Les bons combats de Serge Mongeau

25
Publicité
Écriture et militantisme obligent, j’ai croisé Serge Mongeau à quelques reprises dans ma vie.

C’est quelqu’un que je salue respectueusement quand je le vois, mais je n’ai pas le privilège d’être un ami, encore moins un intime. Je sais seulement, comme à peu près tout le monde dans nos milieux communs, qu’il a été formé en médecine, qu’il a tourné ensuite le dos à cette profession, qu’il a beaucoup écrit, fondé une maison d’édition (Écosociété, où j’ai publié deux livres), milité pour la paix et pour bien d’autres causes encore et qu’il a notamment pratiqué, exposé et défendu la simplicité volontaire.

Mais j’avoue que je ne connaissais pas vraiment l’homme derrière toutes ces réalisations et que plusieurs aspects de sa pensée et de son action me restaient largement inconnus. Après le premier tome de son autobiographie (Non, je n’accepte pas, 2005), je me suis donc plongé avec de grandes attentes dans ce deuxième tome, qui couvre cette fois les années 1979-2011 de la vie de Mongeau.

Mes attentes n’ont pas été déçues et c’est avec le plus grand intérêt que j’ai suivi l’auteur durant ces années particulièrement riches en réalisations, en idées et en combats menés.

Le livre s’ouvre sur ses expériences de coureur à pied, notamment de marathons : les chapitres qui suivent racontent eux aussi des marathons, mais cette fois de militantisme et d’apprentissage de la vie et de la liberté.

Un des dangers des autobiographies est qu’en parlant de soi, on est forcément amené à parler aussi des autres. Mongeau, pour sa part, mélange habilement le récit discret de sa vie personnelle et celui de ses activités militantes : c’est ainsi que si on rencontre dans ce livre les femmes de sa vie, ses enfants, ses compagnons de lutte, on croise aussi et surtout ses combats, ses engagements et les idées et les idéaux qui les justifient.

Mongeau a derrière lui un nombre impressionnant de publications, de combats, d’idées qu’il a défendues — des idées sur la santé, le pacifisme, l’écologie, la simplicité volontaire, la décroissance et des idées qu’il partage avec Québec Solidaire, dont il a été candidat — et qui ont largement circulé et inspiré bien des gens. Il a en outre joué un très grand rôle dans la création des divers mouvements et institutions, notamment Écosociété, évoquée plus haut. (Cette maison d’édition, faut-il le rappeler, a grandement contribué au retour de Chomsky le libertaire dans le paysage intellectuel francophone — le linguiste, lui, n’en avait jamais vraiment été « banni » — et ce n’est pas là la moindre de ses réalisations : en tout cas, le signataire de ces lignes lui en est grandement reconnaissant.) On parcourt tout cela avec lui dans ces pages.

Mais les moments les plus touchants de ce texte sont pour moi ceux — souvent tirés de carnets et de journaux personnels — où il s’interroge sur le sens de toute cette activité militante qui le pousse à agir et à refuser l’injustice. Ce sont des moments que toutes les personnes qui militent connaissent bien, des moments faits de colères, de déceptions et de découragements, mais aussi d’espérances et de joies. Voyez : « Le bulletin d’information d’Amnistie internationale m’arrive : […] comment arriver à vivre sereinement quand on voit tout ce qui se passe dans le monde? » Et encore : « […] parfois, je ne sais même pas si je ne travaille pas sur du sable, à une construction qui demain n’existera même plus ». Mais aussi : « Qu’est-ce qui me pousse à me débattre ainsi? J’essaie de réaliser en moi ce qui me semble devrait constituer la base d’un univers juste pour tous : j’essaie d’être bon, tolérant, honnête et juste. » Et encore, cette fois à sa fille : « Je voudrais tellement te communiquer mon optimisme, ma conviction que toutes les actions que nous menons ne sont pas inutiles. »

Le livre contient aussi, non pas des enseignements — je pense que Mongeau n’aimerait pas trop ce mot — mais des pistes de réflexion pour aider à relever ce grand défi que rencontre quiconque aspire, comme lui, à un militantisme durable : celui de concilier vie militante, motivée notamment par la colère ressentie devant l’ordre du monde et qui fait que nous ne sommes « pas contents » et une vie personnelle relativement heureuse, laquelle est au demeurant une condition favorisant un militantisme. Mongeau se félicite, avec raison, d’avoir su persister. Sa capacité d’indignation reste intacte, comme sa capacité d’étonnement, que Platon tenait pour le commencement de la sagesse et de la philosophie : « Toujours, j’ai été en quête de sens. Qu’est-ce que la vie, pourquoi suis-je là, quel est mon rôle au juste? » En bout de piste, conclut-il : « La vie demeure un grand mystère pour moi. »

On attend donc le troisième tome de ces mémoires, qui ira de 201… au plus tard possible. On espère que ce prochain chapitre racontera de grandes victoires : collectivement nous nous devons d’en remporter, pour la suite du monde.

***

Alors, chère lectrice, cher lecteur, condamnez-vous la violence, comme à répétition le demandait ce printemps notre gouvernement aux associations étudiantes? Vous demandez qu’on définisse d’abord la violence? Vous soupçonnez que le concept est complexe, qu’il recouvre une réalité plurielle, qu’il convient de méditer longuement tout cela? Vous avez bien raison.

Et pour vous aider dans ces tâches, les Presses Universitaires de France proposent, sous le titre Dictionnaire de la violence, une somme de plus de 1500 pages rédigées par de nombreux auteurs.

On y déploie des ressources de la philosophie, de la théologie, du droit, de la littérature, de l’histoire et des sciences humaines pour décliner en plus de 300 entrées les mots de la violence (depuis Abandon jusqu’à Zone de non-droit) ainsi que les auteurs qui ont cherché à la comprendre (depuis Hannah Arendt jusqu’à Éric Weil).

C’est là un ouvrage de référence riche et dense et que je recommande chaudement.

Publicité