Le parcours exceptionnel d’une femme exceptionnelle.

Je pense qu’à peu près tout le monde, dans le Québec francophone, connaît Lise Bissonnette et peut nommer quelques-uns des remarquables accomplissements qui ont jalonné sa carrière, une carrière dans laquelle se conjuguent service public et engagement intellectuel. Elle sera à ce titre journaliste, directrice du Devoir (1990-1998), directrice de la Grande Bibliothèque et de ce qui deviendra la BAnQ (1998-2009), écrivaine, chercheuse en littérature, présidente du conseil d’administration de l’UQAM, chroniqueuse politique à Radio-Canada (2016-2022), et j’en passe.

Celle qui s’avoue « réfractaire à l’autobiographie » revient ici sur son parcours, mais elle le fait à travers des entretiens avec l’historienne Pascale Ryan, des entretiens fort bien menés par elle.

Il en résulte un passionnant ouvrage, un ouvrage qui devrait bien entendu intéresser toutes les personnes qui œuvrent dans les domaines où Mme Bissonnette a laissé sa trace, mais aussi tout le monde, puisque ce qui est proposé est un regard lucide et critique sur certaines de nos institutions parmi les plus importantes, sur notre histoire récente, sur l’actualité et sur ce qu’on peut espérer ou craindre pour l’avenir. Au passage, on trouvera aussi quelques confidences et des leçons de toutes sortes tirées de cette longue et riche expérience.

Abitibi, 1945
L’ouvrage Lise Bissonnette : Entretiens s’ouvre sur un chapitre consacré aux premières années de Mme Bissonnette, en Abitibi. C’est pour moi le plus émouvant du livre, avec ce retour dans un temps et un lieu finalement pas si loin de nous, mais qui nous sont pourtant tellement étrangers.

Mme Bissonnette raconte, de manière inoubliable, l’omniprésence de la religion, la Grande Noirceur, ce « vide où tournait la majorité des vies », la « teinte blême de l’ignorance », la pauvreté, notre « analphabétisme collectif », les femmes confinées au foyer et tous ces gens vivant « en deçà de [leur] potentiel ».

Elle est douée pour les études (elle entre en première année à 4 ans et sait déjà lire!) et ses parents ont une certaine instruction. Elle entreprend un parcours scolaire, qui la déçoit, mais qui va quand même lui ouvrir des portes. Elle ira à Hull pour devenir enseignante (le fameux Brevet A). Puis arrivent la Révolution tranquille, la commission Parent, le réseau des universités du Québec : tout cela qui compte et qui change la donne. Mme Bissonnette dira son attachement à l’immense rupture qu’a été cette révolution et « se désole de la trouver souvent niée ».

Le journalisme et tant d’autres choses
Durant ses études, à Hull puis à Montréal, elle s’initie au journalisme dans les journaux étudiants. Son premier texte porte sur Jacques Brel!

Ce qui s’ouvre alors va la conduire en France pour y étudier, puis à toutes ces fonctions énumérées plus haut et même à quelques autres, à un doctorat et à plusieurs autres honorifiques. On la suit dans tout cela, la petite histoire se mêlant à la grande, dans ce parcours ponctué de réussites impressionnantes (par exemple : « Le Devoir est toujours là, j’y suis pour quelque chose »; ou la BAnQ, immense succès, mais dont on oublie trop facilement l’accueil d’abord hostile qui lui fut réservé) et de rencontres avec des personnalités souvent très connues. C’est tout un pan important de notre récente histoire qui se déroule sous nos yeux.

Je n’ai pas la place pour entrer ici dans le détail de tout cela, mais certaines des choses qu’elle dit me semblent, comme toujours, très justes et résonnent fort en moi.

En voici quelques-unes, parmi tant d’autres.

Écoutez-la par exemple dire son malaise devant ces « nouveaux prescripteurs de bonnes pensées correctes qui sévissent désormais dans des milieux qui se pensent progressistes ».

Écoutez-la encore déplorer que « les chroniques d’analyse sont moins nombreuses que les chroniques d’opinion », ce qui, dit-elle, « l’ennuie profondément ».

Et dire, avec raison, que « les émissions de variétés qui se posent en tribunes des comportements des élus, la nécessité de faire place au rire dans tous les échanges, tout cela a trivialisé beaucoup trop un métier où l’information suivie et rigoureuse commanderait encore le tout premier rang ».

Écoutez-la dénoncer « l’indifférence totale des pouvoirs publics et de l’opinion à l’égard des enjeux qui touchent l’existence même de l’UQ et par conséquent de l’UQAM ».

Ou rappeler que « les querelles idéologiques, qui se multiplient aux États-Unis et qui s’infiltrent ici comme en Europe, sont irrespirables ».

Un livre à lire absolument, avec en prime une belle réflexion sur l’écriture par une personne qui y excelle.

Vous en ressortiez peut-être, comme moi, avec l’inquiétude que nous ne sommes plus tout à fait à la hauteur de ce que fut la Révolution tranquille.

Le livre est dédié à M. Godefroy-M. Cardinal, son compagnon, qui fut mon collègue à l’UQAM.

M. Cardinal, dont je salue la mémoire, est décédé en décembre dernier.

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