime d’une quête incoercible d’indépendance.

Dans votre roman Droit vers le soleil, nous sommes en présence d’une famille nucléaire traditionnelle composée de deux adultes et de deux enfants. Mais malgré l’amour que la narratrice éprouve toujours pour Raph, son conjoint, son désir pour lui fait défaut. Les deux amoureux décident donc d’ouvrir leur couple en vivant chacun de leur côté des aventures sexuelles. Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire votre premier roman pour adultes en explorant les méandres intimes d’un couple?
J’ai voulu me pencher sur la durée d’un couple et explorer les différentes formes du lien amoureux. Raph et la narratrice sont ensemble depuis la jeune vingtaine. Leur couple est en quelque sorte un refuge au sein duquel ils se construisent, deviennent adultes, puis parents. Raph est extraverti, il occupe l’espace, la scène alors que la narratrice investit la sphère intérieure. À l’approche de la quarantaine, elle voit sa complicité avec Raph lui permettre d’exprimer ouvertement son désir d’ouvrir leur couple, de faire sauter les limites. C’est en partie la force de cette relation qui lui donne ensuite la confiance de s’émanciper. Ce faisant, elle cherche continuellement à préserver le lien avec l’ami, la partie de l’autre qui est famille, tout en sortant du cadre amoureux et des diktats sociaux.

Notre époque voit de plus en plus de gens changer leur perception à propos du couple. Par exemple, on entend davantage parler de polyamour, de certaines personnes entretenant ouvertement deux relations amoureuses à la fois, et quelqu’un peut très bien être célibataire tout en s’estimant heureux. Bref, les temps sont en mouvance; on aime toujours, mais cela se décline de différentes manières. Cependant, le sujet étonne encore et demeure assez tabou. Pourquoi selon vous?
Le couple hétéronormé et la monogamie demeurent le modèle étendard. Avec ses fantasmes de fusion, de fidélité et d’éternité, ses prescriptions sociales. Pour ma part, c’est ce que j’ai connu. En rétrospective, je m’aperçois combien ils ont été lourds à porter. J’ai eu un éveil sexuel qu’on a qualifié de précoce, une expression finalement plutôt étrange. Longtemps, j’ai cru que ma sexualité était fautive et dérangeante. La peur d’être étiquetée de « fille facile » a conditionné mes comportements. Comment aurais-je vécu mon adolescence si on m’avait parlé plus ouvertement de plaisir tout comme d’inconforts et d’ambivalences plutôt que de risques et de moralité? Par ailleurs, est-ce que l’infidélité enlève de la valeur à une relation? Qu’est-ce que nos conceptions du couple révèlent sur nos blessures, nos peurs? En discuter m’apparaît nécessaire.

En décidant de visiter d’autres avenues que celles généralement consenties, la narratrice prend des risques, notamment mettre en péril sa relation de couple. Mais assurément, elle a aussi ses raisons qui la poussent à le faire. Outre l’assouvissement du désir, que souhaite-t-elle profondément trouver en redéfinissant les bases qui maintenaient pourtant la structure de sa vie en place?
Dans mon roman, le désir se décline à la manière de poupées gigognes. La narratrice est d’abord emportée par un désir impérieux de faire l’amour avec d’autres. Elle fonce coûte que coûte, convaincue qu’elle pourra maintenir l’équilibre avec ses rôles de mère et d’amoureuse. La sexualité devient un terrain de jeu explosif. Un espace d’apprentissages. Elle redécouvre comment ses désirs opèrent, quel est son imaginaire érotique et qui elle peut être. D’autres aspirations se manifestent, dont le désir de s’extraire d’une identité figée par le couple. Elle accède ainsi à une partie d’elle-même réfrénée et assez intense qui a besoin d’espace, de solitude, de liberté. Elle prend finalement conscience du besoin criant de vivre seule.

Photo : © Valérie Paquette

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