Amélie Dumoulin joue avec les codes de la romance dans son original romandamour. Némo, au décès de son amie, adopte ses trois enfants avec son chum. Elle s’adresse à leur mère en écrivant un journal où elle y colle notamment des poèmes formés grâce à des collages de passages de romans Harlequin. Elle lui raconte sa vie de nouvelle maman — pas toujours facile — et son histoire — pas si platonique — avec un collègue avec qui elle échange des textos.

Pourquoi avoir choisi le titre romandamour?
Bon, c’est un peu ésotérique. Un dimanche matin, je suis en robe de chambre dans ma cuisine, je regarde mon poêle, un titre se dessine soudainement dans mon esprit : romandamour (en rouge, pas de majuscule, lettres collées). Le lendemain, j’écris ce mot sur une page d’ordi et les grandes lignes de l’histoire de mon héroïne, Némo, s’écrivent pas mal toutes seules. Voilà, c’est comme ça, les livres (et leur titre) m’apparaissent. Il n’y a pas d’effort mental (conscient) ni de recherches préliminaires de sujets.

Mais nous sommes nombreux et nombreuses à vivre un processus d’écriture un peu magique, c’est presque banal. Donc la raison intelligente pour laquelle j’ai conservé ce titre est parce qu’il nous informe que ce sera un roman d’amour, oui, mais où les codes classiques de ce type de fiction seront trafiqués: la romance y est centrale, mais l’amour véritable dont il est question n’est pas celui qu’on pense. Puis j’aime aussi sa sonorité. Si on ajoute quelques « r » extra à romandamourrr, on dirait un moteur qui démarre.

La narratrice fait des collages poétiques avec des extraits de romans Harlequin. Pourquoi avez-vous eu envie d’utiliser des extraits de ces romans? De quelle façon ces livres ont-ils nourri votre écriture?
J’ai une amie prof en lettres qui affirme que Harlequin, c’est de la porn sentimentale. On remplace « éjaculation » par « mariage » ou par « toujours » et hop! Les lectrices savent qu’elles auront leur happy ending giclant de bonheur. Je n’avais jamais lu ce genre littéraire, donc pour ma recherche, je me suis tapé dix-sept Harlequin glanés dans des croque-livres. Je souhaitais poser un regard non condescendant sur cette littérature: ne pas la condamner simplement parce qu’elle ne véhicule pas mes valeurs. Je pensais même y trouver un certain plaisir coupable. Échec total : au troisième bouquin, c’était carrément physique, j’avais mal au cœur! C’est pas si mal écrit pourtant. Les mots sont savamment étalés pour ériger une sorte de courbe du désir, et les dialogues à double sens entretiennent la complicité avec les lectrices, comme si les amants nous faisaient un clin d’œil entre deux frenchs. Mais ça reste des textes terriblement convenus, machistes, voire misogynes, qui nourrissent une vision figée des femmes, des hommes, du couple. Pour citer Némo, l’amour Harlequin ressemble souvent à un « méchant piège a femmes pour qu’on passe plus de temps a entretenir notre mystérieux mystère qu’a s’intéresser a notre place dans la Place ». Ç’a donc été une vraie joie de dissidence de dépecer cette propagande, de me réapproprier ses mots pour leur faire dire des trucs pas nets comme: « Satan et sa saudite voix satinée en peau de pénis ».

Après avoir écrit des romans pour les jeunes, ce livre est votre premier qui s’adresse à un public adulte. Quelle différence y a-t-il pour vous entre écrire pour les jeunes ou pour les adultes?
Derrière chaque œuvre destinée aux enfants se cache sûrement, dans l’inconscient tordu de ses créateurs et créatrices, une version bien gore et XXX. Au départ de l’écriture de romandamour, j’ai eu l’impression de libérer la Bête: parler de cul sans détour et sacrer comme un marin! Et pourquoi pas envisager une fin de marde, crash total, avec pas d’espoir à la fin? Ça faisait du bien de ne pas épargner mes lecteurs et lectrices, de ne pas être leur maman. J’ai cru, un temps, qu’écrire pour les adultes me rendrait libre. Mais non, Gaston.

C’est tout aussi parfois un peu très chiant! Pour d’autres raisons. Imaginaire d’adulte: il faut repeindre nos hippopotames roses en gris, et ils n’ont plus le droit de porter des pantoufles, ou s’ils le font, il faut que ce soit une sacrée bonne métaphore de notre monde qui va donc mal. Il va falloir aussi expliquer, sans bégayer, à Anne Hébert, Marguerite Duras ou Michel Tremblay que notre livre va peut-être se retrouver sur une tablette aux côtés d’un des leurs. Ensuite, écrire le sexe est un exercice périlleux de dosage: pas assez osé, bonjour le manuel scolaire, un peu trop de gaz, tu prends le clos! Et je ne parle pas ici du Soi qui fuit de partout! Pour en parler avec justesse, il faut puiser dans nos eaux profondes. Il y a un genre de centrerfold dans romandamour, un poème sur six pages qui évoque une baise. Pas certaine que je sortirais indemne d’une conversation, à Noël, avec mon oncle Gilles à propos de cet extrait. Mais pour être honnête, si je repense à , Pipo, Kid, Moi pis Novarina, je réalise que même là, j’y ai laissé chaque fois un petit morceau de peau d’âme. Écrire, c’est toujours un striptease. Mais au moins, dans les livres jeunesse, les hippopotames gardent leur bas!

Photo : © Josée Lecompte

À lire aussi
Kaléidoscope de l’amour

Publicité