C’est avec beaucoup de satisfaction et d’intérêt que l’on constate qu’au cours des dernières années, de plus en plus d’éditeurs québécois se sont mis à publier en traduction des romans policiers et des thrillers d’écrivains canadiens-anglais. À ce propos, on peut affirmer que, même si certains titres sont parus par-ci par-là dans le passé, ce sont les éditions Alire qui ont vraiment ouvert la voie dès 1985 avec des auteurs vedettes comme Eric Wright, Peter Sellers ou Liz Brady.

Aujourd’hui, les amateurs du genre peuvent enfin suivre les enquêtes du détective Luc Vanier, de Peter Kirby (Linda Leith Éditions), les aventures trépidantes des limiers de Rick Mofina (Alire), les affaires criminelles de l’inspecteur MacNeice, de Scott Thornley (Boréal), goûter à l’humour grinçant de l’ex-policier devenu photographe Thumps DreadfulWater, de Thomas King (Alire) ou suivre les investigations périlleuses du journaliste Léo Desroches, de Wayne Arthurson (Alire), pour n’en nommer que quelques-uns. Car la liste ne cesse de s’allonger au point que la production québécoise de polars canadiens est en bonne voie de dépasser celle de l’édition française de plus en plus chiche en la matière.

En France, on préfère inonder le marché de polars nordiques à grand renfort de couronnement de pseudos « reines du crime scandinave », négligeant par la même occasion un corpus important d’ici, tout aussi riche en intrigues bien ficelées, en décors exotiques, en grands espaces glacés, avec des personnages (a)typiques. Certes, dans divers catalogues européens, on retrouve quelques noms connus, dont Louise Penny (d’abord publiée au Québec par Flammarion Québec avant de passer chez Actes Sud), Joy Fielding, Shari Lapena, Chevy Stevens ou Robert Pobi. Mais où sont passés Peter Robinson et son excellente série Peter Banks? Alan Bradley et son étonnante Flavia de Luce? John Farrow et son détective québécois Émile Cinq-Mars, ou Peter Bowen et son « expert en culs de vaches » Gabriel DuPré, des écrivains dont on a publié quelques titres avant de les abandonner, alors qu’ils n’ont pas cessé d’écrire?

Giles Blunt fait partie de ces auteurs momentanément disparus des étagères des librairies francophones en 2008, avant de réapparaître en 2021. Il est né le 2 février 1952 à Windsor en Ontario. En 2000, il publie Forty Word for Sorrow, le premier d’une série de six polars mettant en scène John Cardinal, inspecteur de la police criminelle d’Algonquin Bay, et sa coéquipière québécoise Lise Delorme. Traduit sous le titre Quarante mots pour la neige, le roman paraît au Masque en 2003. Suivront trois autres titres, avant que les traductions cessent en 2008. Mystère de l’édition, le cinquième (jamais traduit) paraît en version originale en 2010, et un sixième en 2012. Neuf ans après, ce dernier opus, le meilleur de la série, paraît enfin sous le titre Grand calme (Until the night, 2012), aux éditions Sonatine.

Selon un cas de figure très répandu dans le thriller contemporain, l’intrigue comprend deux volets, deux lignes narratives dont l’une se déroule dans l’Arctique canadien et l’autre en Ontario. Karson Durie est une glaciologue qui a rejoint sur la base dérivante Arcosaur une petite équipe de scientifiques qui effectuent des recherches dans des conditions de vie les plus extrêmes. Dans son journal, elle raconte jour après jour cette opération de survie dans un univers glacé où le sublime côtoie le terrifiant. Rares sont les individus qui peuvent survivre à un séjour prolongé dans l’enfer arctique, et l’aventure tourne du drame au cauchemar.

La deuxième partie se déroule à Algonquin Bay où John Cardinal et sa collègue enquêtent sur le meurtre d’un homme dont la maîtresse a disparu. Puis, la découverte de deux cadavres de femmes tuées selon le même rituel et l’enlèvement d’une troisième semblent indiquer qu’un tueur en série atypique est à l’œuvre. Le lien avec l’Arctique? C’est là que se trouve le nœud de cette excellente intrigue qui a autant des allures de roman d’aventures que de procédure policière.

Wayne Arthurson est né à Edmonton d’un père originaire de la nation crie et d’une mère canadienne-française. L’automne de la disgrâce (Fall from Grace, 2019) est le premier volet de sa trilogie mettant en scène Léo Desroches, un reporter d’élite au passé trouble de joueur compulsif qui a tout perdu : famille, boulot, maison, estime de soi. Il est en voie de rédemption, grâce à son ami Larry Maurizio, directeur de la rédaction du Edmonton Journal. En enquêtant sur le meurtre d’une jeune Autochtone, Léo découvre d’autres affaires d’homicides et de disparitions inexpliquées de jeunes prostituées autochtones. Persuadé qu’un tueur en série est à l’œuvre et constatant que la police se traîne les pieds, quand elle ne détourne pas les yeux, il se lance, à ses risques et périls, dans une enquête pleine d’embûches. Plus qu’une sempiternelle histoire de serial killer, thème usé s’il en est, ce récit très actuel et reflétant une réalité sordide est l’histoire prenante d’un homme qui se cherche. Léo, qui a des racines autochtones, est lancé dans une quête d’équilibre, de liens familiaux rompus et d’identité. Un personnage à suivre…

De descendance cherokee, Thomas King réside au Canada depuis 1980. Très impliqué dans la cause autochtone et auteur de plusieurs essais sur la question, il est aussi romancier. Les meurtres du Red Power (The Red Power Murders, 2006) est le deuxième volet d’une série dont le protagoniste est Thumps DreadfulWater, ex-policier recyclé en photographe dans un bled du Montana. La venue impromptue d’un chef du mouvement Red Power dans la ville de Chinook va provoquer toute une commotion, car son arrivée coïncide avec la découverte du cadavre d’un ex-membre du FBI dans une chambre de motel. Quand d’autres morts violentes surviennent, le shérif Hockney fait appel à l’expertise de Thumps pour identifier les coupables. Mais l’affaire est complexe et Thumps doit découvrir qui orchestre les rivalités meurtrières et les règlements de compte au sein même des organismes de défense des droits des Autochtones, alors que lui-même devient une cible. Dans cette intrigue à caractère social, sans manichéisme ni parti pris (Blancs et Autochtones vivent dans une relative harmonie), on appréciera particulièrement le ton empreint d’humour et le talent de l’auteur pour les dialogues souvent truculents. Quant à Thumps, un fort en gueule, malgré son passé trouble et quelques démons qui refont surface, c’est un personnage coloré des plus attachants.

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