Issue de l’univers du design graphique, Élodie Duhameau est devenue une illustratrice jeunesse qui, cette saison, bombarde les librairies de plusieurs nouvelles créations. Certains des ouvrages qu’elle a illustrés, tels Albertine Petit-Brindamour déteste les choux de Bruxelles ou encore La guerre des bébés, ont remporté de nombreux prix. C’est qu’Élodie semble avoir trouvé comment bien s’adresser aux petits!

L’album Le croco qui vit chez papi met en scène Maurice, un crocodile apparu dans les rhododendrons de Papi (voisin d’un zoo). Cet album, d’ailleurs sur la liste préliminaire du Prix des libraires du Québec, est le premier que vous signez en tant qu’autrice, en plus d’en être l’illustratrice. Comment aborde-t-on une histoire lorsqu’on a le plein contrôle sur son déroulement narratif?
Au fil du temps, l’envie de raconter mes propres histoires était de plus en plus présente. Maurice est né lors d’une formation en écriture jeunesse donnée par Mireille Levert et proposée par Illustration Québec. J’ai vraiment découvert le plaisir de créer une œuvre de bout en bout : donner vie à Maurice, proposer son histoire, et inviter les enfants (et leurs parents) à se questionner sur le rapport entre l’humain et l’animal. Je l’ai écrit comme un enfant se souviendrait de la rencontre entre Maurice et son grand-père.

Vous illustrez Les ballons d’eau, album signé Sarah Degonse à La Bagnole qui parle d’hypersensibilité, le tout imagé par des ballons représentant les émotions. Quel a été le plus grand défi lié à l’illustration de cette histoire tout en métaphores?
Pour Les ballons d’eau, Sarah met en scène sa fille Charlie et la manière dont elle vit ses émotions. Illustrer une personne réelle dans un album jeunesse était une première. J’ai trouvé très intéressant de participer à retranscrire les émotions de la vraie Charlie, dans laquelle je me suis beaucoup retrouvée. Une des difficultés était d’imager des ressentis abstraits dans des situations bien concrètes.

Illustration tirée du livre Les ballons d’eau (La Bagnole) : © Élodie Duhameau

Les animaux ont la part belle dans les albums jeunesse, et certains reviennent souvent, comme les moutons. Dans Le vigile (Les 400 coups), une histoire mettant en scène des loups, des chiens et des moutons, vous vous êtes toutefois éloignée des clichés pour illustrer vos moutons, qui, bien que poilus, ne possèdent pas l’effet cumulonimbus qu’on voit souvent. Quand on illustre des livres pour enfants, où se situe la limite entre reproduire des images clés pour aider la compréhension et jouer d’audace?
L’histoire parle d’une société qui se concerte, s’organise, pour trouver une solution face à un danger. Le village des moutons se regroupe autour de la cheffe Claude. En lisant le texte d’Olivier Dupin, j’ai tout de suite imaginé un village de moutons mi-humains mi-laine. J’ai aussi vraiment adoré le personnage de Jean-Loupiot, hum, Jean-Toutou! J’ai beaucoup ri en le lisant.

Vous jouez habituellement des couleurs et des contrastes dans En attendant… album signé Judy Ann Sadler (Scholastic) qui met en scène l’attente d’un petit garçon envers un nouveau membre de sa famille. Quelle technique avez-vous utilisée, quel médium, et en quoi est-ce différent de ce que vous faites habituellement?
Pour ce livre, c’est vrai que ma palette est bien différente. J’ai recherché une ambiance qui reflète la lenteur de l’attente, et la douceur de la relation entre l’enfant et sa grand-mère. Les teintes de gris, c’est un peu le temps qui se fige. Ce livre m’a rappelé les longs après-midi passés avec ma grand-mère. Nous pouvions passer des heures ensemble, elle à tricoter et moi à dessiner. De longs silences entrecoupés des petits cliquetis de ses aiguilles et du griffonnement de mes crayonnés.

Vous faites de l’illustration éditoriale et de l’illustration pour publicités. Est-ce difficile de trouver comment rendre une idée en image punchée? Comment trouvez-vous l’inspiration lorsque l’idée ne vient pas du premier coup?
La plupart du temps, c’est plutôt l’inverse. Le brief ou l’article proposent souvent une association d’idées qui génère immédiatement des images. Le défi est plutôt de choisir la bonne!

Illustration tirée du livre Le croco qui vit chez papi (Les 400 coups) : © Élodie Duhameau

Vous avez également illustré Vivre sans plastique (Écosociété). Quelle différence y a-t-il pour la créatrice en vous lorsque vous vous apprêtez à illustrer un ouvrage pour enfants ou pour adultes?
Le style, le rendu, les couleurs ont un rôle. Ai-je le temps de développer des personnages et un univers en plusieurs images? Est-ce une image unique? À qui ça s’adresse? À qui j’aimerais que ça s’adresse? Quel est le but? Le contexte? En publicité, une image doit être lue et perçue rapidement. Pour un album jeunesse, on prend le temps de regarder chaque page, plusieurs fois. On peut donc développer plusieurs facettes des personnages et permettre au sujet de se construire progressivement. Pour Vivre sans plastique, j’ai illustré des sujets très concrets à vocation pédagogique. Il fallait que les illustrations soient très simples.

Quelles choses aimez-vous le plus dessiner et, à l’inverse, quels éléments représentent pour vous les plus grands défis? Tentez-vous de fuir ce que vous aimez moins ou, au contraire, plongez-vous tête première dedans?
Un peu tout ça à la fois! Je peux être très organisée ou très spontanée, quitte à tout revoir en cours de route. J’ai adoré illustrer Albertine Petit-Brindamour déteste les choux de Bruxelles et tous les enfants de La guerre des bébés. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est créer des personnages expressifs. Il faut que les personnages me plaisent, me touchent, me fassent rire! Ils vont m’accompagner pas mal de semaines, je dois bien les choisir.

Jusqu’à maintenant, quel livre avez-vous préféré illustrer, et pourquoi?
Le croco qui vit chez papi, évidemment! J’ai développé une véritable affection pour Maurice, ce croco rouge! C’est mon Falkor, mon E.T., mon personnage imaginaire qui a pris vie!

Illustration tirée du livre Le croco qui vit chez papi (Les 400 coups) : © Élodie Duhameau

Photo : © Frédérick Wolfe

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