Les histoires de gangsters forment un sous-genre du polar noir dit « hard-boiled » (durs à cuire), qui trouve son origine d’abord dans les pulps américains comme Black Mask (vers 1920) puis chez des écrivains comme Dashiell Hammett, William Riley Burnett, James Hadley Chase et compagnie. C’est une véritable révolution, car le polar devient urbain, réaliste et noir, en mettant en lumière les ratés du melting pot américain. Aux États-Unis, comme le note Fereydoun Hoveyda dans son Histoire du roman policier : « Personne n’ignore les particularités des “gangsters” américains. Depuis les années de la Prohibition, depuis le kidnapping sensationnel du fils Lindberg, depuis les exploits d’Al Capone, etc., la presse et le cinéma ont fait une énorme publicité aux activités de cette pègre nouvelle. » Au temps de la Prohibition, imposée entre 1920 et 1933, les gangs et les truands comme Al Capone, Dutch Schultz, Lucky Luciano, Machine Gun Kelly et autres as de la gâchette font régner la terreur à coups de rafales de mitraillettes Thompson dans les rues de grandes métropoles américaines face à des policiers débordés et souvent corrompus. Ce climat social délétère inspire les auteurs de romans noirs. Dans La moisson rouge (1927, d’abord paru en feuilleton dans Black Mask), Dashiell Hammett raconte l’histoire d’un agent sans nom de la Continental Op qui nettoie la ville pourrie de Personville en déclenchant des guerres entre les bandes rivales. À l’opposé du polar de détection avec un enquêteur brillant qui résout des crimes, ce type de récit met plutôt en scène les criminels et leurs complices. Dans Le petit César, paru en 1929, William Riley Burnett raconte l’ascension de Cesare Bandelo, dit Rico, un modeste membre d’un gang dont il finit par devenir la tête dirigeante. Le bootlegger (contrebandier d’alcool) Louis Beretti est le personnage principal du récit Un nommé Beretti (1929), un classique du genre signé Donald Henderson Clarke. Très rapidement, la notoriété du genre s’exporte et se répand.

En France, la collection « Série noire » (créée par Marcel Duhamel, en 1945) fait connaître ces auteurs à des lecteurs friands de la culture et du mode de vie américains. Albert Simonin, Auguste Le Breton et José Giovanni, pour ne nommer que ceux-là, s’empressent de suivre ce créneau avec des histoires de truands écrites dans un langage argotique, une « langue verte » qui enrichit un vocabulaire canaille aujourd’hui désuet : Touchez pas au grisbi (magot), Razzia sur la chnouf (drogue), Du rififi chez les hommes (bagarre), etc.

Après la Seconde Guerre mondiale, le genre continue d’évoluer et connaît de beaux jours notamment sous la plume de Mario Puzo, dont Le Parrain (1969) est devenu l’archétype du genre. Depuis, des auteurs majeurs lui ont emboîté le pas, entre autres Dennis Lehane, James Ellroy, Don Winslow, R. J. Ellory ou même… Stephen King, plutôt connu pour ses écrits horrifiques!

L’intrigue de La cité en flammes, premier opus d’une nouvelle trilogie de Don Winslow et adaptation très libre de L’Iliade, se déroule dans le milieu des clans mafieux de Providence, à la fin des années 1980. Au cœur du récit, il évoque une guerre entre deux clans, les Murphy, de la pègre irlandaise et les Moretti, de la mafia italienne. La cohabitation pacifique entre les deux groupes vole en éclats après l’arrivée de la belle Pam, une Hélène de Troie moderne, maîtresse d’un Moretti, mais séduite par un Murphy! La guerre éclate et va faire de très nombreuses victimes au cours des années subséquentes, avec des périodes de trêve, de violence extrême, des alliances fluctuantes, des trahisons et quelques interventions douteuses du FBI. Au cœur du conflit, on trouve Danny Ryan, le personnage principal. Âgé de 29 ans, c’est un docker. Intelligent, loyal et réservé, il n’a jamais trouvé sa place au sein du clan des Irlandais. Son rêve : fuir loin de cet endroit où il n’a pas d’avenir. Mais le destin en a décidé autrement. Il lui faudra s’imposer enfin et affronter un déchaînement de violence sans précédent pour protéger sa famille et ses amis, avant de devenir, bien malgré lui, le leader du clan, cas de figure très courant dans ce type de récit.

Après une première incursion dans l’univers de la pègre avec Vendetta (2009), R. J. Ellory récidive avec Omerta, un « opéra mafieux », dont l’intrigue nous plonge au cœur du crime organisé de New York. Quand John Harper, journaliste à la dérive, est rappelé d’urgence à New York, il apprend que son père Lenny Bernstein, grièvement blessé par balles, est un des pontes de la mafia juive. Après d’autres révélations troublantes, ce Candide égaré dans un monde étrange et violent apprend que son passé a été bâti sur des mensonges. Pendant son séjour, deux bandes rivales, dont celle de son père, préparent dans l’ombre le coup du siècle : un quadruple braquage qui ne peut finir que dans le sang. Récit des plus captivants, Omerta propose une plongée saisissante au cœur de la pègre new-yorkaise gangrénée par de sanglantes luttes intestines.

Stephen King, mondialement réputé pour ses récits d’horreur et de science-fiction, écrit aussi d’excellents romans policiers. Billy Summers est un amalgame réussi de roman noir et de récit de guerre. C’est l’histoire de la dernière « mission » de Billy Summers, un tueur à gages, vétéran de la guerre d’Irak, en quête de rédemption, qui rêve de se retirer, mais accepte une dernière affaire, à cause d’une « offre qu’il ne peut refuser », soit une prime de deux millions de dollars. Mais Billy a quelques craintes : la proposition paraît trop belle et ses commanditaires lui paraissent louches. Quand l’affaire prend une tournure dramatique, Billy comprend qu’il a été trahi et se lance dans une cavale vengeresse et meurtrière, histoire de trouver qui tire les ficelles et qui veut sa peau. En parallèle, il écrit un journal dans lequel il évoque ses souvenirs de guerre traumatisants, son retour comme civil et ses premiers meurtres commandités. Éclair de génie : l’auteur nous propose une sorte de double dénouement, à la fois dramatiquement prévisible… et plutôt surprenant.

Ces romans de gangsters racontent la saga du crime organisé, une sorte d’épopée de la pègre urbaine. Selon ce qu’écrit André Vanoncini, dans Le roman policier : « Ce qui intéresse de manière générale ces auteurs, c’est le fonctionnement du crime organisé, les conditions d’existence qui contraignent les hommes à violer le contrat social. »

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