Linda Amyot : L’amour au temps des coquelicots

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Si l’on referme Le jardin d’Amsterdam (Leméac)avec les larmes aux yeux, c’est cependant une émotion douce et enveloppante qui nous habite ensuite longtemps. Pas étonnant que cette histoire d’un amour sans frontières et d’une amitié sans complexes, écrite avec adresse et concision, ait remporté le Prix du Gouverneur général (textes jeunesse).

Votre roman met en scène une vieille dame et une adolescente, dont la relation est soudée par une forte amitié. D’où vous est venue cette idée?
Je ne travaille jamais à partir d’une idée. Ce sont d’abord et avant tout des personnages qui s’imposent en moi. Dans le cas de Le jardin d’Amsterdam, Élaine, un des deux personnages de mon précédent roman jeunesse, La fille d’en face, est restée très présente. Comme si je n’en avais pas terminé avec elle. Ou c’est peut-être plutôt elle qui n’en avait pas fini avec moi… Puis, la voix et l’image d’une vieille dame se sont imposées. Ensuite, j’ai vu la scène du chapeau écarlate qui s’envole et atterrit de l’autre côté de la clôture, aux pieds d’Élaine. C’est à partir de ça que j’ai écrit ce roman.

Avez-vous connu, vous aussi, une relation d’amitié intergénérationnelle?
Très jeune, j’adorais écouter ma grand-mère paternelle me parler de ses souvenirs de jeunesse. Je suppose que ces conversations m’ont marquée. Adèle est aussi modelée sur un amalgame : une de mes tantes maternelles, une vieille dame que j’ai accompagnée un temps dans la rédaction de son autobiographie et dont le mari décédé était un Canadien anglais d’origine néerlandaise; un reportage photo sur une artiste peintre âgée inspirée par son jardin sur le bord de la mer en Nouvelle-Angleterre; le lien particulier d’une de mes nièces avec ma mère.

Vous venez de remporter le Prix du Gouverneur général; quel effet cette reconnaissance vous fait-elle?
J’en suis d’autant plus touchée que je ne pensais certainement pas recevoir de nouvelles récompenses, surtout pas de cette envergure, après celles obtenues pour La fille d’en face (Prix des libraires jeunesse et Prix TD de la littérature jeunesse en 2011). J’ai été un peu paralysée après cette belle réception de mon premier roman jeunesse. Je ressentais une certaine pression intérieure de faire aussi bien la deuxième fois et je n’étais pas certaine d’y arriver. Il a fallu que je lâche prise et que je suive mes personnages sans plus m’inquiéter.

Croyez-vous que, comme votre personnage Adèle, un seul amour peut enflammer le cœur d’une personne durant toute sa vie?
Adèle dit que « l’amour n’est pas compliqué, c’est tout ce qu’il y a autour qui est compliqué »… Dans une vie, je crois, nous vivons des amours qui meurent parce que tout ce qui est compliqué autour finit par prédominer. Mais je crois aussi que, parfois, l’amour qui unit deux personnes reste plus solide que toutes les complications qui l’entourent. C’est du moins ce que j’ai eu la chance de voir entre mes parents, mes grands-parents paternels, des oncles et des tantes.

Pourquoi avoir choisi de conserver les deux personnages, Lena et Élaine, du précédent roman?
Comme je l’écrivais précédemment, j’ai plutôt l’impression que ce sont les personnages qui me choisissent… Tout se passe comme si, tandis que je termine l’écriture d’un roman, un personnage se détache, s’installe dans mon imaginaire et m’entraîne ailleurs. C’est exactement ce qui s’est passé avec mes romans pour les adultes : le personnage principal de Les murs blancs apparaît brièvement dans Ha Long;et le personnage principal de Au matin,dans Les murs blancs. Et c’est ce qui se passe avec les romans jeunesse : Élaine était déjà dans La fille d’en face et Adrien, qui sera vraisemblablement le personnage principal du prochain roman jeunesse, fait partie du groupe d’amis d’Élaine dans Le jardin d’Amsterdam. J’écris de façon très instinctive, intuitive, presque organique, mais, à un niveau plus rationnel, je crois que j’aime créer des univers romanesques. Non pas des séries, puisque les romans se lisent séparément sans que le lecteur soit incommodé, mais un peu comme ce que fait Aki Shimazaki.

Vous écrivez pour le lectorat jeunesse, mais également pour les adultes. Votre approche de l’écriture, du choix des thèmes, est-elle la même dans les deux cas?
Oui, au sens où les personnages s’imposent. Parfois, ce personnage a 35 ans; d’autres fois, 16, 89 ou même 5 ans comme c’était le cas dans les deux albums illustrés par Stéphane Olivier et Gilles Boulerice, Rose-Fuchsia et la nouvelle école et Rose-Fuchsia et les mamans, parus aux Éditions du soleil de minuit en 2007 et 2010. Avec le personnage vient donc une histoire : Rose-Fuchsia est différente, car elle est adoptée; Élaine ressent des sentiments mêlés d’affection et de jalousie envers son amie Lena; Adèle vit dans le souvenir de son unique et grand amour; ou encore Isa tente de donner un autre sens à sa vie après une maladie grave (Les murs blancs),etc. Le « thème » est ainsi intrinsèquement lié aux personnages. Je ne cherche pas volontairement et consciemment à « traiter » de ceci ou de cela. Je me plonge dans le monde intérieur du personnage, ses émotions et ses réactions face à une situation qu’il vit.

Dans les deux cas (adulte et adolescent), je fais confiance aux lecteurs. J’aime leur laisser de la place, les faire voyager au cœur de leur propre imaginaire, ne pas leur donner toutes les réponses, leur permettre même d’inventer la suite comme dans le cas de La fille d’en face. Dans les textes pour les plus jeunes, je ferme davantage le récit pour que l’enfant ait des réponses, qu’il ne soit pas laissé en suspens, tout en sollicitant néanmoins son imaginaire.

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