Je tiens depuis sept ans une chronique d’opinion dans Fugues, un magazine LGBTQ+. Tous mes livres ont un personnage homosexuel au cœur du récit. J’ai fondé le cabaret littéraire Accents Queers, afin de mettre en lumière les plumes de la diversité sexuelle et de la pluralité de genres. Bref, je suis très à l’aise avec l’étiquette d’artiste LGBTQ+, mais cette aisance n’est pas le lot de tous mes collègues.
Larry Tremblay / Photo : © Charles Briand

Larry Tremblay a longtemps évité de nommer son orientation sexuelle. « On ne me posait jamais la question et je me comportais comme un hétéro qui n’affiche pas son orientation sexuelle. J’en parlais seulement à mes proches. »

Il se dit aussi allergique aux étiquettes, au quotidien et dans la création. « Je suis réfractaire au fait que la littérature soit parcellisée. Pour moi, un écrivain peut écrire tous les genres. Je ne me vois pas dire que je suis romancier, poète, écrivain LGBTQ+ ou féministe. J’aime mieux me dire écrivain. »

Chloé Savoie-Bernard a toujours trouvé délicat de parler d’elle avant son travail, même si ses écrits portent beaucoup sur elle-même. « Mon livre n’est pas moi, mais une œuvre. C’est ça que j’ai envie de présenter. Cela dit, je n’ai pas de malaise à être associée aux communautés LGBTQ+ ou aux enjeux de racisation. C’est ma vie. Je ne veux pas que ça prenne le devant, mais je suis fière de ces identités qui s’entrecroisent. »

Pourtant, les personnes qui la lisaient ont longtemps ignoré son orientation sexuelle. « Si on m’avait posé la question, j’aurais répondu, mais tout le monde assumait que j’étais hétéro. Ça ne me tentait pas de leur expliquer. Déjà, le fait d’arriver dans ces espaces et de ne pas être blanche, j’avais l’impression que mon corps était dérangeant. Je ne voulais pas en plus leur préciser mon orientation. »

Virginie DeChamplain / Photo : © Laurence Grandbois Bernard

Même si la protagoniste du roman Les falaises est ouvertement aux filles et que plusieurs lecteurs la voient comme l’alter ego de son autrice Virginie DeChamplain, personne ne lui a parlé de l’influence de son orientation sexuelle dans sa pratique d’écriture. « Est-ce une bonne ou une mauvaise chose qu’on n’aborde pas ces questions dans les médias grand public? Je l’ignore. L’orientation sexuelle du personnage n’est pas la thématique première, ni une quête, ni une problématique, mais ça ne m’aurait pas dérangé d’en parler. »

Pour la créatrice originaire de Rimouski, un long cheminement fut nécessaire pour en arriver là. « Mon bac en littérature à Québec a concordé avec mon coming out et ma première blonde. Avant, ce n’était pas mal vu, mais on n’en parlait pas. J’ai vécu beaucoup de déni et je suis restée dans le placard super longtemps. »

Elle voit son roman comme la dernière pierre d’une maison d’acceptation de soi. « L’histoire ressemble à une époque de ma vie. Et comme le manque de figures ouvertement gaies, lesbiennes ou bisexuelles a contribué à beaucoup de tristesse et de solitude dans ma jeunesse, j’ai voulu participer à un élargissement de la représentativité sur la scène littéraire québécoise. »

Dans la bibliographie de Savoie-Bernard, on retrouve une amitié aux accents amoureux dans Royaume Scotch Tape. Une nouvelle met en scène l’intimité entre femmes dans Des femmes savantes. Mais ce n’est que dans Sainte Chloé de l’amour, publié à l’automne 2021, que les thématiques queers ont été abordées de manière plus frontale.

Elle se souvient d’ailleurs d’avoir été confrontée à des réactions de surprise et de malaise quand elle a participé au Cabaret Accents Queers, quelques mois plus tôt. « Ça venait d’hétéros qui m’ont seulement connue dans un couple straight et pour qui je corresponds à l’image hétéro dans ma présentation de genre. Et de personnes queers que ça faisait peut-être un peu chier que je ne l’aie pas dit aussi clairement avant. »

Chloé Savoie-Bernard / Photo : © Julie Artacho

Des réactions qu’elle dit comprendre. « Peut-être que j’ai fait partie du problème en le nommant moins, car ça marginalise encore plus les personnes qui le disent. C’est important de s’associer à des événements queers pour qu’on soit des figures d’identification et qu’on montre des visages queers nombreux et différents. »

Pour la première fois en plus de quarante ans de carrière, Larry Tremblay a écrit le destin d’un personnage principal gai dans Tableau final de l’amour. De toute évidence, il ne croit pas à l’adage voulant que les écrivains doivent écrire sur ce qu’ils connaissent. « Ma devise est “Si je sais, je n’écris pas. Je ne sais pas, alors je vais l’imaginer.” Ça demande un effort supplémentaire, mais ça me procure une grande stimulation. »

Quand on évoque avec lui les parallèles entre la culture queer, qui s’éloigne de la binarité de genres et d’orientations sexuelles, et le décloisonnement des frontières littéraires qui lui est si cher, l’auteur partage avec nous ses craintes face à certaines dérives. « En littérature, le phénomène d’autofiction, très narcissique et égocentrique, fait partie du grand mouvement de redéfinition des genres et de soi. Aujourd’hui, j’ai l’impression que pour qu’une œuvre soit légitime, elle doit être concordante au vécu de l’écrivain. Aussi, il y a de plus en plus de rectitude politique et d’autocensure. On se demande si on a le droit d’écrire cela. »

Après avoir connu un succès international avec le roman L’orangeraie, qu’il a écrit en se mettant dans la peau d’enfants moyen-orientaux sans jamais avoir visité ces pays, Tremblay revendique le droit de s’intéresser à l’Autre. « J’ai développé la compétence de faire parler des gens très loin de moi. »

Si Virginie DeChamplain se décrit d’abord comme une écrivaine féministe, elle tient à accorder une place à la diversité sexuelle et de genres. « Je suis en train de finaliser mon deuxième livre et ça me chicote de constater qu’il n’y a que des représentations hétéronormatives. J’ai envie de changer ça. »

Dans le futur, elle se promet d’écrire d’autres personnages LGBTQ+. « C’est partie prenante de qui je suis. Je ne vois pas pourquoi je n’inclurais pas ça dans ma pratique d’écriture. »

De son côté, Tremblay ne veut pas être associé directement à la communauté LGBTQ+ en tant qu’artiste. « Ça ne correspond pas à ma position face à la littérature. Je veux parler de tous les sujets. Par contre, j’admire ceux qui militent. Il faut des gens pour que les choses changent. »

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