Y a-t-il une solution de rechange à l’écofascisme à moyen terme qui soit acceptable socialement? On ne peut pas arrêter le progrès ni revenir en arrière, estime Jeremy Rifkin. L’économiste prône une réforme qui permettrait au capitalisme de s’adapter en douceur à la transition écologique. Il s’agit de la troisième révolution industrielle : l’émergence d’une technologie résiliente, conçue pour pallier les interruptions de services causées par les catastrophes naturelles. En d’autres termes : le marché de l’autosuffisance.

Une technologie boudée par l’establishment
L’idée que chaque bâtiment dispose de sa propre source d’énergie renouvelable est inconcevable dans le système actuel bien que la technologie soit disponible (solaire, éolienne, etc.). On préfère entretenir de vastes réseaux centralisés dont dépendent des millions d’abonné.es. Pour mémoire, le capitalisme est né de la deuxième révolution industrielle avec l’utilisation massive de sources d’énergie comme l’électricité et le pétrole. C’est l’avènement de la production de masse et des oligopoles chapeautant des chaînes complexes d’approvisionnement. Or, les études tendent à démontrer que pour rester verte, l’énergie doit être produite à petite échelle.

Le point de bascule
Avec les changements climatiques, les pannes de réseaux vont se multiplier, rendant les systèmes autonomes plus attrayants. Le marché de l’autosuffisance énergétique va croître. Le pari de Jeremy Rifkin est que l’autonomie énergétique entraînera une résurgence de l’économie communautaire (qui prévalait avant la montée du capitalisme), que des réseaux de citoyens écoresponsables se formeront, échangeant des biens et des services dans l’optique de renforcer leur indépendance face à l’économie de masse, levier de la croissance perpétuelle.

Le pouvoir latéral
Selon lui, les oligopoles feront face à une nouvelle concurrence, le coût marginal zéro : baisse des prix sur les produits susceptibles d’être échangés de gré à gré et partagés gratuitement sur Internet. Il prédit que d’ici 2028, les grands réseaux vont connaître des ratées significatives et que d’ici 2050, le marché de l’autonomie (énergétique et alimentaire) atteindra un seuil qui réduira considérablement notre dépendance au système monétaire. Sans disparaître, le capitalisme ne pourra plus invoquer les lois « naturelles » du marché, une idéologie imposée par Adam Smith à l’aube de la première révolution industrielle pour justifier l’exploitation de la classe ouvrière. La mondialisation telle que nous la connaissons tire à sa fin, les changements climatiques vont entraîner un changement de mentalité.

Faire du neuf avec du vieux
Nous devons considérer les objets préexistants comme une matière première, plaide-t-il. La tendance est déjà à la hausse : friperies, produits réusinés. Le recyclage ne suffit plus. Il faut encourager l’économie locale et circulaire. Rifkin estime que si nous convertissions nos manufactures pour les adapter au réusinage, nous pourrions maintenir notre style de vie pendant deux décennies sans véritable privation tout en freinant la croissance de moitié. Pour l’instant toutefois, l’exploitation des ressources naturelles demeure un meilleur marché.

Diviser la carte électorale en biorégions
Jusqu’ici, la troisième révolution industrielle relève davantage de la prévisibilité économique que d’une réelle volonté d’opérer une transition écologique. Le but est d’instaurer un climat politique propice aux changements. Il faut amener les gouvernements à considérer leur territoire, non en fonction du PIB, mais comme un écosystème divisé en biorégions : assujettir l’activité économique aux priorités environnementales propres à une région. Cela permettrait de mieux cibler nos objectifs et d’identifier les problèmes. L’imputabilité régionale serait une avancée majeure dans la protection de l’environnement. Pensons au cas de la fonderie Horne en Abitibi. Un tel débat serait nécessaire dans d’autres régions. Rifkin va plus loin et propose un système pairocratique : soumettre chaque projet de développement à un jury composé de citoyens.

Le New Deal vert
Durant la Grande Dépression des années 1930 aux États-Unis, le président Roosevelt a obligé le monde financier à soutenir des programmes sociaux, le New Deal, une audace sans précédent qui se justifiait par une masse critique de chômeurs au pays. La classe écologique doit prendre conscience d’elle-même et réclamer un New Deal vert : une réforme des lois qui obligerait les entreprises, mais aussi les banques (!) à soutenir la transition écologique. Tant les riches que les pauvres savent que la croissance perpétuelle causera notre perte. Il est temps de généraliser notre colère et viser non pas l’indépendance financière, mais une autonomie partielle et croissante face au système financier.

Inculquer la biophilie
Pendant longtemps, l’être humain s’est battu contre la nature pour survivre, développant un sentiment de supériorité et une aversion contre « l’état sauvage ». S’il est relativement facile de comprendre l’importance de la biodiversité, changer nos habitudes est plus ardu. Des études ont démontré que la pensée rationnelle échoue sur ce plan, la compréhension d’un drame à venir étant subordonné à nos préoccupations quotidiennes. Ce sont les émotions qui ont le pouvoir de modifier nos comportements. L’image d’un ourson à la dérive sur une banquise est plus convaincante qu’un exposé scientifique sur la fonte des glaces. Il faut valoriser l’intelligence émotionnelle et collective afin que la transition soit compatible avec notre recherche légitime du bonheur, sans quoi aucune acceptabilité sociale ne sera possible.

Sans prétendre régler tous les problèmes, Jeremy Rifkin propose un plan de décroissance qui tient compte des susceptibilités humaines. Pour s’initier à la pensée de l’auteur, L’âge de la résilience (Les liens qui libèrent, 2022) résume bien son projet de réforme qu’il affine depuis La troisième révolution industrielle (Babel, 2013). Il est vraisemblable que le néolibéralisme ne résistera pas longtemps aux catastrophes naturelles. Comme à l’époque de la Grande Dépression, la misère et la colère de millions de gens feront ployer les requins de la finance.

La question est de savoir s’il sera trop tard. La Terre se réensauvage, clame l’auteur, il faut nous réinventer.

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