Noum, un chaman de Sibérie, gravit quotidiennement la colline située près de son abri pour aller méditer à son sommet. Ce jour-là, luttant contre les rafales qui rendent difficile son avancée, il fait une découverte pour le moins étonnante : la sépulture d’une reine à la peau noire. Y voyant là un puissant message, il s’en servira afin d’empêcher le territoire d’être la cible d’un projet souhaitant exploiter ses richesses naturelles. La forme du roman Femme du ciel et des tempêtes rappelle celle du conte qui, tout en nous livrant son récit, nous prodigue des enseignements fondamentaux. En faisant appel à l’intelligence des peuples, en étant à l’écoute de l’esprit des ancêtres et en abandonnant son âme à l’énigme insondable des étoiles, Wilfried N’Sondé écrit les lignes d’un avenir possible.

Dans votre plus récent roman, à l’instar de ce que l’on observe dans notre monde, l’humain a perdu le lien avec la nature et ses semblables. À l’heure où la catastrophe est annoncée, que peut-on faire de plus important selon vous pour sauver la mise?
L’humain n’a pas perdu son lien avec la nature, pour la simple raison qu’il en fait partie. Seulement, beaucoup se figurent que l’humanité est une exception du vivant, qu’elle existe au-dessus de ce qui l’entoure, qu’elle est supérieure au reste, qu’elle détient les capacités de détruire ou de sauver la nature… Ce sont ces croyances arrogantes qui précipitent les êtres humains vers leur perte, n’oublions pas que l’unique catastrophe qui s’annonce est la disparition du genre humain. J’estime cette prise de conscience nécessaire, elle constitue la première étape de tout changement et réclame énormément d’humilité. Nous sommes une espèce menacée de disparition, la lutte que nous entamons aujourd’hui n’a pas pour but de sauver la planète, nous combattons afin de préserver les conditions qui permettront aux humains de continuer à exister sur Terre.

Votre livre est porté par le souffle de la légende. Il convie chacun d’entre nous à puiser à l’intérieur pour consacrer au vivant l’importance qui lui revient. Croyez-vous aux histoires pour changer les choses?
L’univers qui nous abrite recèle de mystères. Déjà, les Égyptiens antiques érigeaient la magie au premier rang des forces qui agissaient sur le monde. Aujourd’hui les scientifiques affirment que plus de 90% de ce qui existe dans l’univers est constitué de ce qu’ils appellent l’énergie noire et la matière noire, des éléments impossibles à définir et dont ils ignorent les effets. Devant tant d’incertitudes, l’explication ne suffit pas, là où les approches purement rationnelles butent sur des points d’interrogation, nous avons besoin d’imaginer le monde et, pour cela, de raconter des histoires. L’humanité foisonne de récits qui produisent du sens, des peintures rupestres de la préhistoire aux futures rencontres avec des extraterrestres en passant par la Bible. Les histoires nous permettent de nous envisager différemment, de poser un regard inédit sur ce qui nous entoure, de définir des objectifs nouveaux à nos réflexions, et finalement d’agir autrement. Alors oui, je crois qu’aujourd’hui nous avons absolument besoin de réinitialiser nos histoires parce que nous devons changer, nous réinventer.

D’où vous est venu le personnage de Noum, ce chaman qui a passé les dix dernières années à méditer et qui cherche maintenant les forces nécessaires pour passer à l’action?
Lorsque j’ai traversé la Sibérie à bord du mythique Transsibérien, j’ai longuement échangé avec des moines bouddhistes à l’est du lac Baïkal. S’il est vrai que nous avons trouvé des points de convergence entre leurs croyances religieuses et ma spiritualité, héritée de mes ancêtres bakongos, il n’en reste pas moins que j’ai été très impressionné par leur choix de s’être retirés du monde pour se consacrer pleinement aux enseignements de l’esprit. Leur détachement par rapport à ce qui relève du matériel et leur manière de se considérer comme une infime partie du Grand Tout m’ont séduit. Il m’est apparu que leur relation à la nature, empreinte de simplicité et de bienveillance, était de nature à nous éclairer. En posant le personnage du chaman comme l’élément clé de mon roman, j’espère véhiculer le message que le préalable de notre lien au vivant devrait être spirituel, à savoir une profonde réflexion sur le sens que nous voulons donner à nos existences personnelles et à la présence de notre espèce sur cette planète.

Photo : © Legattaz

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