La maison. Le lieu du confort et de la sécurité. Un endroit peuplé de souvenirs; le nid douillet qui accueille famille et amis. Ce lieu qui nous protège de la menace extérieure, mais qui, au cinéma comme dans la littérature, se retrouve souvent au cœur même du suspense. On pense alors spontanément aux histoires de maisons hantées bien sûr. Je pense aussi à ces maisons qui semblent dotées d’une volonté qui leur est propre, et qui se rebellent contre leurs occupants comme nous l’a habilement raconté Myriam Vincent dans son plus récent roman À la maison (Poètes de brousse, 2022). La maison peut également être prise d’assaut par un ou des êtres malveillants. Je me rappelle, enfant, le mélange de fébrilité et de crainte qui m’habitait quand je voyais le jeune Kevin défendant astucieusement sa maison contre les attaques répétées des deux cambrioleurs dans le film à succès Maman, j’ai raté l’avion!

Peut-être est-ce l’effet de l’âge, mais désormais, ce qui me terrifie davantage que ces deux lourdauds, c’est la possibilité de voir la tranquillité de mon foyer être mise à mal. D’ailleurs, je ne suis visiblement pas la seule à vivre avec cette crainte puisque depuis quelques années, la littérature policière a vu émerger un nouveau courant : le thriller domestique, que les anglophones nomment Domestic Noir. Dans les romans s’apparentant à ce courant, vous ne trouverez pas de tueurs en série décimant le quart de la population d’une petite ville de Scandinavie, avant qu’un enquêteur — bourru, alcoolique mais hautement charismatique — ne lui mette la main au collet. Non. Dans un thriller domestique, le lecteur rencontre généralement une femme, coincée dans une situation ambiguë, où la tension sera de plus en plus forte jusqu’à lui faire douter de l’équilibre mental des protagonistes.

Alors, lorsque l’intégrité physique des personnages n’est pas en danger, mais que la menace revêt plutôt les traits d’un voisin bruyant, jusqu’où peut-on aller pour préserver sa tranquillité et défendre son droit au calme?

C’est justement cette situation que vivent les citoyens d’un quartier paisible de la banlieue londonienne dans Bien sous tous rapports, deuxième roman de Louise Candlish. Imaginez une rue bordée de maisons patrimoniales décorées avec goût par de jeunes familles qui vivent dans le respect les unes des autres. Un quartier tellement « bien sous tous rapports » que le voisinage a pris l’initiative de fermer la rue aux voitures le dimanche afin de permettre aux enfants d’y jouer sans danger. Un lieu où les voisins se connaissent, s’entraident et s’apprécient. Bref, un endroit totalement idyllique. Jusqu’à ce qu’un nouveau résident débarque dans la maison dont il a hérité de sa grand-tante. Maison qu’il ambitionne d’ailleurs de retaper lui-même, à toute heure du jour et de la nuit. Et lorsqu’il n’est pas en train de jouer du marteau ou de la scie électrique, c’est la musique heavy métal sortant de ses haut-parleurs qui fait vibrer tout le quartier. Par-dessus le marché, il semble exploiter une entreprise — probablement de façon illicite, qui plus est — de revente de voitures usagées. Voitures qu’il stationne n’importe où et qu’il déplace dangereusement même le dimanche au péril des enfants du quartier, qui prennent habituellement la rue d’assaut ce jour-là. Le chaos ne tarde pas à s’installer dans tous les foyers, ceux-là mêmes qui étaient auparavant si sereins. Bien sous tous rapports n’est toutefois pas qu’une simple chronique de la vie en banlieue, puisque bien vite, un accident se produit, puis un autre. Qui est le coupable? Tous les indices pointent vers le voisinage mécontent de la nuisance qui s’est installée au coin de la rue. Mais qu’en est-il vraiment? Le roman est un véritable page turner, un thriller domestique pur jus dont la narration alterne entre les différents protagonistes qui nous semblent tous plus coupables les uns que les autres. La vérité ne sera révélée qu’à la toute fin et elle risquera de vous troubler.

Dans le troisième volet des aventures mandevilloises, André Marois nous fait à nouveau visiter la belle région de Lanaudière en nous amenant cette fois-ci sur les rives de la Mastigouche. Tandis que dans Bien sous tous rapports il est déjà trop tard puisque le mal est installé pour y rester, La sainte paix raconte plutôt le quotidien de Jacqueline, une septuagénaire qui est prête à tout pour s’assurer de préserver sa tranquillité avant qu’il ne soit justement trop tard. En effet, depuis plus de trente ans, cette retraitée a pour voisine Madeleine, veuve comme elle et qui, loin d’être son amie, a tout de même l’avantage d’être aussi calme qu’elle. Mais voilà que celle-ci, traversant la rivière qui sépare leurs demeures, s’amène pour lui annoncer une bien mauvaise nouvelle : elle est malade et va devoir vendre sa maison avant de perdre toute son autonomie. Vous aurez compris que pour Jacqueline, la mauvaise nouvelle n’est pas la maladie de l’autre mais plutôt le spectre d’un déménagement. Madeleine partie, quelles nuisances risquent de s’installer en face? De jeunes fêtards ou, pire encore, une famille avec des enfants bruyants? La frêle Jacqueline ne voit qu’une solution pour éviter le pire; tuer Madeleine, et faire passer l’assassinat pour un suicide, ce qui compliquera la vente et lui garantira la sainte paix! Comment s’y prendra-t-elle pour commettre le crime parfait et déjouer les soupçons de l’enquêteur Mazenc? La vieille dame est ratoureuse et après avoir lu autant de romans policiers, elle a une bonne idée des stratégies à adopter pour filer des jours heureux sans être reconnue coupable. Sous la plume vivante d’André Marois, Madeleine, Jacqueline et tout le voisinage sont aussi attachants que détestables. La sainte paix est un court roman habilement raconté qui se lit d’une traite.

Bien sous tous rapports et La sainte paix, deux romans à lire pour se rappeler que Sartre avait bien raison en affirmant que « l’enfer, c’est les autres »!

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