Une remarquable autobiographie qui parle aussi de nous.

Quelqu’un a dit de la poésie qu’elle permettait de dire je à la millionième personne du singulier. Ce bon mot m’est revenu en lisant la biographie de Marc Laurendeau, rédigée en collaboration avec Pierre Huet, auteur entre autres de célèbres chansons, notamment pour Beau Dommage et Offenbach.

En racontant son remarquable et diversifié parcours, M. Laurendeau parle bien entendu de lui, mais il parle aussi de nous, du Québec, de ses transformations depuis des décennies, et toujours avec ce regard acéré qu’il n’a cessé de porter sur sa vie et sur son monde, qui est aussi le nôtre.

Les Cyniques, groupe d’humoristes brillants et caustiques dont M. Laurendeau était un des quatre membres, ont été des figures importantes de la Révolution tranquille. On leur a d’ailleurs remis une médaille qui les reconnaît justement comme étant un de ses Grands Artisans.

M. Laurendeau parle bien entendu longuement de ce groupe, de sa formation, de son immense succès. Mais il commence son livre en parlant de la crise d’Octobre, qu’il donne comme un fil conducteur de sa vie tant professionnelle que personnelle.

Durant ces événements tragiques, les Cyniques sont au sommet de leur carrière. Celle-ci finie, M. Laurendeau fera une maîtrise en science politique, justement sur la violence politique au Québec; il écrira sur des felquistes et finira par s’orienter vers le journalisme.

Le cours classique
Il nous parle ensuite de son enfance à Notre-Dame-de-Grâce dans les années 1940 et 1950 et de ses études au Collège Sainte-Marie, un fameux collège classique jésuite.

Cela donne des pages très riches dans lesquelles on mesure la place immense et souvent étouffante de la religion dans le Québec d’alors. J’ai par exemple appris qu’au collège, on devait avoir sur soi un billet de confession, qu’on pouvait vous demander à tout moment de montrer!

Mais le récit est riche en nuances, comme M. Laurendeau sait si bien en user. À propos de ce collège, il nous rappelle qu’il était méritocratique (les principaux critères d’admissibilité étaient « le talent et le désir de travailler fort ») et qu’il a formé un nombre important de scientifiques, de leaders politiques, de juges, d’avocats, d’hommes d’affaires, d’artistes, et j’en passe. « On ne nous disait surtout pas que nous étions l’élite de demain. On nous martelait plutôt que nous étions appelés à rayonner dans la société, à devenir des citoyens responsables. On nous enseignait que l’engagement social était important. »

Le journalisme
Quand les Cyniques mettront un terme à leur brillante carrière, M. Laurendeau deviendra journaliste. Son parcours sera cette fois encore ponctué de grands accomplissements, de voyages, de prix et de reconnaissances, comme chacun le sait sans doute.

Je n’y reviens pas ici, leur énumération prendrait toute la place. Mais je tiens à souligner l’acuité de la réflexion sur le journalisme et son avenir de la part de celui qui, en plus de le pratiquer, l’enseigne à l’université. À l’heure des réseaux sociaux, des difficultés financières que connaissaient bien des journaux, bien des gens, à commencer par les plus jeunes que la profession attire, s’inquiètent pour son avenir. M. Laurendeau est persuadé que « rien ne remplacera la fiabilité d’une salle de rédaction qui a des normes et des pratiques, des critères pour publier une nouvelle et bien la formuler ».

Des portraits de personnalités
Le livre est ponctué de beaux et souvent émouvants portraits de personnes qu’a côtoyées ou simplement interviewées M. Laurendeau.

Sa sœur, la comédienne Amulette Garneau, pour commencer. Mais aussi, les trois autres Cyniques, Serge Grenier, Marcel Saint-Germain, et André Dubois; des politiciens (Robert Bourassa, René Lévesque, Jean Drapeau); des gens des médias (Pierre Nadeau, le caricaturiste Normand Hudon); sans oublier sa compagne depuis plus de quarante ans, la bien connue journaliste Anne-Marie Dussault. Même en couple l’humoriste n’est jamais loin; « J’aime la faire rire en lui disant que nous vivons un ménage à trois: elle, moi et l’information. »

Un livre à lire
C’est là un livre à lire. Cela fait, comme moi, j’en suis persuadé, vous aurez envie de dire à M. Laurendeau : merci pour toutes ces années — et ça continue — durant lesquelles vous nous avez fait rire, fait réfléchir et tant apporté, de Cynique à journaliste et à professeur, en restant toujours lucide et critique.

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