Une bien triste semaine dans le milieu littéraire. Après le décès de Marie-Claire Blais, voici que nous a également quittés l’écrivaine Abla Farhoud, le 1er décembre dernier. Née au Liban en 1945 et arrivée au Québec alors qu’elle n’avait que quelques années, madame Farhoud était une dramaturge et une auteure de talent, à qui l’on doit notamment le très puissant Le bonheur a la queue glissante, publié en 1998.  

Souvent, Abla Farhoud fut considérée comme un porte-étendard de la littérature migrante au Québec. En entrevue, en 2005, elle disait cependant ceci au journaliste Mathieu Simard entre nos pages : « Quand j’écris, j’essaie de montrer la ressemblance, non pas les choses qui distinguent, qui sont dures, xénophobes… Moi, je veux montrer le côté où les êtres humains se ressemblent. La différence, on la voit : c’est ce qui saute aux yeux au tout début. » Et c’est réellement ce qui ressort de son œuvre. Toute cette ressemblance dans l’humanité que partagent les personnages, peu importe d’où ils sont issus et le bagage qu’ils traînent avec eux.

Dans Le bonheur a la queue glissante (Typo), son premier roman, l’auteure nous invite dans le monde de Dounia, 75 ans et analphabète, arrivée à Montréal après avoir vécu toute sa vie à Beyrouth. Cette femme au grand cœur a décidé de mourir là où ses enfants sont heureux, d’où son arrivée au Québec. Ponctué de proverbes libanais, cet ouvrage qui se lit le sourire aux lèvres nous invite à une plus grande compréhension de la réalité d’autrui, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, qu’ils aient 12 ou 75 ans. Dans Splendide solitude, elle invite à un voyage dans l’intime, « aborde cette fois les rivages de sa féminité », comme l’écrivait Hélène Simard dans l’entrevue signée au sujet de ce livre en 2001.

Avec Toutes celles que j’étais, publié en 2015, elle offre un récit très touchant sur la forme kaléidoscopique qu’a prise son existence, de mère, de femme, de migrante, de dramaturge, d’amie, etc. « Abla Farhoud possède l’art de l’hospitalité, écrivait Chantal Fontaine, de la librairie Moderne entre nos pages. J’ouvre son livre et dès les premières pages, je me sens accueillie, bienvenue. Discret, l’élan de ses mots me pousse ailleurs. Elle raconte ici son parcours de migrante sous forme de roman. À travers les yeux d’une enfant vive et curieuse, puis d’une adolescente déchirée entre ses obligations familiales et son désir d’émancipation, l’auteure nous ouvre grandes les portes des aléas d’un départ et d’une arrivée, de la perte des repères à la fébrilité de la découverte d’un nouveau monde. Pour mieux appréhender sa réalité, elle enchaîne les identités, se faufile dans ses multiples facettes et livre un témoignage poignant du parcours chaotique des enfants immigrés. »

Preuve qu’on adorait cette auteure, nous avions également publié entre nos pages une entrevue avec Abla Farhoud à la sortie de Au grand soleil cachez vos filles. Cette fois, c’est Claudia Larochelle qui avait rencontré la dame. Elle écrivait : « Mais la voir et l’entendre, comme la lire d’ailleurs, c’est embrasser à pleine bouche les mystères et l’exotisme chaud des contrées arabes, comme son Liban natal, où se déroule l’essentiel de son dernier-né, un roman qui fera fondre votre cœur, si vous vous y abandonnez avec l’ouverture et la curiosité qu’il interpelle, d’abord parce qu’il peut faire sursauter par moment, entre autres sur des questions de condition féminine peu réjouissantes, hélas, puis sur “l’ailleurs’’, celui qui exalte ceux qui s’y aventurent et les ébranle. L’ailleurs sans demi-ton donc, total et entier : envoûtant au premier abord, puis, à bien y penser, triste à mourir aussi. »

C’est une grande dame de nos lettres d’ici qui nous a quittés. Nos plus sincères condoléances à ses proches, sa famille et ses lecteurs…

Photo : © Mathieu Rivard

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