Au volant d’un 4×4 électrique jouet, un gamin parcourt le terrain de camping à toute vitesse, se faufilant entre les tables à pique-nique. Une autre des pluies diluviennes de l’été le forcera bientôt à se réfugier dans l’abri de bois où ma copine et moi achevons de déjeuner.

Tout à ce loisir innocent, l’enfant ignore qu’il participe à reproduire ce rapport délétère au territoire permis par l’avènement des énergies fossiles, et que l’autrice Dalie Giroux aborde avec force dans Une civilisation de feu.

Au fil des textes aux formes variées — un argumentaire plus classique y côtoie des réflexions intimes et poétiques —, Giroux sonde avec un brillant sens de l’ironie et de la métaphore les méandres de notre « mobilité apocalyptique ». Pour les peuples du Nord global, le territoire est devenu cet espace que l’on parcourt à toute allure, ou une réserve de ressources à piller sans égard aux êtres qui y vivent. Or, comme les multiples catastrophes naturelles n’en finissent plus de le démontrer : « Cette vitesse fossile est celle de notre survie et en même temps celle par laquelle on périt. »

Le fantasme de la normalité
C’est la défense de ce mode de vie, notre « normalité moyenne » mise à mal par les crises sociales et climatiques, qui explique selon elle l’apparition de mouvements comme les gilets jaunes ou le convoi pour la liberté. Il n’est pas innocent que le premier soit une réaction à la hausse du prix du carburant et que le second soit l’initiative de camionneurs. Ces manifestations réactionnaires, comme plus généralement de cette droite populiste qui gagne en force, visent précisément celles et ceux que notre façon de vivre aliène : les femmes, les minorités culturelles ou de genre, etc. S’inspirant du psychanalyste Jacques Lacan, Giroux avance que l’agressivité dirigée vers ces gens s’explique en ce qu’ils renvoient une image morcelée d’un corps social que l’on voudrait lisse comme un fantasme.

L’autrice nous invite à nous méfier de cette prétendue normalité comme d’un réel sans aspérité. Le monde est fait de bribes, d’éléments contradictoires en tension, dont il faut prendre acte pour trouver des manières pérennes de vivre ensemble.

À l’image de la surface lisse d’une autoroute qui traverse le territoire sans l’habiter, Dalie Giroux oppose celle du terrain vague. Comme celui que les citoyen.nes d’Hochelaga-Maisonneuve défendent actuellement contre les puissances économiques qui le destinent à accueillir une plateforme de transbordement de marchandises. Le terrain vague est cet espace pluriel où se côtoient les ruines de ce qui était jadis ainsi que ce qui l’occupe maintenant : un lieu de résistance, mais aussi de recommencement. À nous d’en saisir toute la portée symbolique et de nous en inspirer pour construire le monde à venir!

Contrer l’autoritarisme populiste par la démocratie représentative
La démocratie est en crise.

S’il est un point sur lequel s’entendent la droite comme la gauche, c’est bien celui-ci. Alors que la première (dans sa version populiste) prône l’avènement au pouvoir d’un homme fort, qui réglera les problèmes avec fermeté, la gauche considère souvent que c’est par davantage de démocratie que nous sauverons la légitimité de nos systèmes politiques. C’est le cas du philosophe Jonathan Durand Folco, qui signe Réinventer la démocratie, un passionnant plaidoyer nous invitant à renouer avec « les origines de l’idéal démocratique ». En dix courts chapitres, celui-ci se donne pour objectif de poser un diagnostic sur cette crise aux multiples facettes, tout en puisant dans l’histoire de la démocratie et ses différentes pratiques. Ainsi, il prend le temps de bien distinguer le régime politique qui domine en Occident, le gouvernement représentatif, de la démocratie telle qu’elle pouvait avoir cours dans l’Athènes de la Grèce antique.

L’auteur remarque avec justesse que nos gouvernements modernes reposent sur trois principes dont les Athéniens se méfiaient : la représentativité, l’expertise politique et la conception d’un État séparé de la société. Ceux-ci jouent pour beaucoup dans le sentiment de « déconsolidation démocratique » que vivent nos contemporain.es. Selon l’essayiste, ils alimentent entre autres l’aliénation politique et la déresponsabilisation. Pour revigorer l’engagement et la confiance de la population, il propose de renouveler en profondeur nos régimes politiques en construisant une réelle démocratie participative.

Mettre en place une démocratie participative
S’appuyant sur « l’égalitarisme démocratique radical » défini par le sociologue Erik Olin Wright, la démocratie participative vise un idéal de justice sociale et politique, soit : donner à chacun et chacune les moyens de mener une vie digne tout en prenant part aux décisions qui ont un impact sur leur vie. Ce modèle repose ainsi sur le principe cardinal de la délibération : c’est par l’échange d’arguments, mais aussi de récits de vie, que les citoyen.nes pourront se comprendre et trouver des solutions à leurs problèmes.

Mais Durand Folco est conscient que la délibération n’est possible qu’à une échelle restreinte. C’est pourquoi, outre la démocratie directe, il faudra recourir à une forme ou une autre de représentation. Le tirage au sort pourrait alors éviter qu’un groupe n’accapare le pouvoir.

La politique municipale pour développer les vertus démocratiques
Les défis entourant le développement d’une démocratie participative sont grands, et celle-ci a besoin d’un terrain d’expérimentation pour s’exercer. Car c’est par sa pratique active que les citoyen.nes pourront développer les vertus nécessaires à son bon fonctionnement.

Par sa proximité et la présence de problèmes concrets à résoudre, l’échelon municipal est tout désigné pour accueillir ces expériences. Les « conseils de quartier décisionnels » peuvent par exemple permettre d’agir sur les problèmes liés au logement et à l’alimentation en misant sur l’écoute ou la redevabilité. Des valeurs à des lieues de celles qu’alimentent les algorithmes des réseaux sociaux, où prolifèrent souvent l’esprit de clan et la haine. Cette démocratie participative municipale est pour Durand Folco le premier pas vers des changements institutionnels profonds qui permettraient à terme l’avènement de sociétés justes et soutenables.

Bref, cet ouvrage riche et accessible plaira à celles et ceux qui cherchent une voie concrète vers l’émancipation collective!

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