Un livre pour aider à y voir plus clair sur toutes ces questions polémiques relatives à l’université.

Tout le monde en a entendu parler : au cours des dernières années, de nombreuses controverses, pour certaines très médiatisées, ont frappé le monde universitaire, l’enseignement qui s’y donne, et la recherche qui s’y fait. Cela est arrivé au Québec et au Canada, mais aussi dans de nombreux autres pays, notamment aux États-Unis.

L’ouvrage d’Arseneau et Bernadet, Liberté universitaire et justice sociale, propose une riche et nuancée réflexion sur plusieurs enjeux incontournables que ces polémiques, où se mêlent liberté universitaire et justice sociale, nous demandent de confronter.

Un état des lieux
On commence par rappeler des controverses désormais bien connues (le mot en « n » à l’Université d’Ottawa; les mots « nègre » et « sauvage » à l’Université McGill), mais aussi et surtout ce qu’ont établi deux importantes études qui se sont penchées chez nous sur la liberté académique et la vie universitaire: le rapport Quirion, du nom du scientifique en chef du Québec; et la commission Cloutier.

Une des importantes conclusions de cette dernière est rappelée : « Les controverses médiatiques récentes ne sont donc pas des événements isolés. Elles représentent bien une tendance lourde dans le milieu universitaire et ont un impact certain sur la manière dont les membres de la communauté universitaire contribuent à la mission de l’université. »

On revient ensuite sur divers événements, survenus chez nous ou ailleurs entre 2010 et 2020. Cela s’est parfois passé à l’université, mais aussi dans la société en général (comme l’affaire Kanata). Tout cela témoigne d’une mutation culturelle sur fond de grande intensité des luttes et des causes sociales.

Apparaissent alors des appels à la censure, le mouvement « woke », des refus de débattre, une poussée morale se portant à la défense des minorités, des champs de savoir nouveaux (et pour certains fortement contestés) structurés autour de l’identité et allant parfois jusqu’à condamner la science, la raison et l’objectivité comme des instruments d’oppression.

Un diagnostic
Le mot woke sert souvent à résumer ces tendances. Les auteurs, bien conscients que la censure de droite existe toujours et que bien d’autres menaces pèsent aussi sur l’université, insistent pour qu’on ne cède ni à la tentation de caricaturer ce mouvement, ni à celle d’en nier ou relativiser la présence.

Ils en rappellent d’abord les origines chez les Afro-Américains, puis son retour en force avec le mouvement Black Lives Matter.

Mais les auteurs montrent aussi comment ces combats et revendications (comme ceux menés au nom de l’Équité, de la Diversité et de l’Inclusion, EDI) sont parfois repris par le pouvoir et les élites politiques (Justin Trudeau se « présente comme un allié des wokes »). Ils sont même portés, cela très nettement aux États-Unis, par des membres des classes sociales aisées. Bref, disent-ils, il nous faut comprendre « ce qui se joue à l’intérieur comme à l’extérieur des campus, et qui efface très certainement les origines afro-américaines du terme: une offensive néolibérale qui sait utiliser à ses fins la rhétorique égalitaire et inclusive. Une nouvelle ruse de l’histoire, comme disait Hegel ». Le rappeler est un des grands mérites de cet ouvrage.

Les bouleversements récents de l’université seraient en ce sens une sorte de réponse aux demandes utilitaristes, néolibérales, d’adaptation formulées depuis les années 1990.

Cette hypothèse a le mérite de fournir un intéressant cadre explicatif à l’apparition d’une certaine bureaucratie EDI; aux souvent étonnantes postures prises, en général et dans certaines affaires récentes, par des administrations universitaires; à l’apparition d’une certaine, et parfois puissante, gauche culturelle adhérant à cette idéologie; à l’apparition d’une science militante qui peut, avec tous les risques que cela comporte, « troquer l’esprit de fronde contre l’académisme intellectuel ».

Liberté d’expression et d’enseignement
Revenant sur la question de la liberté universitaire, les auteurs mettent en garde contre un clientélisme qui avancerait masqué sous le langage de l’inclusion; contre les inégalités que crée la censure entre les étudiants (dont certains, par elle, sont privés de savoirs), mais aussi entre enseignants et entre universités.

Ils se penchent ensuite sur la liberté d’expression et la liberté d’enseignement, rappelant des distinctions importantes, par exemple entre autorité et pouvoir ou entre sanctionner et censurer.

En bout de piste, en revenant à l’école et à l’université, ils avancent que l’offense doit être tolérée; que l’attitude de questionnement propre au savoir doit prévaloir sur les sensibilités; qu’il faut, contre les safe spaces et les trigger warnings, enseigner l’inconfort. Après tout, écrivent-ils, « assister à un cours, lire, débattre, analyser et penser, n’est-ce pas accepter de sortir de soi pour se saisir collectivement d’un objet? »

En conclusion, ils militent donc pour une authentique libre circulation des idées, rappelant, avec raison, « que l’université, lieu du savoir et de l’enseignement, est le premier laboratoire de nos démocraties — là où elles s’inventent et s’expérimentent ».

Voilà, trop brièvement présentée, une œuvre riche et stimulante sur des questions incontournables.

Elle vous fera certainement réfléchir.

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