Qu’est-ce que l’originalité? Selon Wikipédia, grand gourou cybernétique de notre époque, c’est « le caractère que présente une œuvre lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. Elle se distingue de ses copies, de ses contrefaçons et des œuvres dérivées. Une telle œuvre a un style et une substance unique ». Un polar original évite donc les thématiques à la mode, les clichés et les situations convenues. Or, et c’est là le principal défaut de la production actuelle : elle manque trop souvent d’innovation! À titre d’exemple, voici le texte d’un argumentaire de couverture arrière typique : « X doit arrêter le tueur en série qui rôde dans les rues de la ville avant qu’il ne fasse plus de victimes. Pour résoudre cette affaire, l’enquêtrice Y fait appel à Z, un profileur de renom. Ensemble, ils se lancent dans une chasse à l’homme intense, qui fait remonter à la surface des souvenirs que X croyait pourtant enfouis depuis longtemps. » Des présentations éculées de ce genre vantent ad nauseam les mérites de dizaines de polars actuels, le serial killer, notamment le tueur de femmes, popularisé par Thomas Harris et cie, avec profileur, étant probablement le pire cliché du genre. Même situation dans le courant dit du « noir domestique » initié par Gillian Flynn, Paula Hawkins et une pléthore d’imitatrices dont les slogans de vente répétitifs rappellent le fameux « Familles, je vous hais! » d’André Gide : « Jusqu’à quel point connaît-on vraiment ceux que l’on aime? » (Lucie Whitehouse), « Il est des secrets de famille plus mortels qu’un poison » (Annette Wieners) ou « Et si votre famille n’était pas celle qu’elle prétendait être? » (Musso), et autres variations sur ce refrain du moment. Dès lors, la question se pose : comment échapper aux modes et écrire un roman policier original sans trahir les attentes d’un public de lecteurs de plus en plus exigeants?

Une manière efficace de se démarquer consiste à ancrer l’action de son intrigue dans un contexte historique précis, avec un événement central marquant, unique, et de lui injecter une bonne dose de réalisme. Quelques exemples…

En 2019, Fabiano Massimi publie L’ange de Munich, un polar qui allie parfaitement réalité historique et fiction. Il met en scène le commissaire Sigfried Sauer qui enquête sur le suicide présumé de la nièce d’Hitler, Geli Raubel, à Munich, le 18 septembre 1931. En 2021, Massimi récidive dans la même veine, avec Les démons de Berlin, qui a pour toile de fond la reconstitution des faits qui ont conduit à l’incendie du Reichstag, le siège du Parlement allemand, à Berlin, dans la nuit du 27 au 28 février 1933. Tout le récit se déroule dans l’atmosphère oppressante de la ville en février 1933, alors que Hitler a été nommé chancelier et que les nazis s’apprêtent à consolider leur mainmise sur le pouvoir. Sigfried Sauer, ancien commissaire de la police de Munich, est appelé d’urgence à Berlin : Rosa, la femme qu’il aime, a disparu après avoir rejoint la Résistance. Sur place, il retrouve deux de ses compagnons d’armes ainsi que d’anciens collègues de la police de Munich avec lesquels il avait enquêté sur la mort suspecte de la nièce d’Hitler en septembre 1931. L’enquête risquée sur la disparition de Rosa, riche en rebondissements, se fait dans une ville en proie à une criminalité endémique et dans un climat politique d’une violence extrême : persécutions et assassinats de citoyens juifs, chasse aux communistes, attentats, création du corps des SS, etc. Sauer devra composer avec un tueur de femmes, des intrigues de hauts dirigeants nazis en pleine guerre d’influence et de pouvoir, et côtoyer, bien malgré lui, les Himmler, Goering, Heydrich et autres sinistres personnages du régime. Le récit, bien documenté, culmine avec l’incendie du Reichstage et les conséquences politiques funestes qui en résultent.

Auteur d’une série de romans de procédure policière et d’une autre de polars historiques, Jacques Côté change de registre avec Requiem américain, un roman noir qui a pour toile de fond la guerre des motards qui a ébranlé le Québec dans les années 1990. Mais l’auteur précise : « Ce roman est une interprétation très libre de la guerre des motards qui a eu lieu au milieu des années 1990 au Québec. Celles et ceux qui voudront s’amuser à examiner à la loupe les liens directs et chronologiques avec les événements réels feront fausse route. » Owen Hayden est lieutenant de la brigade de l’antigang au SPCUM, chargé de la lutte contre le crime organisé, plus particulièrement contre la bande de Marc Harel, dont le bras droit n’est nul autre que Tom « Tomgun » Hayden, le frère cadet d’Owen. Ironie du sort, Owen, le rebelle au caractère violent, avait tout pour devenir un voyou, alors que Tom, malgré son grade élevé chez les bandits, va révéler certains traits de caractère plus « humains ». Toute l’action, captivante s’il en est, est concentrée sur la guerre à finir que l’équipe d’Owen mène contre les Hells Angels et les Rock Machine, qui se battent, aidés par des nervis de la mafia, pour le contrôle du marché de la drogue.

L’intrigue de Vingt ans plus tard, de l’auteur américain Charlie Donlea, a pour point de départ un crime sordide et les attentats du 11 septembre 2001. Juillet 2001 : Victoria Ford est accusée du meurtre de son amant, l’écrivain à succès Cameron Young, retrouvé pendu au balcon de sa luxueuse résidence des Castkill. Enquêteur débutant, Walter Jenkins est chargé de cette affaire malgré son peu d’expérience. Après examen des pièces à conviction et analyse d’indices, il en arrive à la conclusion que Victoria Ford, dont l’ADN a été identifié sur la scène de crime, est coupable. Mais le 11 septembre, quelques jours avant son procès, la meurtrière présumée trouve la mort dans l’une des tours jumelles du World Trade Center. Vingt ans plus tard, grâce à une nouvelle technique d’analyse, les légistes de Manhattan ont réussi à identifier les restes de Victoria Ford. Pour Avery Mason, animatrice d’une très populaire émission de télévision, c’est là un beau sujet de reportage. C’est d’autant plus excitant qu’elle apprend que la victime aurait téléphoné à sa sœur Emma, avant que la tour ne s’écroule, pour la supplier de prouver son innocence. Victoria Ford était-elle coupable? Avery a des doutes et les partage avec Jenkins, qui a repris du service et veut en avoir le cœur net. Les péripéties qui suivent, riches en surprises et en rebondissements, créent un excellent suspense et révèlent… un crime parfait (fait rarissime dans le polar contemporain)!

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