Avec son verbe unique au souffle incantatoire, Marie-Claire Blais plonge dans le deuil un nombre incalculable de lecteurs et de lectrices à travers le monde. La grande dame des lettres québécoises est décédée à Key West le 30 novembre à l’âge de 82 ans.

Née en 1939, Marie-Claire Blais publie à 20 ans La belle bête, son premier roman, dans lequel on pouvait déjà percevoir toute la sensibilité et le pouvoir d’évocation de l’écrivaine. En 1965, elle est remarquée avec Une saison dans la vie d’Emmanuel qui lui vaut la reconnaissance à l’international, recevant pour celui-ci le renommé prix français Médicis. En 1995, elle entame avec la publication de Soifs, une singulière fresque humaine qui s’étendra sur dix tomes. En soixante ans de carrière, Marie-Claire Blais aura fait paraître une vingtaine de romans, six pièces de théâtre et quelques recueils de poésie. Elle a reçu de nombreux honneurs au cours de sa vie d’écrivaine. Elle a entre autres été, quatre fois plutôt qu’une, lauréate du Prix littéraire du Gouverneur général, ainsi que distinguée par les prix d’envergure Athanase-David et Gilles-Corbeil pour l’ensemble de son œuvre. Son plus récent titre, Un cœur habité de mille voix, est paru en octobre dernier aux Éditions du Boréal où son œuvre est publiée.

À la suite du décès de la femme de lettres, nous avons contacté Jean Bernier, éditeur et complice de Marie-Claire Blais depuis plusieurs années.

Parlez-nous de votre première rencontre avec Marie-Claire Blais.
J’ai rencontré Marie-Claire Blais en 1992 pour la préparation du premier volume du cycle Soifs. Je me souviens d’abord d’avoir le manuscrit sous mes yeux, et d’avoir été ébloui par la force qui s’en dégageait. J’ai ensuite rencontré l’autrice, je me souviens de sa douceur et de la clarté de son regard. On disait souvent de moi que j’étais celui qui « travaillait » avec Marie-Claire Blais. Mais rien n’a jamais moins ressemblé à du travail que notre collaboration. J’avais plutôt la chance inouïe de baigner dans sa lumière pendant les heures partagées à discuter de son manuscrit et de littérature.

Que représente pour vous son œuvre? Comment l’appréhendez-vous, la recevez-vous?
L’œuvre est unique. C’est sans doute un lieu commun, mais l’expression prend toute sa force dans son cas. Rien ne ressemble à ce qu’elle apporte à la littérature contemporaine. C’est de toute évidence une écriture « artiste », exigeante, où la forme s’impose à nous, mais son seul but est de nous émouvoir, de nous faire partager, à travers ses personnages, la vie, les joies, les souffrances, de toutes celles et de tous de ceux, de toutes les créatures, y compris animaux, qui sont de passage en même temps que nous sur cette planète.

Pourquoi doit-on lire Marie-Claire Blais aujourd’hui?
Il faut lire Marie-Claire Blais parce ce que cela nous oblige à nous ouvrir sur le monde, à ouvrir notre cœur, notre esprit, à ce que vivent ceux qui nous entourent, surtout les marginaux, ceux qui souffrent, mais sur qui nous préférons trop souvent fermer les yeux. La lire, c’est prendre toute la mesure de notre époque, de ses luttes, celle pour les droits des homosexuels, notamment, de ses triomphes et de ses tragédies. La lire, c’est augmenter notre expérience de vie, vivre plus intensément.

Photos : © Éditions du Boréal

Publicité