Voilà bientôt neuf siècles que Merlin, l’enchanteur, le prophète de la grandeur arthurienne, obsède la littérature. Malgré ses absences parfois prolongées, il finit toujours par apparaître de nouveau, métamorphosé en partie ou entièrement travesti. Il est ce personnage fuyant, cette matière souple aux traits intangibles qui ne laisse sur son chemin qu’un sillon faible mais persistant. De sorte que son mythe contamine désormais toutes les ramifications de la production culturelle.

Son portrait de vieil homme barbu exerçant la magie blanche vêtu d’une tunique azurée et d’un bonnet pointu n’est étranger à personne, pas même aux enfants. Mais cette version bienveillante de Merlin ne correspond pas à ses origines qui remontent, elles, au Moyen Âge. Les récits de la conception de Merlin, attribués d’abord à Geoffroy de Monmouth et Robert de Boron, racontent que le diable entreprend de mettre au monde un homme qui séduira l’humanité entière pour la mener à sa perte. Pour ce faire, un incube à son service décime la famille d’un seigneur. Il étrangle d’abord le fils, mène la mère au suicide et, par la maladie, se débarrasse du seigneur, laissant ses trois filles orphelines et vulnérables. Après avoir fait sombrer la benjamine et la cadette dans la débauche et la violence, il féconde l’aînée dans son sommeil. Celle-ci devra concevoir à son corps défendant l’enfant destiné au mal. Or, elle rachètera à temps son péché involontaire grâce à son repentir. Elle suivra dévotement les ordonnances d’un prêtre, puis fera baptiser son enfant selon les préceptes du christianisme. Si Merlin naît d’un viol et du massacre d’une famille innocente, il naît aussi d’un acte de foi. Sa genèse incarne ainsi cette lutte interne pour l’humanité, ce déchirement continu où s’affrontent la séduction du mal et l’aspiration au bien. Il est l’Antéchrist manqué, le fils du diable racheté, et cette nature ambivalente cultive son mystère, légitime et colore ses dons de sorciers.

Selon les récits fondateurs, à sa naissance, Merlin est velu et grand, symptômes de son ascendance démoniaque. Il ne sera pourtant pas habité d’un désir de destruction, mais bien d’une intelligence précoce et de la faculté de parler, relevant, au contraire, du divin. Alors que son apparence repoussante glacera le sang de ses nourrices, sa lucidité et sa sagesse sauveront sa mère de la mort. Merlin est aussi doté de pouvoirs qui découlent directement de sa nature trouble. Le diable lui permet de remonter le cours du temps, mais Dieu le pourvoit du don de prédire l’avenir. Car de l’enfer peut naître un enchanteur, mais non un prophète. Il se dit messager de Dieu, mais, tel un oiseau de malheur, prédit la mort, le crime, l’inceste et l’adultère. Après l’annonce de ces prédictions malheureuses, il laisse échapper un rire sardonique, presque machiavélique. Il s’érige en conseiller politique grâce au déguisement, à la farce et à la mystification. Il dénonce le crime et réprimande les péchés, puis se montre parfois comme un bourreau d’une cruauté excessive, allant jusqu’à brûler vifs des hommes qui possèdent des dons semblables aux siens. Merlin choisit même parfois de taire souvent ses visions ou ne les révèle que partiellement, s’attirant les foudres de ses compagnons.

Quoi qu’il arrive, ses habiletés surnaturelles, ni tout à fait positives ou négatives, font de lui un funambule. Cette image lui va d’ailleurs à merveille. Il est cet acrobate dansant au-dessus de la mêlée qui ne possède pas comme demeure la terre ferme, qui suscite à la fois l’envie et la crainte chez la foule clouée au sol. Il est cet observateur privilégié d’un monde en perdition; ce prestidigitateur dont l’esprit critique est tel qu’il accomplit toujours ce qu’il considère juste et refuse de se soumettre docilement à l’ordre établi. Et c’est peut-être là que toute la richesse de son personnage se trouve : dans la dualité de sa nature et sa terrible clarté d’esprit.

Voici quelques-unes des parutions incontournables s’appropriant le personnage énigmatique de Merlin :

Merlin (t. 1) : Les années perdues / T. A. Barron (Ada)
Merlin et son chat / Christophe Lambert (Didier Jeunesse)
Merlin / Robert de Boron (Flammarion)

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